David Cormand, eurodéputé écologiste : « nous ne sommes pas condamnés à la régression »
Ce samedi, l’eurodéputé écologiste David Cormand, candidat aux élections de juin prochain, est en visite dans les Hautes-Alpes.
Une fois descendu du train de nuit à Briançon, David Cormand se joindra à la journée de la Grande Maraude Solidaire organisée par les associations de soutien aux exilés.
L’eurodéputé se rendra ensuite à Gap, où il est attendu à la librairie La Loupiote de 15h30 à 17h pour une séance de dédicaces de ses livres. Le public pourra enfin échanger avec lui lors d’une conférence-débat au Tempo à 18h.
ram05 s’est entretenue avec David Cormand à l’occasion de ce déplacement.
L’entretien en version audio :
ram05 : Pourquoi avez-vous décidé de venir dans les Hautes-Alpes samedi ?
David Cormand : J’ai été invité par des militantes et des militants locaux pour qu’ils partagent avec moi un certain nombre de combats qui sont menés ici, notamment à propos des migrations, puisqu’il y a un sujet sur l’accueil des personnes migrantes.
On va parler aussi d’agriculture, et d’Europe puisque je suis député européen. Il y a des élections européennes au début du mois de juin, c’est donc l’occasion de parler de ce que fait l’UE, à la fois au niveau global, mais aussi de façon plus concrète pour les citoyennes et les citoyens.
Vous venez en train de nuit : quel regard portez-vous sur les enjeux de mobilité ?
C’est une des compétences importantes de l’UE, et c’est un des enjeux écologiques majeurs. La question des mobilités est importante à la fois pour avoir des alternatives à l’avion quand on fait des distances longues, et à la voiture pour les distances plus courtes.
C’est pour cela qu’on a besoin d’un réseau ferré qui reste opérationnel, avec par exemple le train de nuit que je vais prendre, mais aussi pour les transports du quotidien et pour le transport des marchandises.
Donc la question d’une mobilité alternative à des transports qui utilisent des énergies fossiles, c’est une question qui est évidemment centrale pour nous.
Et donc, en France, on en est proche ou bien il y a encore du travail ?
Il y a recul sur la desserte : on ferme des gares, on réduit le cadencement d’un certain nombre de voies de chemins de fer.
On s’appuie de plus en plus sur la voiture pour pouvoir se déplacer. À tel point qu’aujourd’hui, d’une certaine façon, la voiture qui était présentée comme un objet de liberté pour le plus grand nombre est devenue plutôt une contrainte, puisqu’elle est de plus en plus chère et surtout qu’il n’y a plus d’alternative.
Donc il y a besoin de mener ce combat pour nous libérer de la dépendance à la voiture et ça, ça passe par les infrastructures de transport collectif, dont bien sûr le train.
En tant qu’euro-député, vous allez pouvoir visiter les locaux de la police aux frontières à Montgenèvre. Qu’attendez-vous de cette visite ?
D’abord de voir comment les choses se passent, de discuter avec les fonctionnaires qui ont la charge d’accomplir la mission qui est la leur, de veiller à ce que les personnes migrantes soient traitées de façon digne, satisfaisante, en conformité avec les valeurs que nos affichons en tant que démocratie, en tant que république, en tant qu’Union européenne.
C’est aussi un moment de dialogue avec les associations qui se chargent de faire en sorte que les personnes migrantes soient correctement accueillies, soient en sécurité.
L’agriculture sera un des thèmes de ce déplacement. Dans un contexte où il y a beaucoup de protestations, de mal-être, de colère chez les agriculteurs, quelle solutions portez-vous avec votre parti Les Écologistes ?
D’abord, depuis très longtemps les écologistes se battent pour que, dans la chaîne de valeur de l’agriculture et de l’alimentation, la part la plus importante revienne aux agriculteurs.
Le problème qu’on a aujourd’hui, c’est que dans cette chaîne de valeur, ceux qui s’arrachent la part du lion des richesses produites par la filière agriculture-alimentation sont, en amont, les géants de l’agrochimie, et, en aval, les géants de l’agro-alimentaire et la grande distribution. Via parfois des coopératives qui sont en situation de monopole ou de quasi-monopole. Et donc, le premier combat qu’on mène, c’est qu’il y ait une part incompressible de cette chaîne de valeur qui soit réservée aux agricultrices et aux agriculteurs.
L’autre angle du combat que nous menons, notamment au niveau européen, c’est d’avoir une politique agricole commune, la PAC, qui soit équitable. Aujourd’hui, cette politique agricole commune, c’est environ 60 milliards d’euros à l’échelle européenne tous les ans. Elle est captée à 80 % par seulement 20 % des exploitations agricoles, les plus puissantes et les plus grosses, au détriment des plus petites.
Ce que nous portons aussi, c’est que ce que font les agriculteurs en faveur de l’environnement, les « services rendus à la nature », soient rétribués. Aujourd’hui ils le sont insuffisamment. Quand vous êtes agriculteurs et que vous faites une démarche volontaire facultative, qui va dans le bon sens, vous n’êtes pas rémunéré. C’est une injustice.
Donc on souhaite redonner du pouvoir aux agricultrices et aux agriculteurs, on souhaite abattre ce que j’appelle les nouveaux féodaux, c’est-à-dire ces grandes multinationales de l’agrochimie, de l’agroalimentaire et de la grande distribution, pour que celles et ceux qui travaillent la terre aient le droit à des revenus dignes.
