Un canon à neige sur la station de Réallon, 23 décembre 2022 © Simon Becquet

Neige en station en 2050 : la région n'a toujours pas dévoilé l'étude payée sur fonds publics

Le public n’a toujours pas connaissance des projections d’enneigement à 2050 dans les stations des Alpes du Sud. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur les détient pourtant grâce à une étude payée par les impôts des citoyens. La Commission d’accès aux documents administratifs, sollicitée par l’association SAPN-FNE 05, a rendu un avis favorable pour la publication du rapport. La région n’en a, à ce jour, pas tenu compte et invoque un manque de temps.

« Nous pourrons continuer à skier au moins jusqu’en 2050 » dans les Alpes du Sud : c’est ce qu’affirme la région Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis le rendu, en décembre 2021, de l’étude Climsnow qu’elle avait commandé. Certes, « l’enneigement naturel va diminuer dans les 30 prochaines années », mais « l’enneigement artificiel pourra sécuriser la très grande majorité des domaines skiables » rassure la collectivité.

Des propos que le public est contraint à croire sur parole, faute de pouvoir consulter le document cité.

L’étude Climsnow, réalisée par Météo France, l’Inrae et Dianège, est une prospective, sur chacune des 48 stations de Provence-Alpes-Côte d’Azur, de l’impact du réchauffement climatique à horizon 2050 sur la présence de neige. Et permet donc aux domaines de préparer leur avenir. Le document les renseigne aussi sur la solidité de leur structure juridique et de leurs finances.

Pour la SAPN-FNE 05, association haut-alpine de protection de la nature, ce document est utile à tous, pas uniquement aux stations. Hervé Gasdon est le président de l’association.

Ce rapport est extrêmement important pour que qui que ce soit, les institutionnels, les citoyens et citoyennes, ou les associations comme la SAPN-FNE 05, ait les moyens de pouvoir juger de l'opportunité ou pas de faire certains projets sur les stations.

Hervé Gasdon

Connaître les projections d’enneigement est particulièrement à l’ordre du jour alors que les Alpes françaises sont candidates aux JO 2030. Cela permettrait aussi de contribuer en connaissance de cause aux enquêtes publiques.

Par exemple, il y a à Ceillac [un projet de] construction de 600 nouveaux lits touristiques ; le [Hameau de] Grand Bois à Risoul, où le projet est de raser 10 hectares de forêt pour faire 1500 lits touristiques ; [le projet immobilier de] Clôt Enjaime, à Montgenèvre. Donc il y a une multitude de projets complètement anachroniques, qui datent du plan neige d'il y a 60 à 50 ans. Avoir ce document à disposition nous permettrait d'étayer encore mieux nos arguments. Je trouve ça surprenant qu'un document financé par des fonds publics ne soit pas accessible à n'importe quelle citoyenne ou citoyen.

Hervé Gasdon

Cinq demandes restées sans suite

Car l’étude a été financée par la région, et donc payée par les deniers publics, à hauteur de 170 000 € selon Chantal Eymeoud, vice-présidente en charge de la montagne. Et si la SAPN-FNE 05 n’a pu l’obtenir, ce n’est pas faute d’avoir essayé, relate Alain Girodon, membre du conseil d’administration de l’association.

La SAPN-FNE 05, lorsque l'étude a été réalisée, a demandé à en avoir communication. C'était en avril 2022. Depuis, il y a eu cinq demandes à la région Sud, qui sont restées sans suite, si ce n'est l'envoi, fin 2022, d'une synthèse de l'étude, document illisible et sans les résultats des impacts du changement climatique sur les 48 stations de montagne de PACA.

Alain Girodon

Devant l’absence de réponse de la région, la SAPN-FNE 05 s’est tourné vers une autorité administrative indépendante.

La SAPN-FNE 05 a saisi fin février 2023 la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), qui a émis un avis favorable à la communication le 21 mars 2023. Nous en avons fait part à la région qui n'a, encore une fois, pas donné suite.

Alain Girodon

Dans son avis, que ram05 a pu consulter, la Cada « estime […] que cette étude est communicable à toute personne qui en fait la demande, sous réserve de l’occultation préalable des mentions couvertes par le secret des affaires – notamment celles relatives […] au chiffre d'affaires des exploitants des domaines skiables -, à moins que leur divulgation ne présente un intérêt supérieur […]. Par conséquent, elle émet, sous ces réserves, un avis favorable à la demande ».

Un an plus tard, l’association n’a toujours pas pu accéder à l’étude Climsnow : la région « ne répond pas », déplore Alain Girodon. Le bénévole dénonce « une opacité totale ».

La région n'a pas le temps

Sollicitée par ram05, Chantal Eymeoud, vice-présidente de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur en charge de la montagne, s’est justifiée.

Dans cette étude, il y a des éléments qui sont communicables, sur l'évolution climatique, et d'autres, notamment financiers, qui ne le sont pas parce qu'ils relèvent de la sphère privée, comme le dit la Cada. L'étude Climsnow est constituée de milliers de pages et l'occultation de ces éléments prend un temps considérable. Aujourd'hui, les agents de la région n'ont pas pu faire ce travail-là, je ne sais d'ailleurs pas s'ils pourront le faire, au regard de la quantité de travail qu'ils ont. Mais ce n'est pas, de la part de la région, une volonté de ne pas transmettre des éléments. Moi, je suis favorable à ce qu'on puisse communiquer tout ce qui est communicable. Je souhaite que la région et les services fassent ce travail, c'est ce que j'ai formulé auprès du président et de ses équipes. Je pense que la région le fera, mais ça va prendre du temps.

