Tri des biodéchets : Guillestrois-Queyras Argentiérois en tête, Briançonnais innovant… où en sont les collectivités ?
Le 1er janvier 2024 marque une étape dans la valorisation des biodéchets. À partir de cette date, les collectivités devront avoir mis à disposition des particuliers et entreprises des solutions de tri à la source des biodéchets. Un objectif loin d’être atteint. En 2021, seuls 6,3 % des Français avaient accès à une collecte séparée des biodéchets. Les Hautes-Alpes font plutôt partie des bons élèves, avec des disparités marquées, à la fois dans l’avancement et dans les stratégies envisagées. Tour d’horizon des solutions retenues dans les Hautes-Alpes.
Les collectivités ne sont pas en avance mais ce ne sont pas les seules. En effet, le décret d’application de la loi n’est pas encore paru, ce qui entretient un flou autour de cette obligation. Pauline Debrabander, coordinatrice des campagnes pour Zero Waste France.
La loi dit que les collectivités doivent mettre en place le tri à la source mais ne fixe pas les conditions. […] Est-ce qu’installer trois composteurs pour 10 000 habitants c’est suffisant ou pas ? Forcément nous, associations, on dit que non puisque ça ne suffit pas à couvrir tout le monde. Mais la loi ne le précise pas.
Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes Zero Waste France
Zero Waste France constate que ce flou règlementaire se retrouve dans la compréhension de ces nouvelles obligations par les Français.
Il y a beaucoup de confusion à l’heure actuelle. Les citoyens ont parfois l’impression que c’est eux qui vont devoir trouver eux-mêmes des solutions. […] Mais en soi c’est aux collectivités de les aider à mettre en place ces différentes solutions, que ce soit le compostage domestique, partagé, ou une collecte séparée des biodéchets directement.
Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes Zero Waste France
On distingue trois principales solutions de tri : le ramassage en camion en porte à porte ou sur des points d’apport volontaires, et le compostage de proximité, qui peut se faire en autogestion ou avec un entretien assuré par du personnel. Selon l’ADEME, la distance à parcourir pour se rendre à un point de dépôt est une donnée essentielle pour entraîner un maximum d’habitants dans le tri des biodéchets. C’est pourquoi Zero Waste France préconise le porte à porte.
Chez les collectivités les plus ambitieuses, même en essayant de toucher le maximum de la population, du moment qu’il y avait cet effort de volonté [ndlr : pour se rendre à un point de dépôt] on ne touchait que 38% de la population. Donc il y a vraiment un fossé entre la collecte en porte à porte et la collecte en point d’apport volontaire.
Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes Zero Waste France
Problème, le porte à porte est non-seulement la solution la plus chère , mais aussi la moins adaptée aux territoires ruraux. Car plus la densité de population diminue, plus les trajets des camions augmentent, et avec, les émissions de gaz à effet de serre. À l’inverse le compostage individuel – quand il est possible – et de proximité reste la solution idéale sur le plan écologique, indique Audrey D’Heilly, chargée de mission prévention des déchets pour la Communauté de communes du Sisteronais-Buëch.
L’intérêt des composteurs partagés sur lesquels il n’y a pas de collecte, c’est qu’en termes d’impact écologique on est très bon. Tout est fait sur place, donc c’est vraiment une économie hyper-circulaire. […] Le déchet reste sur place, il n’est jamais transporté et ressert pour nourrir le sol in situ.
Audrey D’Heilly, chargée de mission prévention des déchets pour la Communauté de communes du Sisteronnais-Buëch
Dans les Hautes-Alpes, où les écarts de densité de population entre centre-bourgs et hameaux sont importants, la plupart des collectivités ont opté pour des solutions mixtes.
« Il n’y a pas de solution magique valable pour tout le monde » résume Anne Chouvet, la présidente du SMITOMGA, en charge de la gestion des biodéchets pour les Communautés de communes du Guillestrois-Queyras et du Pays des Ecrins. Dans le Guillestrois-Queyras et l’Argentiérois, tout commence il y a douze ans, avec la distribution de composteurs individuels, puis l’installation de composteurs partagés. Anne Chouvet résume la stratégie imaginée par le syndicat.
