Veolia demandait 512 000 euros à la Communauté de Communes de Serre-Ponçon, le juge administratif retoque
Revers juridique pour Veolia. La multinationale, délégataire depuis 2010 de l’assainissement pour la communauté de Serre-Ponçon, avait déposé une requête visant à condamner la collectivité à lui verser 512 247 euros pour compenser la diminution d’une prime qu’elle percevait de l’Agence de l’Eau. Celle-ci a été rejetée par le Tribunal Administratif le 25 avril. Ram05 s’est procuré le jugement, décryptage.
L’Association de Défense des Usagers de l’Eau et de l’Assainissement ne boude pas son plaisir depuis que le jugement a été rendu public, elle qui dénonce depuis le début de la concession un contrat « toxique » pour les usagers. Contactée par la rédaction, Veolia n’a pas souhaité s’exprimer car la société étudie actuellement la possibilité de faire appel.
L’affaire est ancienne. Un an seulement après le début de la concession, la prime pour épuration que perçoit Veolia est près de deux fois inférieure aux montants que la société avait prévu d’encaisser dans son compte d’exploitation prévisionnel. Les années suivantes confirment un manque à gagner régulier, ce qui conduit dès 2016 l’entreprise à demander une compensation à la collectivité. Cette prime récompense les exploitants de stations d’épuration qui obtiennent de bonnes performances selon des modalités évoluant tous les cinq ans. Elle disparaîtra sous sa forme actuelle en 2025 pour être remplacée par un autre mécanisme, une redevance incitative censée encourager « les exploitants dont les systèmes fonctionnent bien » explique à ram05 l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse. Ce manque à gagner pour Veolia est en partie liée aux performances insuffisantes de ses stations d’épuration, selon le jugement et les éléments transmis à ram05 par l’Agence de l’Eau. Mais puisqu’au moins 5% du non-perçu résulte d’évolutions dans le mode de calcul de la prime, le juge reconnaît à Veolia le droit de demander un réexamen des tarifs, comme le prévoit la convention signée entre les deux parties.
Sauf que le juge rappelle dans la foulée que cette possibilité de réexamen a bien été mise en œuvre, notamment à travers la mise en place d’une Commission Spéciale de Révision, entité composée de trois experts désignés par Veolia, la Communauté de Communes de Serre-Ponçon et le Tribunal Administratif de Marseille. Celle-ci peut-être réunie lorsque les deux parties ne parviennent pas à s’entendre sur une révision des tarifs, ce qui fut le cas après un échec de négociations entamées à l’initiative de la Communauté de Communes de Serre-Ponçon. Veolia s’est en effet saisi de cette opportunité pour faire examiner sa demande de compensation de la prime pour épuration, et les conclusions de la Commission rendues en 2020 allaient dans son sens. Mais rien, dans la convention, n’oblige les parties à accepter ces conclusions, ni à les appliquer, rappelle le jugement. La Communauté de Communes a donc tout simplement fait le choix de les refuser un mois après qu’elles ont été portées à sa connaissance. Ce raisonnement a constitué le principal angle de défense de la Communauté de Communes de Serre-Ponçon dans cette procédure juridique, explique Marc Audier, vice-président en charge de l’assainissement.
C’était notre argument depuis le début et le juge administratif a reconnu qu’il était valable. On avait été un peu déstabilisé par les résultats de la Commission qui s’était réunie auparavant et qui donnait raison à Veolia.
Marc Audier, vice-président de la Communauté de Communes de Serre-Ponçon en charge de l’assainissement
Face à l’ensemble des intérêts que prévoit de percevoir Veolia jusqu’en 2039 au titre des investissements réalisés pour la construction des stations d’épuration depuis 2010, la somme de 512 247 euros pouvait sembler anecdotique. Mais si la décision faisait jurisprudence pour le restant de la concession, la collectivité s’éviterait de débourser jusqu’à quatre millions d’euros.
Membre du bureau de l’Association de Défense des Usagers de l’Eau et de l’Assainissement, Fernando Careira se satisfait de ce jugement à plusieurs titres.
C’est une bonne nouvelle parce qu’elle encourage les élus et les usagers à ne pas renoncer à affronter Veolia sur le terrain juridique quand ils ont des arguments solides pour le faire. C’est aussi une bonne nouvelle parce qu’elle prouve qu’en dépit du blindage juridique de ces contrats, ceux-ci ne sont pas à l’abri de faiblesses qu’il est intelligent d’exploiter pour affranchir de la tutelle qu’ils exercent sur le pouvoir des élus […].
Fernando Careira, membre du bureau de l’Association de Défense des Usagers de l’Eau et de l’Assainissement
Cette bataille gagnée autour de la prime pour épuration, L’ADUEA espère qu’elle donnera un nouvel élan à son combat plus large pour faire baisser les tarifs et donc la facture des usagers voire, à se séparer de Veolia pour l’exploitation de ses stations d’épuration. Pour le vice-président en charge de l’assainissement, une renégociation des tarifs s’envisage, mais pas une rupture de contrat.
Le contrat nous permet de revenir négocier et on ne s’en privera pas, en tout cas pour renégocier les tarifs. Après sur le fond, on a fait travailler des experts et des avocats spécialisés et il s’avère que cela nous coûterait tellement cher de rompre unilatéralement ce contrat, que ce serait au détriment de l’intérêt des usagers.
Mars Audier, vice-président de la Communauté de Communes de Serre-Ponçon en charge de l’assainissement
L’ADUEA attend par ailleurs les élus communautaires au tournant sur le financement de la nouvelle station d’épuration d’Embrun qui doit remplacer la précédente, dont les performances ne répondent plus aux normes actuelles. L’association estime qu’il serait impensable de déléguer une nouvelle fois un tel investissement à Veolia.
En plus des 920 000 euros que les usagers paient déjà [ndlr : chaque année] à Veolia pour lui rembourser le financement des travaux concessifs [ndlr : la construction des nouvelles stations d’épuration de la collectivité de 2010 à aujourd’hui], ils auront en même temps à verser tout autant – sinon plus un peu plus – pour rembourser le financement du renouvellement de la station d’épuration d’Entraygues. Or, le portefeuille actuel des usagers, pour la plupart d’entre eux, ne le leur permet pas puisque le pouvoir d’achat a été tellement malmené ces dernières années, qu’ils auront du mal à supporter cette double charge. Preuve en est, le taux des impayés que Veolia reconnaît tous les ans dans son rapport annuel de délégataire.
Fernando Careira, membre du bureau de l’Association de Défense des Usagers de l’Eau et de l’Assainissement
Si le contrat de concession impose que Veolia soit l’exploitant de l’ensemble des infrastructures d’assainissement de la collectivité, cette dernière peut en revanche décider de garder la main sur leur financement. À propos de celui de la reconstruction de la station d’Entraygues, l’ADUEA et la Communauté de Communes sont en phase car c’est bien l’option retenue à ce jour par les élus communautaires, assure Marc Audier.
Les bureaux d’étude et le service assainissement de la Communauté de Communes ont travaillé sur le sujet et on a eu l’autorisation de la reconstruire sur le même site. Bien sûr que pendant les travaux l’ancienne station continuera de fonctionner et ce sont des contraintes qu’il faudra prendre en compte. Elle sera reconstruite pour être en service en 2028, c’est un coût très important que l’on évalue à quinze millions d’euros. On sort cette reconstruction du contrat, ce sera hors Veolia pour les travaux.
Marc Audier, vice-président de la Communauté de Communes de Serre-Ponçon en charge de l’assainissement