Le 27 septembre 2024, une extraction réalisée par les services de la ville de Gap a été projetée pour montrer les zones répondant aux critères définis pour l'implantation de la plateforme de compostage

Gap : le projet de plateforme de compostage s’enlise, le maire de plus en plus isolé

Après l’opposition municipale, la Confédération Paysanne, le préfet des Hautes-Alpes, après l’ouverture d’une enquête pour “prise illégale d’intérêt” et “détournement de biens publics”, c’est au tour de la SAFER de mettre son grain de sel dans l’acquisition des 67 hectares de terres au lieu-dit Cristayes par la ville de Gap. Sauf que ce dernier grain a enrayé toute la machine en bloquant la vente, jetant le discrédit sur la gestion d’un dossier crucial sur les plans écologique et financier. Le maire de Gap tente de faire porter le chapeau à l’opposition, qui pointe en retour l’opacité avec laquelle le dossier est mené depuis le début.

Un an après la première délibération visant à acquérir 67 hectares, c’est un quasi-retour au point de départ. En révisant le prix du terrain à 400 000 euros – contre les 2,1 millions proposés initialement, puis les 1,6 millions votés le 14 juin dernier via une seconde délibération – la SAFER a complètement rebattu les cartes du jeu. Si la vendeuse accepte le nouveau montant, la ville de Gap pourrait poursuivre son projet de plateforme de compostage et économiser au passage 1,7 million d’euros. Mais si Madame Roussin Bouchard refuse le prix ou le conteste au Tribunal Administratif, un nouveau terrain devra être, sauf à temporiser pour une durée indéterminée que la justice administrative rende son jugement. Oui mais il y a urgence, a soutenu Roger Didier en conseil municipal le 27 septembre, insistant sur l’importance du projet pour portefeuille des habitants.

Aujourd’hui, nous sommes pris par une entreprise monopolistique au Beynon. Je rappelle quand même que l’année 2023 nous a coûté 845 000 euros de plus. En deux années, les déchets que nous portons au Beynon ont doublé en matière de traitement. Ils ont également doublé au niveau du transport. Certes, ça ralentit un peu parce que l’énergie coût un peu moins chère. Mais qui peut dire que demain ce sera encore le cas ?

Veolia – la société monopolistique à laquelle fait allusion Roger Didier sans la nommer – exploite en effet le seul site d’enfouissement du département, à Ventavon. Le pouvoir de négociation des collectivités sur les tarifs du traitement des déchets ultimes est très limité. Le maire de Gap omet en revanche de rappeler qu’une part importante de l’envolée des prix est aussi liée à l’augmentation d’une taxe1 sur l’enfouissement et l’incinération. Une hausse censée inciter les collectivités et habitants à réduire la quantité de déchets partant aux ordures ménagères notamment en favorisant le tri des biodéchets. Pour cela, encore faut-il que les collectivités proposent une solution de tri à la source des biodéchets aux habitants2 : un réseau de points d’apport volontaire ou un système de collecte en porte à porte, puis un acheminement vers une plateforme de compostage. Alors que la plupart des collectivités du département ont déjà un plan, voire, ont déjà déployé composteurs grutables, points d’apport volontaire et camions de collecte, le Gapençais est encore loin des objectifs de la loi Anti-Gaspillage et Économie Circulaire qui prévoit qu’à compter du 1er janvier 2024, chaque collectivité ait déployé une solution de tri à la source des biodéchets.

Élue d’Ambition pour Gap, Charlotte Kuentz a souligné en conseil municipal ce manque d’anticipation de la part de la municipalité.

Quand on n’a pas compris un enjeu – et le coût que ça allait avoir – dans les temps, forcément ça devient douloureux au niveau financier. Et c’est ce qu’on vit aujourd’hui. Vous nous expliquez par exemple qu’on débourse 800 000 euros de plus chaque année. Il y a de nombreuses collectivités territoriales qui ont anticipé depuis une quinzaine d’années et qui ne sortent pas les coûts qu’on sort. Donc oui, aujourd’hui on est coincé.