Ce qu’on essaye de faire, c’est qu’à chaque point de tri – c’est à dire le coin où sont rassemblés tous les conteneurs ordures ménagères, verre et parfois papier et encore plus exceptionnellement carton – on trouve aussi des composteurs partagés. Comme ça nos déchets, on peut les jeter tous au même endroit.
Anne Chouvet, présidente du SMITOMGA
Aujourd’hui, 100 composteurs partagés maillent le Guillestrois-Queyras et l’Argentiérois. En 2023, 75 tonnes de biodéchets ont été détournés des ordures ménagères. Le tout sans transport en camion et majoritairement en auto-gestion. Victime de son succès et face à l’augmentation des tonnages, le SMITOMGA devra bientôt faire régulièrement intervenir du personnel pour s’assurer que la maturation se passe correctement, même si l’objectif est de maintenir un maximum d’autogestion des sites.
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Le SMITOMGA part avec une longueur d’avance dans la couverture de son territoire en solution de tri, mais le Briançonnais a été pionnier dans la mise au point d’un système innovant, capable d’absorber les pics de fréquentation touristiques tout en réduisant au strict minimum les transports en camion.
La régie intercommunale qui assure la gestion des déchets dans le Briançonnais s’est lancée il y a dix ans dans le compostage individuel et de proximité. À l’annonce des nouvelles obligations, la régie a choisi de s’appuyer sur l’expérience de la gestion volontaire par quartier pour mener une étude durant l’année 2022 afin d’évaluer si le principe du compostage in situ était toujours la solution la plus pertinente, ou si d’autres choses pouvaient être développées.
Vincent Etourmy, responsable du service de gestion et de valorisation des déchets du Brianconnais, explique qu’à ce moment-là, peu d’opérateurs privés étaient capables de faire une collecte porte à porte des biodéchets en bacs classiques et que la flotte de camions de la régie n’était pas équipée pour ça. Par ailleurs, les services ont la conviction que « si on rend obligatoire le tri à la source des biodéchets, c’est pour avoir quelque chose de circulaire et avec un moindre impact écologique, le moins de consommation possible d’énergie fossile et d’eau », indique Vincent Etourmy, précisant que le lavage des colonnes ou des bacs classiques de ramassage est très gourmand en eau. La régie du Briançonnais décide d’écarter les options « porte à porte » et « colonnes » pour poursuivre le développement des points d’apport volontaires, en mettant au point un système alors inédit dans le département.
Le principe du composteur partagé est amélioré grâce à une coopération avec un partenaire privé, afin d’être à même de répondre aux pics d’affluence liés au tourisme. L’équation à résoudre : des composteurs dimensionnés pour les seuls habitants déborderaient en saison haute tandis que des composteurs surdimensionnés ne matureraient pas correctement en basse-saison faute d’apports suffisants. Le principe du composteur « grutable » est donc expérimenté. Ce bac, dans lequel les biodéchets peuvent maturer moyennant un suivi régulier, a la possibilité d’être vidé par camion en cas de trop-plein. La solution optimale pour limiter au strict minimum les transports des matières organiques, tout en absorbant les pics d’apport liés aux périodes de pointe.
Aujourd’hui, 113 composteurs partagés sont déjà déployés sur les points d’apport volontaires de la Communauté de communes du Briançonnais. À terme, la régie veut atteindre les 300, avec un objectif intermédiaire de 150 à la fin 2023. Vincent Etourmy fait remarquer que les investissements, 550 000€ pour l’ensemble du programme seront largement amortis. D’une part, ce programme a bénéficié d’un taux de subventionnement de 80 %. D’autre part, la Communauté de communes s’est fixée l’objectif – « prudent » selon Vincent Etourmy – de détourner à terme 750 tonnes de biodéchets par an. À 400€ la tonne enfouie, la régie devrait économiser 300 000€ par an, sans compter l’augmentation à venir de la taxe sur les déchets (TGAP). Le responsable du service de gestion et de valorisation des déchets du Briançonnais précise qu’un suivi des points de compostage sera assuré au moins une fois par semaine.
