Nouveau record de déchets ramassés sur les berges de Serre-Ponçon, les bénévoles alertent sur l’impact d’anciennes décharges
Comment une bouteille de lait périmée depuis 1978 échoue-t-elle sur les berges du lac de Serre-Ponçon un demi-siècle plus tard ? Les bénévoles ramasseurs de déchets alertent sur le rôle d’anciennes décharges installées à proximité de lits de torrents et dont le contenu refait surface à cause de phénomènes météorologiques de plus en plus intenses.
En 2024, les riverains de Serre-Ponçon ont ramassé plus de 20 m³ de déchets sur les berges du lac. L’équivalent de cinq-cents sacs cabas de supermarché, ou de cent grandes baignoires. Un triste record qui efface celui atteint l’an dernier, 17 m³.
Cela fait huit ans que des bénévoles, soutenus par la LPO, Ligue pour la protection des oiseaux, sillonnent toute l’année le pourtour de la retenue pour la nettoyer de ses détritus. Le groupe est constitué d’un noyau d’une dizaine de personnes, et peut en mobiliser jusqu’à soixante-dix lors d’appels à l’aide ponctuels.
Ce sont les nombreuses crues des derniers mois qui sont responsables de cet afflux exceptionnel, explique Jean-Paul Coulomb, ramasseur invétéré.
L’an dernier à la même époque, d’énormes crues ont ravagé le Guillestrois. Elles ont éventré une ancienne décharge de Guillestre qui était implantée dans le lit d’un torrent. Tous ces déchets sont allés en grande partie dans le Châgne, puis le Guil et la Durance, avant de finir sur Serre-Ponçon où ils se sont concentrés dans la queue du lac du côté de l’arrivée de la Durance. Il est arrivé tellement de bois l’an dernier et tellement de plastique et de polystyrène, que dans certains endroits, lorsque le lac est monté à fond pendant l’hiver, cela s’est déposé et décanté dans des criques inaccessibles. C’est resté là, jusqu’au mois d’octobre où une montée a remis ça en circulation. C’est ce qu’on ramasse ces jours-ci.
Jean-Paul Coulomb, ramasseur de déchets et bénévole du secteur Ecrins-Embrunais de la Ligue pour la Protection des Oiseaux
La commune la plus impactée par cette pollution plastique est celle de Crots, avec trois lieux en particulier : la zone humide du Liou, les secteurs de Chanterenne et de la Garenne, et surtout des Eaux Douces. Savines-le-lac et Embrun ne sont pas épargnées.
Pierre Girard, lui aussi ramasseur de déchet, tient cependant à mettre les choses au point.
Il faut bien remettre le problème dans son contexte : ces déchets viennent de tout le bassin versant de la Durance et de l’Ubaye. C’est à dire qu’un déchet jeté au fin fond du Queyras va se retrouver à la fin dans le lac de Serre-Ponçon et dans 90% du temps s’échouer sur les plages de Crots. Notre dossier n’est donc pas là pour montrer du doigt certaines communes telles que Savines-le-Lac, Crots ou Embrun, mais bien pour faire comprendre que le problème est d’un niveau beaucoup plus grand et que c’est donc l’ensemble des communes du bassin versant qui doivent se mobiliser pour lutter contre cette pollution.
Pierre Girard, bénévole ramasseur de déchets
Et ce sont des paramètres tels que la puissance des crues, le vent et les courants lacustres qui orientent les déchets vers telles ou telles berges.
« Certains objets mériteraient de figurer dans un musée du vieux déchet »
Des déchets parfois surprenants, qui pointent directement vers les anciennes décharges éventrées par des crues de plus en plus violentes, observent les bénévoles. « Plus le temps va passer, plus on va être exposés à des impacts météorologiques importants et donc à des effets d’érosion de ces décharges implantées à proximité des lits des torrents », déplore Jean-Paul Coulomb.
Certains objets mériteraient de figurer dans un musée du vieux déchet. Le top du top c’est une vieille bouteille de lait, marque Bridel, avec une date de péremption au 15 octobre 1978. Ca date un peu et manifestement ça sort d’une décharge.
Jean-Paul Coulomb
On retrouve également pas mal de balles de tennis. C’est l’objet typique qu’on va lancer à son chien, qui finit par ne pas l’attraper et ensuite c’est nous qui la retrouvons quand on ramasse les déchets. On a aussi les bouteilles d’Evian ou de Perrier plutôt rondes, et dont la forme permet de descendre la Durance ou l’Ubaye et de passer par-dessus le bois flotté. Tous les autres objets vont être pris dans le bois flotté, en particulier en-dessous. Ils vont arriver avec les échouages de bois sur les berges mais une grande partie du plastique va couler dans le lac, et celle-là, on ne la retrouvera jamais. Nous, ce qu’on ramasse, ce sont les déchets visibles mais il faut bien avoir en tête qu’il y a une grande partie prise dans les sédiments qu’on ne retrouvera jamais.
Pierre Girard
Au-delà des désagréments esthétiques sur des lieux très touristiques, c’est surtout la destinée du plastique échoué qui doit inquiéter, soulignent les ramasseurs.
Imaginons qu’il n’y ait dans ces décharges que des boîtes de conserve en ferraille au bord du lac. C’est pas un problème, c’est du fer, il finit par rouiller et disparaitre, c’est un élément naturel. Ce qui change complètement la nature du problème c’est qu’on a affaire à du plastique, qui se fragmente à n’en plus finir, jusqu’à devenir du microplastique voire du nanoplastique. Tous ces plastiques finissent dans nos assiettes, et par perturber la biodiversité. Et donc là avec cette histoire de microplastique nous sommes engagés par rapport aux générations futures. Nous avons la responsabilité d’éviter absolument cette prolifération.
Jean-Paul Coulomb
Quelles solutions apporter pour limiter la pollution plastique de Serre-Ponçon et éviter de nouveaux record annuels ?
Il faut couper le robinet en amont, ça c’est clair. Donc il appartient aux collectivités locales de résorber ces vieilles décharges ou de les isoler, les mettre en grande sécurité, en ayant perspective l’éventualité d’événements météo majeurs qui vont être bien plus impactants que ceux que l’on connait actuellement. La deuxième chose c’est d’arriver à se passer le plus possible de certains plastiques à usage unique.
Jean-Paul Coulomb
Pour plus d’informations sur les ramassages de déchets, rendez-vous sur la page Facebook « À vos sacs ramassage des déchets autour de Serre-Ponçon », auprès du groupe local LPO Ecrins-Embrunais, ou sur son dossier 2024.