Biomédias ramassés autour du lac de Serre-Ponçon / Crédit photo : LPO

2023, année record pour la pollution plastique dans le lac de Serre-Ponçon

Record battu : la pollution plastique du lac de Serre-Ponçon a atteint un sommet l’an dernier, ont constaté des bénévoles de la LPO. Les importantes quantités de bois flotté échouées sur les berges complexifient encore plus la situation.

Depuis 7 ans, des riverains de la retenue de Serre-Ponçon s’appliquent à collecter un maximum de déchets plastiques sur le pourtour du lac. Une douzaine de bénévoles constituent le noyau dur de cette équipe, qui est encadrée par la LPO, Ligue pour la Protection des Oiseaux, et les effectifs peuvent monter jusqu’à 40 personnes pour des opérations ponctuelles.

L’an dernier, au moins 150 sorties sur le terrain ont été réalisées, pouvant durer entre 2 heures et une journée entière. C’est l’amont du lac, entre le pont de Savines-le-lac et l’embouchure de la Durance, là où le vent concentre les déchets, qui est la zone privilégiée pour ces ramassages « minutieux et systématiques ». En 2023, le périmètre s’est élargi à la connexion avec l’Ubaye et à des criques accessibles uniquement en canoë.

Jean-Paul Coulomb, bénévole de la LPO, dresse le triste bilan de l’an dernier.

Pour 2023, c'est 15 500 litres comptés. C'est nettement plus que 2021, qui était une année déjà conséquente.

Jean-Paul Coulomb

« L'unité de mesure, ce sont les sacs cabas de supermarché, de 40 litres. Les nôtres sont en général très très pleins : on a fait l'expérience de vider ces sacs dans une poubelle de 80 litres, deux sacs ne rentrent pas, ça déborde.

Simplement, on fait des photos, on compte les sacs et on fait l'addition. Et pour 2023, c'est 15 500 litres comptés. C'est nettement plus que ce qu'on a eu par exemple en 2021, qui était une année déjà conséquente. C'est infiniment plus que 2022 où, faute de crues, d'eau, de neige, on n'a eu que 5 000 litres de déchets dans les lacs.

Pourquoi ? Parce qu'à l'automne, on a eu, comme tout le monde le sait, plusieurs épisodes de crues qui ont ramené des quantités phénoménales de déchets, en particulier de polystyrène expansé », expose Jean-Paul Coulomb.

Voici ce qu’Henri Ripert, également ramasseur régulier de déchets à Serre-Ponçon, jette à la poubelle après une sortie au bord du lac.

Tous les plastiques possibles et imaginables. J'ai ramassé un congélateur.

Henri Ripert

« Tous les plastiques possibles et imaginables, ça va de la tong aux bouteilles en plastique, bouteilles en verre. J'ai ramassé un congélateur, des tubes en polystyrène énormes. Du plastique qui part en complètement petits morceaux, très difficiles à ramasser, d'où l'utilisation de pinces. Alors là, ça devient fastidieux », récapitule Henri Ripert.

Un type de déchet en particulier a rempli les sacs des bénévoles en 2023 : des biomédias, échappés de la station d’épuration de Vallouise lors d’une fuite accidentelle en 2017 selon l’équipe de bénévoles. Au total, 160 000 pièces ont été ramassées depuis 6 ans dont la moitié au second semestre 2023, d’après « un comptage précis effectué sous le contrôle de l’OFB, office français de la biodiversité », explique Jean-Paul Coulomb, de la LPO.

Ce dernier décrit ces petits objets en plastique.

« Des petits cylindres noirs en plastique, perforés. Ce sont des HLM à bactéries qui se sont échappés par accident de cette station d'épuration et qui depuis arrivent sans arrêt. J'étais hier encore sur le lac, à un endroit où le bois était en partie enlevé, remué : depuis quelques jours, on en a plus d'un millier de nouveaux », déplore Jean-Paul Coulomb.

Un volume inhabituel de bois flotté

Les crues exceptionnelles de l’automne dernier ont donc charrié une grande quantité de plastique. Mais elles ont aussi apporté une importante masse de bois flotté.

C’est un paramètre qui rend très difficile la tâche des bénévoles ramasseurs de déchets. On retrouve Jean-Paul Coulomb.