Chantal Eymeoud

« Je ne peux pas me permettre de donner un délai, car les services sont très chargés : le service montagne c’est une dizaine de personnes, et cette étude est constituée de milliers de pages », ajoute Chantal Eymeoud.

La SAPN-FNE 05 est-elle convaincue par cette explication ? « Non », rétorque Alain Girodon. Sur les éléments financiers à occulter, le bénévole déclare « ne pas voir ce qu’il doit y avoir de plus que ce qu’on peut trouver sur le site du greffe du tribunal de commerce ».

Chantal Eymeoud dit que c'est compliqué. Je ne pense pas que ce soit très compliqué : il doit y avoir des PDF à éventuellement modifier. Ça, ce n'est pas bien compliqué en informatique. C'est une réponse qui permet de ne pas répondre.

Alain Girodon

Quoi qu’il en soit, les résultats de Climsnow peuvent être aussi demandés directement auprès des stations, avance Chantal Eymeoud.

Chaque station a eu les éléments la concernant et peut, elle, livrer tous les éléments qu'elle souhaite livrer à la SAPN-FNE 05 ou à d'autres acteurs et associations qui en feraient la demande.

Chantal Eymeoud

En effet, pour l’instant seuls des résultats concernant la station des Orres ont été communiqué à la SAPN‑FNE 05, par le maire de la commune, dans le cadre d’une enquête publique d’avril 2023 portant sur l’extension du réseau d’enneigement artificiel à 2 700 mètres d’altitude. Problème : le document transmis, consulté par ram05, semble incomplet et amputé de ses conclusions.

Une fois de plus, Alain Girodon regrette la réponse de la région.

C'est une façon de botter en touche parce que Les Orres a fourni un résultat qui est, à mon avis, incomplet, donc, on ne sait pas trop ce que l'étude préconise. Pour les autres, je pense que ce sera des non-réponses. C'est très compliqué de travailler comme ça. Ce que j'en conclus, c'est que c'est une volonté de ne pas publier les résultats de cette étude. Donc tout ça se fait dans la plus grande opacité, c'est bien dommage.

Alain Girodon

Quelle prise en compte du réchauffement climatique ?

Un manque de transparence qui jette fatalement le doute sur la sincérité de la région sur sa prise en compte du réchauffement climatique.

D’un côté, Chantal Eymeoud assure que l’étude Climsnow permet de « diriger les choix à la fois des stations pour leurs investissements, et à la fois de la région pour les financements ».

Concrètement, si une station nous présente un projet, par exemple, de neige de culture à une altitude qui ne correspond pas avec les résultats de l'étude Climsnow, la région n'y va pas. Si, en revanche, pour la sécurisation de l'activité ski, c'est cohérent, pourquoi pas.

Chantal Eymeoud

D’un autre côté, cet engagement entre en contradiction avec un exemple pointé par Alain Girodon : celui du nouveau téléski de la Brune, inauguré en mars 2024 sur la station d’Abriès. Selon la synthèse de l’étude Climsnow dont ram05 a pu prendre connaissance, ce domaine fait partie de ceux qui sont le plus mis en péril par le réchauffement climatique : seuls 4 % de sa surface resteraient skiables durant un hiver moyen en 2050, pour un scénario pessimiste de réchauffement climatique. Et pourtant, la région a participé au financement du nouvel équipement.

Un choix que dénonce la SAPN-FNE 05.

L'opacité totale des résultats de l'étude permet de financer en toute discrétion des infrastructures dans les stations de moyenne altitude et dont l'enneigement est voué à disparaître dans les prochaines années.

Alain Girodon

Une transition de plus en plus urgente

L’appui aux station doit se faire avec plus de discernement, pointe Alain Girodon.

L'idée, ce n'est pas de dire que le soutien aux stations n'est pas nécessaire, mais qu'il doit être réalisé en fonction du devenir climatique de chacune des stations. Et ce pour que les stations se reconvertissent et investissent sur d'autres activités que le ski qui, pour certaines, est voué, hélas, à disparaître.

Alain Girodon

Entre 2021 et 2027, la région investit 100 millions d’euros dans les stations des Alpes du Sud et 100 millions dans les espaces valléens, au titre de l’activité ski et de la diversification, détaille Chantal Eymeoud.

Mais pour Hervé Gasdon, la transition n’est pas encore amorcée, et elle est urgente.

On a aussi le rapport de la Cour des comptes, et celui de notre ex-député Joël Giraud, qui disent qu'il faut vraiment faire une transition des stations de montagne. Or actuellement on voit plutôt la construction de nouveaux lits touristiques, ce qui veut dire plus de déforestation, plus d'investissement dans les remontées mécaniques, dans les canons à neige. Pour faire cette transition, où ira-t-on chercher l'argent si tout est investi dans le modèle dont on voit qu'il est plus ou moins en fin de course en fonction des stations ? Il y a des stations qui ont encore la capacité de pouvoir tourner, on ne remet pas ça en cause. Mais on demande simplement d'activer très rapidement la transition.

Hervé Gasdon

L’opacité de la région relève d’un problème démocratique, conclut Alain Girodon.

Il est fort dommage que la région ne communique pas sur l'étude qu'elle a réalisée avec des fonds publics. C'est quand même un problème vis-à-vis des citoyens qui, par leurs impôts, financent ces études.

Alain Girodon

Pour contraindre la région à dévoiler le détail de l’étude, il faudrait désormais se tourner vers la justice, constate Alain Girodon. Or celle-ci mettra « entre 2 ans et demi et 3 ans à se prononcer », regrette le bénévole, qui conclut : « la SAPN n’ira pas au tribunal administratif ».