Vous êtes candidat aux prochaines élections européennes. Comment vous y prenez-vous pour intéresser les citoyennes et citoyens à ces élections ? Que leur dites-vous pour leur faire comprendre que c’est important d’aller voter ?
D’abord que l’Union européenne décide de beaucoup de choses. 80 % de ce qui est voté au niveau national c’est ce qu’on appelle la transcription de textes européens. Donc quand on peut choisir aux élections européennes telle ou telle orientation, ça a un impact sur nos vies.
La deuxième chose, c’est que face au désordre du monde, face aux nouveaux défis, qu’ils soient économiques, sociaux et écologiques, c’est souvent à l’échelle européenne qu’on a la masse critique, la capacité d’agir sur la marche du monde. Et donc en tant que citoyens et citoyennes qui voulons être souverains, souveraines par rapport à notre destinée s’impliquer en votant, en choisissant au niveau européen, c’est important.
Puis, dernier élément, les élections européennes, c’est une élection de liste, proportionnelle. Et donc vous avez le choix, il n’y a pas de vote utile. Toutes les voix comptent, quasiment. Si vous choisissez une liste qui une chance de faire plus de 5 %, votre voix compte. Vous avez tellement de listes que vous avez forcément une proposition politique qui ressemble à ce que vous portez, donc faites-vous plaisir. C’est une des élections où vous pouvez voter « pour », vous n’êtes pas obligé d’avoir un vote tactique ou d’essayer de choisir celui ou celle que vous détestez le moins. Vous pouvez vraiment choisir la liste qui vous ressemble le plus, et ça a un effet concret puisque ça permet d’envoyer des parlementaires qui représentent ces idées au niveau européen.
C’est un seul tour, le 9 juin, et vous aurez un large choix donc profitez-en.
Vous allez rencontrer le public d’une conférence-débat à Gap, de quoi sera-t-il question durant ce temps d’échanges ?
On va voir avec les gens qui seront là. Je parlerai de mon travail au niveau parlementaire, j’ai aussi écrit un petit livre sur la publicité, puisque je travaille sur ces questions-là à l’échelle européenne, l’emprise de la publicité, de la surconsommation sur nos vies, ça sera l’occasion d’en parler. Mais j’aime bien dans ces conférences-débats laisser la parole aux gens qui viennent pour voir ce dont eux et elles veulent parler.
Si on fait la démarche de faire ces réunions, c’est plutôt pour avoir un échange qui soit vraiment démocratique, ludique, convivial, pour aborder toutes les questions qui aujourd’hui se posent à nous, et il y en a de nombreuses.
Dans les précédentes rencontres que vous avez faites, qu’est ce qui revient le plus souvent comme questions de la part du public ?
Ces derniers temps, bien sûr, la question agricole a surgi. C’est vraiment la question de la souveraineté.
Et d’ailleurs il y a aussi la question de la souveraineté diplomatique, géopolitique, avec ce qui se passe en Ukraine, ce qui se passe aussi à Gaza avec l’action disproportionnée, c’est le moins qu’on puisse dire, d’Israël contre les civils palestiniens. Il y a toutes ces questions géopolitiques aussi qui reviennent souvent.
Il y a la question aussi de l’inflation, du pouvoir d’achat. Comment on fait pour avoir une économie européenne qui crée de l’emploi, réponde aux enjeux, permette là aussi qu’on soit souverains, et qui génère des revenus qui soient suffisants.
Et puis au-delà, bien sûr, la question climatique, la question de la biodiversité, la question de l’écologie, de répondre aux enjeux écologiques auxquels on est confrontés avec les conséquences du changement climatique. Des conséquences très perceptibles quand on est au bord de la mer, mais aussi quand on est en zone montagneuse, comme chez vous.
Quel regard portez-vous sur le risque de montée en puissance de l’extrême droite dans les élections, et dans celle-ci en particulier ?
Depuis plusieurs années maintenant, et dans de nombreux pays européens, quasiment tous, l’extrême droite menace, monte.
Je pense que la réponse à cela c’est, d’une part, une réponse sur les valeurs. Quand on a l’histoire que nous avons eu dans les différents pays de l’Union européenne, il faut toujours se rappeler que ce qui a construit les différents progrès c’étaient des valeurs positives, ce n’étaient pas des valeurs de rejets de l’autre, de régression, de repli sur soi, que défend très souvent l’extrême droite. Il y a des valeurs aussi de démocratie : aujourd’hui nos démocraties sont menacées par cette tentation régressive.
Je crois aussi qu’il y a des réponses très concrètes qu’il faut apporter, parce que le vote d’extrême droite est le symptôme de nos misères actuelles. Il y a beaucoup de politiques qui ont été menées, et qui sont toujours menées aujourd’hui d’ailleurs, au détriment de l’intérêt général, qui génèrent de la colère, de la frustration, ce qui se traduit par un vote d’extrême droite, de rejet, de colère.
Je résume ces réponses concrètes en trois termes. C’est d’abord réparer. Réparer la société qui est abîmée, réparer les destructions environnementales. C’est protéger. On a besoin d’une force publique qui protège notamment les plus fragiles, y compris les gens qui ont peur de voir leur niveau de vie se dégrader à cause de la crise économique. Et puis préparer. Préparer l’avenir, redonner de l’espoir, redonner des perspectives positives. On n’est pas condamnés à la régression, on n’est pas condamnés au retour en arrière. On a aussi dans nos mains la possibilité de construire un avenir qui soit meilleur pour nos enfants, pour nos petits-enfants, dans un environnement qui soit préservé, et avec un modèle économique et social qui respecte tout le monde.