Sur ces amas de bois, vous trouvez des fragments de plastique qui cassent dans les doigts. Ça complexifie le ramassage, et puis les volumes à traiter sont énormes. Le reste du plastique, il est soit à l'intérieur soit dessous. Qu'est-ce qu'il y a ? Ça, c'est le mystère.

Jean-Paul Coulomb

« Le bois ne voyage jamais seul, il y a toujours des passages clandestins.

Les premières choses qu'on voit, c'est du polystyrène expansé, qui est très léger, qui flotte bien, qui est sensible au vent, qui va passer par-dessus les radeaux de bois flottés. Il est accompagné souvent, en moindre quantité, bien sûr, de bouteilles vides qui flottent aussi. Et de balles de tennis. Allez savoir pourquoi, mais on retrouve plein de balles de tennis dans le bois.

Sur ces amas de bois, le plastique a énormément souffert, c'est torturé. Vous trouvez des bidons compactés, fracassés, et des fragments de plastique qui cassent dans les doigts. Ça complexifie le ramassage, et puis les volumes à traiter sont énormes.

Le reste du plastique, il est soit à l'intérieur de ces matelas de bois, pour l'instant on ne le voit pas, ou dessous. Qu'est-ce qu'il y a dedans ? qu'est-ce qu'il y a dessous ? Ça, c'est le mystère », conclut Jean-Paul Coulomb.

À l’heure actuelle, environ 130 000 m³ de bois seraient présent sur et autour du lac de Serre-Ponçon, d’après le SMADESEP, syndicat mixte d’aménagement et de développement de Serre-Ponçon. Des embâcles qui gênent la navigabilité et l’accès à certains rivages.

Comment s’en débarrasser ? Quelles procédures pourront être autorisées ? Et avec quel ressources financières ? Le SMADESEP explique avoir alerté l’État le 6 décembre dernier sur ces sujets et n’avoir pas encore reçu le verdict. Le budget se chiffrerait à 550 000 €, pour un scénario qui ne nécessite pas d’évacuer le bois ailleurs.

Qui doit ramasser le plastique ?

Quant aux déchets plastiques, qu’il soient véhiculés par ce bois ou non, qui doit s’en charger ? Pour Jean-Paul Coulomb, il est anormal qu’il y ait besoin de centaines d’heures de travail bénévole pour gérer cette pollution.

C'est anormal d'avoir autant de plastique qui déboule dans le lac, et c'est anormal que ce soit des bénévoles qui ramassent ces plastiques.

Jean-Paul Coulomb

« Cette présence de plastique dans le lac, c'est quand même une anomalie majeure. On prend ça pour un matériel anodin, mais le plastique, c'est quand même un poison violent pour l'environnement, et pour la santé humaine sous forme de microplastique.

On est dans un phénomène d'anomalie majeure. C'est à la fois anormal d'avoir autant de plastique qui déboule dans le lac, et c'est aussi anormal que ce soit des bénévoles qui ramassent ces plastiques », souligne Jean-Paul Coulomb.

D’après ses statuts, le SMADESEP possède la compétence de « l’évacuation des macrodéchets sur l’eau et les berges », ce qui désignerait donc a priori tout déchet visible à l’œil nu. « On ne met pas ce sujet [de la pollution plastique] sous le tapis », assure Christophe Piana, directeur du syndicat. « On fera tout ce qui est possible de faire, en fonction des moyens qui nous sont accordés en termes de délais et de capacités techniques ».

Une réponse insuffisante pour l’équipe de bénévoles de la LPO, qui pointe que « le plastique abandonné dans la nature » constitue des « bombes à retardement de microplastiques léguées aux générations futures ».

Le SMADESEP précise envisager de financer le ramassage du plastique par la valorisation de déchets organiques, et être en lien avec le SMICTOM de Serre-Ponçon pour un prêt de bennes à ordures.

En attendant, Jean-Paul Coulomb et Henri Ripert se désolent de la tâche interminable qui attend encore les bénévoles de la LPO.

« Si on ne les ramassait pas, à quoi ressemblerait ce lac, avec des dizaines et des dizaines de milliers de litres de plastique accumulés depuis des années ? », interroge Jean-Paul Coulomb.

« Je regrette qu'on n'ait pas fait quelques photos constats avant et après, parce que je pense que ça donnerait une image assez catastrophique. On a l'impression actuellement que le lac est propre. Mais sous les bois, c'est dur, tout ce qu'il reste à faire », soupire Henri Ripert.

Crédit photo : LPO