T3 de La Grave : après le départ des Soulèvements, quelle stratégie pour les opposants ?
Du samedi 7 au vendredi 13 octobre, une quinzaine de militants des Soulèvements de la Terre ont occupé une zone du glacier de la Girose où doit être construit le troisième tronçon du téléphérique de la Grave. Leur objectif était d’empêcher le bon déroulement des travaux jusqu’à ce que les conditions météo ne permettent plus aux ouvriers de poursuivre leur travail. Retour sur cette bataille militante et juridique.
En février dernier, le commissaire enquêteur chargé de l’enquête publique émettait un avis favorable sur la construction de ce troisième tronçon. Avec toutefois deux recommandations : faire contrôler la présence de l’Androsace du Dauphiné par un écologue et des services de l’État compétent pour relever sa localisation précise. Et dans le cas où elle serait impactée par l’emprise du pylône, organiser sa « mise en défens ».
Le 3 avril 2023, le permis de construire est délivré avant d’être rapidement attaqué par plusieurs associations de protection de l’environnement (Mountain Wilderness, la SAPN-FNE 05, La Grave autrement, la LPO Paca, Biodiversité sous nos pieds). Deux actions se déroulent en parallèle. Un recours au fond qui remet en cause le projet en lui-même, et une suite de référés visant à mettre en pause les travaux le temps que le jugement au fond soit rendu. Le premier référé a été rejeté par le tribunal administratif de Marseille en juin 2023. Un second référé subit le même sort jeudi 5 octobre, suite à quoi des travaux de mise en défens de l’Androsace du Dauphiné ont débuté. Sans tarder, les Soulèvements de la Terre se sont installés samedi 7 octobre sur le glacier pour bloquer le chantier et les associations ont obtenu un troisième référé qui doit être examiné le 19 octobre. Ce dernier cible la préfecture des Hautes-Alpes, la sommant de d’exiger des études naturalistes plus poussées sur la présence de l’Androsace du Dauphiné et de l’impact du chantier sur cette espèce protégée.
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Selon nos informations, la préfecture n’avait pas demandé l’arrêt des travaux. En revanche la SATG ne souhaitant pas aller à la confrontation, les engins ont été mis à l’arrêt dans l’attente de l’évacuation du campement des militants. Ces derniers ont déclaré lever le camp vendredi 13 octobre, expliquant qu’ils laissaient désormais la neige prendre leur suite.
Le recours au fond, lui, n’a pas encore été examiné.
Selon l’avocat des associations de protection de l’environnement, il le sera au plus tôt dans 8 mois, mais pourrait tout aussi bien l’être dans 18 voire 24 mois. Ce qui fait dire à Niels Martin de La Grave Autrement que la SATA prend des risques à poursuivre ce chantier malgré l’action en justice.
Quelque part la SATA prend des risques à commencer le chantier, en tout cas juridiquement. Parce que même si le permis provisoirement est valable, il n’est pas complètement accordé et elle risquerait de devoir démonter si le recours au fond est accepté. Donc c’est quand même assez dangereux pour eux.
Niels Martin, membre du collectif La Grave Autrement
Une situation qui rappelle celle de la retenue collinaire de la station de La Clusaz en Haute-Savoie. Ce projet rencontre une forte opposition et est devenu un sujet national. Contrairement à ce qui se produit à La Grave, le maire de cette commune de Haute-Savoie a annoncé début septembre la suspension du chantier en attendant le jugement définitif, au fond, du projet. Didier Thévenet expliquait au Dauphiné Libéré ne pas pouvoir « demander à la commune d’engager 10 millions d’euros, [sans savoir s’il serait possible] un jour mettre la moindre goutte d’eau dans cette retenue. »
Les associations à l’origine du recours au T3 de La Grave fondent leur recours sur trois piliers. Premièrement, des doutes sur la rentabilité économique du projet.
Le projet tel qu’il a été présenté a une très grande fragilité économique et peu d’intérêt touristique. C’est le résultat de la première d’une étude alternative qu’on a présenté en septembre 2022. Et donc la justification d’investissement est très faible, voire dangereuse pour les finances publiques.
Niels Martin, membre du collectif La Grave Autrement
La SATG ne conteste pas que le premier calcul de rentabilité était très optimiste puisque l’étude se basait sur un ratio de six euros de retombées sur le territoire pour un euro dépensé dans les remontées mécaniques. Une nouvelle étude, commandée par La Grave Autrement a abaissé ce ratio à 4€ de retombées pour 1€ investi. La dernière, issue de l’étude régionale Climsnow a encore taillé ce ratio en concluant à 3,32€ de retombées pour 1€ investi, nous confirmait la SATG.
Avec ce niveau de rentabilité, Niels Marti assure – sans pouvoir en fournir la preuve – que le projet ne sera amorti que grâce à de nouveaux projets immobiliers portés par la SATA. À l’inverse David Le Guen, directeur de la communication à la SATG déclarait sur nos ondes que même ces retombées moins importantes qu’escomptées permettraient tout de même « de faire vivre le territoire. »
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La Grave Autrement remet également en cause l’impartialité du commissaire enquêteur et par conséquent de l’enquête publique. En effet, comme le confirme ce document consulté par ram05, le commissaire a fait le choix de ne pas prendre en compte tous les témoignages. Face à l’afflux des contributions, notamment par mail, celui-ci a préféré prioriser les contributions du « canton de La Grave ». Sans préciser, fait remarquer Niels Martin, de quelle manière ce tri a été opéré. Car les contributions par mail ne font pas nécessairement apparaître l’adresse de l’expéditeur.
Dernièr argument développé par les requérants : la présence de l’Androsace du Dauphiné sur le site.
[L’Androsace du Dauphiné est une] espèce protégée pour laquelle il n’a pas été déposée de demande de dérogation pour destruction d’espèce protégée, ce qui est normalement la loi pour ce genre de situation.
Niels Martin, membre du collectif La Grave Autrement
De son côté, la SATG conteste que cette fleur serait menacée par le chantier. Les parties s’appuient toutes deux sur les coordonnées GPS transmises par un agent de l’OFB et deux chercheurs qui ont contacté cette fleur sur le site. D’un côté, la SATG assure qu’elle se situe en dehors de la zone d’impact du chantier. De l’autre les associations environnementales arrivent à la conclusion opposée. Toutefois, fait remarquer Niels Martin si la fleur n’était effectivement pas menacée par le chantier, pourquoi avoir organisé des travaux de mise en défens ?
[La SATG] a dit que les travaux actuels étaient pour mettre en défens l’Androsace donc quelque part ils attestent qu’elle se situe bien sur le site d’implantation du chantier.
Niels Martin, membre du collectif La Grave Autrement
À échéances diverses, les requérants ont encore trois cartes à jouer. Dans un futur proche, le référé censé être examiné le 19 octobre. Le blocage par les militants des Soulèvements de la Terre, qui ont déjà annoncé leur intention de revenir au printemps « pour s’assurer que le troisième tronçon ne voit jamais le jour. » Enfin sur le long terme, le recours au fond.
Contactée à deux reprises entre 10 et le 13 octobre 2023, la SATG a indiqué ne pas souhaiter s’exprimer sur la situation pour le moment.