« Les stations face au changement climatique» : ce que contient le rapport de la Cour des Comptes
Le 6 février dernier, la Cour des Comptes a mis le feu aux poudres en publiant son rapport sur l’adaptation des stations de ski au réchauffement climatique. Politique d’adaptation au déclin de la neige, démantelage des remontées mécaniques vétustes, préservation de l’eau, risque d’une envolée progressive du subventionnement… cet épais document aborde de nombreux enjeux environnementaux et socio-économiques de la transition des stations. Dès sa mise en ligne, les associations d’élus de la montagne, Domaines Skiables de France et Mountain Wilderness se sont positionnées, saluant « une base de discussion solide » ou regrettant « un rapport à charge ».
Les passes d’armes entre Domaines Skiables de France et Mountain Wilderness sont monnaie courante. Chaque projet immobilier ou d’installation de remontée mécanique en station suscite de manière presque systématique des réactions opposées. Cette fois, la critique de la politique d’adaptation des stations émane d’une institution réputée neutre, et dont le rôle est « de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens. » Ici, la Cour des Comptes épingle aussi bien les taux de subventionnement élevés des investissements en station que la pertinence des projets soutenus. Pour établir ce rapport, 42 stations ont été enquêtées et une base de données comprenant 200 stations a été établie. Pourtant, le président de Domaines Skiables de France Alexandre Maulin estime que le travail des magistrats est « idéologique », notamment car les réponses apportées avant la publication n’auraient pas été prises en compte.
On pensait qu’on aurait un outil de travail pour piloter les évolutions nécessaires en montagne – parce qu’on est conscient du réchauffement climatique, et aujourd’hui on a un peu une carricature dogmatique, où seulement une partie des avis ont été pris en compte.
Alexandre Maulin, président de Domaines Skiables de France
À l’inverse, Fiona Mille, présidente de l’association Mountain Wilderness, estime que ce rapport constitue un nouveau point de départ pour les débats entre décideurs et citoyens sur l’avenir des stations.
Il faut vraiment que ce rapport serve à lancer un débat à l’échelle des massifs et de nos territoires pour amorcer la diversification de notre modèle économique. Ce qu’il permet de dire ce rapport c’est : le constat, il est connu, maintenant il faut trouver des solutions de diversification et ne pas se tourner vers le passé.
Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness
La rapport est organisé en trois grands chapitres : « Un modèle économique qui s’essouffle », « Les politiques d’adaptation ne sont pas à la hauteur », « Les conditions de l’adaptation des stations de montagne aux évolutions climatiques ».
Les générations de « babyboomers » arrêtent progressivement la pratique du ski
À propos du modèle économique, la Cour des Comptes signale une tendance à l’érosion du nombre de journée-skieurs sur la période de 2009 à 2021, et formule plusieurs pistes d’explications. En s’appuyant sur données de fréquentation des trente dernières années, le rapport met en évidence une corrélation entre les conditions d’enneigement et le nombre de journées skieurs. Le réchauffement climatique entraînant une diminution de l’enneigement, mécaniquement, la clientèle se lasserait. D’autre part, un manque de renouvellement de la clientèle est avéré. Les données, tirées de rapports de Domaines Skiables de France, de l’ANMSM (Association Nationale des Maires des Stations de Montagne) et d’un rapport international sur le tourisme en montagne montrent que les générations de « babyboomers » arrêtent progressivement la pratique du ski alors que dans le même temps les dispositifs type classe de neige – un bon outil pour recruter de futurs jeunes skieurs – se sont considérablement réduits. De 2009 à 2019, un peu moins de 5,5 millions de journées-skieurs annuelles auraient été « perdues » notamment à cause du renouvellement incomplet de la clientèle vieillissante, soit 10% du volume actuel de journées-skieurs en France. Comme autre facteur potentiel de désaffection de la glisse, Domaines Skiables de France pointe de son côté un problème immobilier : chaque année, 35 000 lits touristiques adossés à des programmes de défiscalisation arrivent à échéance et seraient récupérées par leurs propriétaires, par exemple pour un usage en résidence secondaire.
D’autres causes plus difficile à objectiver sont évoquées par les associations. L’ANMSM estime qu’il « manque d’une action forte et coordonnée des pouvoirs publics en matière de communication et de promotion du tourisme hivernal en montagne ». Le secteur professionnel dénonce, quant à lui, un phénomène de « ski bashing » qui dissuaderait une partie de la clientèle. Le président de Domaines Skiables de France ne conteste pas tous les constats dressés dans cette partie, notamment sur l’âge de la clientèle et les classes de découverte. En revanche, il assure que la période retenue par la Cour des Comptes pour déterminer l’évolution des journées-skieurs n’est pas suffisamment représentative de la tendance long-terme.
Si vous partez de 2000 à 2023 on est en progression. Si vous partez de 2015 à 2023 on est en progression. […] Il y a une stagnation du marché, plus qu’une vraie baisse.
