« Marge réelle excessive » , « contrat très protecteur des intérêts du concessionnaire… » comment Veolia assainit (aussi) ses profits grâce aux usagers de l’assainissement de Serre-Ponçon
« Marge réelle excessive » et « masquée », « clause de résiliation dissuasive » pour un « contrat très protecteur des intérêts du concessionnaire ». Les conclusions d’un audit réalisé pour la Communauté de Communes de Serre-Ponçon à propos de sa délégation de l’assainissement à Véolia ne sont pas de bon augure pour la renégociation du contrat qui la lie avec l’entreprise pour 30 ans. Ni pour le pouvoir d’achat des Embrunais.
C’est un audit commandé avant que la Communauté de Communes de l’Embrunais ne devienne Serre-Ponçon, qui dresse un bilan après cinq années de concession. Les résultats n’ont jamais été rendus publics, or, l’Association de Défense des Usagers de l’Eau et de l’Assainissement dans l’Embrunais pressentait que des données lui manquaient pour avoir toutes les clés en main. Si bien que l’un de ses membres, Fernando Carreira a engagé une démarche pour accéder à deux documents : l’audit réalisé par un cabinet lyonnais et les conclusions d’une commission spéciale de révision – mise en place pour trouver un accord entre Véolia et la Communauté de Communes sur une révision du contrat.
Saisie, la Commission d’Accès aux Documents Administratifs émet un avis favorable qui oblige la collectivité à transmettre les documents demandés, mais Fernando Carreira essuie un nouveau refus lorsqu’il se tourne vers la Communauté de Communes de Serre-Ponçon pour les obtenir, avis de la CADA à l’appui.
Grâce à ces documents, l’Association de Défense des Usagers de l’Eau et de l’Assainissement dans l’Embrunais a – entre autres – obtenu confirmation que Véolia réclamait 2,7M€ à la Communauté de Communes au motif que la prime à l’épuration versée par l’Agence de l’Eau avait diminué depuis la mise en place du contrat. Une aberration pour Fernando Carreira.
Mais au-delà des 2,7M€ que réclame Véolia ce sont les 18 années restantes de la concession qui inquiètent l’Association. Le contrat prévoit que Veolia investisse 10M€ pour la création de stations d’épuration sur la durée de la concession. C’est ce qui avait motivé les élus à déléguer la gestion de l’assainissement à un moment où des investissements conséquents devaient être réalisés pour permettre aux communes de l’Embrunais de construire rapidement de nouveaux logements. En contrepartie de ces investissements, Veolia perçoit des intérêts sur le principe d’un prêt classique. Jusqu’ici rien d’anormal. Mais ce que pointent l’Association et l’audit, ce sont les modalités d’amortissement du capital apporté par Veolia. L’audit rapporte notamment que la « méthode retenue [pour l’amortissement] est extrêmement onéreuse », et conduit à « un taux de financement [ndlr : ou taux d’intérêt] très élevé au regard des conditions du marché de l’époque » : 6.5% en taux fixe, quand le Taux Moyen des Emprunts d’Etat se situait à 3.58%. Evidemment le caractère onéreux du prêt n’apparaît pas explicitement et « l’enchevêtrement des clauses techniques et financières notamment sur les conditions de réalisation des travaux […] et leur modalités d’amortissements » rendent le contrat « peu lisible » selon le cabinet lyonnais.
Pour les usagers, le résultat est lui bien visible sur les factures à travers les lignes 1 et 4, la « part investissement », qui contribue à la fois à financer les travaux liées aux stations d’épuration et à rémunérer le capital investi par Veolia.
La présidente de la Communauté de Communes Chantal Eymeoud reconnait le déséquilibre induit par le contrat, expliquant que la Communauté de Communes est en pourparlers depuis plusieurs années avec le délégataire sans qu’aucun accord ne soit trouvé pour renégocier le contrat. En février 2021, Philippe Bourdeaux, directeur Véolia Eau Méditerranée, expliquait sereinement dans les colonnes du Dauphiné Libéré « Nous, on applique le contrat, rien que le contrat ». Une sentence à l’image des négociations en cours, figées. Lors du Conseil Communautaire de Serre-Ponçon du 10 décembre 2021, Chantal Eymeoud n’apparaissait pas très optimiste sur la possibilité de réviser le contrat : « Véolia cherche à négocier un modus vivendi, on va les rencontrer en janvier. À vouloir faire éclater le système on risque de pénaliser nos concitoyens. On a fait le maximum pour essayer de trouver le bon angle d’attaque. Visiblement, le contrat tel qu’il est rédigé, est favorable à Véolia, on l’a signé, la responsabilité, elle est partagée [ndlr : entre les élus signataires]«
Si l’espoir d’une renégociation à l’amiable semble de plus en plus mince, l’Association ne se contentera pas d’une fin de non-recevoir et envisage de changer de méthode. Elle appelle usagers et élus à « marcher main dans la main contre un ennemi commun » et s’apprête à inviter les usagers à ne plus régler les lignes 1 et 4 des factures Odalp.
Coup de grâce, la station d’épuration d’Entraygues devra prochainement être modernisée car elle ne répond plus aux normes en vigueur. Si ces investissements sont à nouveau engagés par Véolia, combien d’intérêts supplémentaires seront facturés aux usagers ? La Présidente de la Communauté de Communes expliquait dans notre émission Parole Donnée du 8 janvier 2022 qu’à ce jour, la réalisation de ces nouveaux travaux en régie a la préférence des élus. Si toutefois les deux scénarios étaient étudiés, une chose est certaine : les conseillers communautaires s’attacheront à ce que la décision finale repose sur le contrat, rien que sur le contrat.