Ambitions pour Gap comme Gap Autrement souhaitent voir aboutir cette plateforme de compostage, mais pas à n’importe quel prix, et à condition de disposer de toutes les informations. De son côté, Roger Didier joue sur la position délicate de l’opposition pour leur faire porter la responsabilité du blocage. À plusieurs reprises, le maire les a invité à travailler avec la majorité, à être « solidaires » sur ce dossier. Roger Didier a assuré qu’aucun autre terrain ne répondait parfaitement à l’ensemble des critères attendus, en projetant une extraction au conseillers municipaux, commentée par le directeur des services techniques Jean-Paul Cattarello.

L’ordinateur a traité les données une partie de la matinée pour faire cette extraction car elle assez compliquée et prend en compte de multiples critères. L’extraction est complètement objective et là vous avez sous les yeux les zones qui répondent à ces critères : plus de cinq hectares, plus de quatre cents mètres d’une habitation, moins de dix kilomètres de la station d’épuration, hors-zones Natura 2000, ZNIEFF [Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique] et zones rouges du PPR [Plan de Prévention des Risques Naturels]

Après extraction, sont sortis de la machine : le terrain de Cristayes, deux zones entièrement boisées sur Châteauvieux et Jarjayes, des vergers et vignes sur la route de Jarjayes, quelques zones inférieures à cinq hectares, et une dernière.

Ici, au-dessus de la commune de Pelleautier, on a a une zone équivalente à celle de Cristayes, plus compliquée en termes de cheminement. Et l’avantage de la zone de Cristayes c’est que cette propriété est à vendre. Les autres ne le sont pas, en tout cas pas à notre connaissance. On n’a pas eu de contact avec les propriétaires.

Avec cette carte « réalisée le jour même pour justifier un achat à 2,1 M€, réagit Charlotte Kuentz auprès de ram05, il est difficile d’être convaincu, hormis sur le fait qu’on travaille à l’envers, qu’on essaye de justifier à tout prix le choix de ce terrain. » D’autres d’autres aspects techniques n’ont pas encore été suffisamment étudiés selon elle, comme « l’accès au site : sa possibilité de réalisation en question de sécurité, de coût ; son coût global. » Même scepticisme chez Gap Autrement, Elie Cordier explique qu’il ne «  ne peut pas se prononcer sur une carte présentée de but en blanc, à laquelle les conseillers n’ont pas eu accès avant, avançant que ce travail aurait dû être fait il y a un an, avant de présenter la première délibération, en posant clairement les critères définis pour le terrain. »

Devant le conseil municipal, le maire a assuré que la SAFER avait sollicité une rencontre, pour voir « comment faire évoluer ce dossier ». Contacté, le directeur de la SAFER précise à ram05, qu’en effet, ses services sont prêts à le rencontrer, comme cela a toujours été le cas depuis un an.

Avançant jusqu’à présent en solitaire sur ce dossier, le maire de Gap semble désormais contraint de coopérer depuis le camouflet infligé par la révision de prix. Un peu auparavant, un autre revers a confirmé l’isolement de Roger Didier toujours plus grand dans cette affaire, une seconde lettre d’observation du préfet des Hautes-Alpes, que ram05 a pu consulter. Celle-ci relève les failles dans la méthode employée pour l’acquisition du terrain, et notamment l’insincérité du motif de la délibération du 14 juin. Celle-ci justifie une nouvelle fois l’achat par le maintien d’une ceinture verte en périphérie de la ville de Gap sans évoquer le projet de plateforme de compostage pourtant dévoilé publiquement. Le préfet pointe également le fait que la compétence « déchets » relève de la Communauté d’Agglomérations, et donc que la façon dont le terrain serait mis à sa disposition par la ville de Gap mérite des clarifications.

Contacté le 23 septembre et relancé le 4 octobre 2024, le maire de Gap n’a pas répondu à nos sollicitations.

1 La TGAP doit passer de 25€ la tonne en 2020 à 65€ en 2025

2 La mise à disposition de solutions de tri des biodéchets à la source pour les particuliers par les collectivités est devenue une obligation au 1er janvier 2024