Alexandre Maulin, président de Domaines Skiables de France
Qui dit moins de journées skieurs dit moins de recettes. D’où la fragilisation du modèle économique des stations évoquée par la Cour des Comptes. À cela s’ajoute les conséquences du changement climatique : baisse de l’enneigement, précipitations plus espacées et plus intenses les risques de faible enneigement, dont l’impact dépend de l’altitude. Les magistrats ont établi pour toutes les stations auditées un « score de vulnérabilité » qui dépend de leur poids économique, du risque climatique et de leur capacité financière à investir dans l’adaptation. Avec cette approche, la Cour des Comptes montre globalement que les stations des Alpes du sud sont plus menacées que celles des Alpes du nord. Jusqu’ici, rien de nouveau. Mais, moins intuitif, le rapport conclut aussi qu’une station, même fortement exposée à un risque climatique, reste relativement peu vulnérable si elle a « peu d’installations dédiées au ski alpin », « peu d’hébergements touristiques » ou encore une « population permanente peu importante ». Ainsi, en continuant d’investir dans des infrastructures liées au ski, même en tenant compte du changement climatique pour garantir que les infrastructures soient amorties, une station augmente sa vulnérabilité, selon la Cour des Comptes.
Les stations entrent en concurrence sur des activités dont la rentabilité est déjà difficile à atteindre
Le deuxième chapitre arrive à la conclusion que d’une part, les politiques d’adaptation restent majoritairement tournées vers la production de neige, ce qui prolonge la dépendance au au ski mais ne permet pas de préparer un après, et d’autre part, que le développement de l’activité « quatre saisons » ne devrait pas se limiter à de nouvelles activités « juxtaposées » au ski comme ce serait le cas actuellement, mais permettre de planifier la transition d’une économie de station de ski vers une station de montagne. En exemple, le rapport énumère quelques infrastructures dites « quatre saisons » développées dans les stations sur lesquelles elle a enquêtée et note que l’on retrouve très souvent les mêmes équipements d’une station à l’autre : luges d’été, tyroliennes, parcs d’activités avec parcours d’aventure ou espaces de baignades, espaces aqualudiques, etc. Par ailleurs, ces équipements sont « assez fortement subventionnés » et leur équilibre économique serait souvent « très mal appréhendé ».
Pire, le fait qu’une partie des activités d’été repose sur les remontées mécaniques – comme le VTT, l’accès piéton au sommet des stations, est vu comme un risque par les magistrats qui avancent que « les revenus de la saison d’hiver permettent d’assurer la maintenance des installations, ce qui serait beaucoup plus difficile avec les seules recettes des activités estivales, en l’état actuel des tarifs estivaux proposés. ». En développant les mêmes infrastructures de diversification sans coordination, les stations entrent en concurrence sur des activités dont la rentabilité est déjà difficile à atteindre. La Cour des comptes invite plutôt les acteurs locaux à « à mettre en place des actions correspondant aux atouts et spécificités du territoire et valorisant ses atouts concurrentiels » et « à imaginer de nouvelles stratégies de développement (accompagnement de l’initiative privée, développement économique hors tourisme, promotion de l’habitat à l’année.) ». En conclusion de ce chapitre, les magistrats écrivent que les actions de diversification sont « réalisées au fil de l’eau », « tendent souvent à reproduire le modèle du ski, fondé sur des investissements importants et une forte fréquentation, sans plan d’affaires permettant d’établir leur pertinence économique ».
Si Mountain Wilderness est en accord avec cette lecture de la situation, Fiona Mille estime que l’accent n’a pas été assez mis sur le fait que la transition doit être pensée à une échelle plus large que celle des stations.
Il ne faut pas se limiter à la diversification touristique et au « quatre saisons ». Là, l’enjeu, c’est bien de diversifier notre économie de montagne. Donc on a aussi besoin de faire vivre nos territoires par l’agriculture, par l’artisanat, par un peu d’industrie, du service à la personne… Le deuxième point, c’est que généralement quand on parle d’économie de montagne on a un focus sur les stations. Or, l’enjeu est bien plus large.
Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness
Le troisième et dernier chapitre interroge la gouvernance des stations, qui serait « trop centrée sur la seule station de ski » et souvent marquée par un « déséquilibre entre collectivités locales et exploitants des remontées mécaniques ».
Comme tout rapport de la Cour des Comptes, des recommandations sont formulées pour rectifier le tir. Parmi les plus concrètes, le conditionnement de « tout soutien public à l’investissement dans les stations au contenu des plans d’adaptation au changement climatique », la création d’un fonds d’adaptation au changement climatique abondé par une taxe les remontées mécaniques pour financer les « actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes », et le conditionnement des autorisations de prélèvements d’eau pour la production de neige à une prise en compte des prospectives climatiques, notamment de la disponibilité de la ressource en eau.