À l’autre bout du département, dans le Sisteronnais-Buëch, la Communauté de communes a adopté un raisonnement relativement proche.
Avec 60 communes et 17 habitants au kilomètre carré, le Sisteronnais-Buëch doit composer avec des centre-bourgs tels que Sisteron (7000 habitants) et Laragne-Montéglin (3500 habitants), et plus d’une vingtaine de communes comptant moins de 100 habitants. Audrey D’Heilly, chargée de mission prévention des déchets, décrit le plan établi.
Ce qui a été choisi, c’est de travailler sur le compostage collectif, en cœur de village, en pied d’immeuble. L’idée c’est d’avoir à minima un composteur collectif par commune, et de multiplier le nombre de composteurs nécessaires en fonction de la densité de population. Sur Sisteron par exemple, une dizaine de composteurs vont être installés prochainement. Sur les plus petits villages, en général, c’est une aire de compostage partagée assez centrale dans le village.
Audrey D’Heilly, chargée de mission prévention des déchets pour la Communauté de communes du Sisteronnais-Buëch
26 aires de compostage partagées sont déjà en place. Objectif à terme : à minima une par commune soit une soixantaine, et une dizaine supplémentaire à Sisteron.
En parallèle, la Communauté de communes du Sisteronnais Buëch expérimente elle-aussi les composteurs grutables dans un quartier de Laragne-Montéglin.
L’idée c’est d’avoir un maillage assez serré de composteurs collectifs grutables sur cette zone là. Le fonctionnement ressemble au compostage collectif classique, sauf que si ça se remplit vite on a la possibilité de pouvoir le gruter avec nos camions de poubelles pour l’emmener en maturation sur une plateforme de compostage qu’on a créée sur la déchetterie de Ribiers.
Audrey D’Heilly, chargée de mission prévention des déchets pour la Communauté de communes du Sisteronnais-Buëch
Autre projet en maturation, la mise en relation des gros producteurs de biodéchets et des agriculteurs en demande de compost.
L’idée ce serait de pouvoir faire appel aux agriculteurs locaux qui ont des espaces dans les champs disponibles pour faire du compostage de biodéchets alimentaires et de déchets verts en bout de champs, que eux puissent s’approprier ensuite.
Audrey D’Heilly, chargée de mission prévention des déchets pour la Communauté de communes du Sisteronnais-Buëch
Un fonctionnement autonome et en circuit court qui présente deux avantages : des économies pour les professionnels qui n’ont plus à recourir à des prestataires pour traiter leur biodéchets et du compost mis à disposition en grande quantité pour les agriculteurs. Parallèlement, la Communauté de communes du Sisteronnais-Buëch poursuit son travail de sensibilisation à la lutte contre le gaspillage alimentaire dans la restauration collective et chez les professionnels.
La Communauté de communes de Serre-Ponçon se démarque en choisissant les colonnes.
Parmi les collectivités qui ont répondu à nos sollicitations, la Communauté de communes de Serre-Ponçon fait figure d’exception en optant pour le système de colonnes. Contrairement aux composteurs grutables, les colonnes ne permettent pas la maturation sur site et doivent être ramassées et vidées obligatoirement une fois par semaine en camion. Au total, d’ici à fin 2024, le Communauté de communes veut en déployer 32 dans les communes bordant la route nationale en partant du centre de Chateauroux-les-Alpes jusqu’à Chorges, sur des points d’apports volontaires en centre-ville, à proximité des principaux foyers de production, précise le SMICTOM, le syndicat en charge de la gestion des déchets sur Serre-Ponçon. Les composteurs partagés, au nombre de 35 à l’heure actuelle, vont être étendus. Le SMICTOM compte atteindre les 60 fin 2024.
La mise en place de la redevance incitative entraine une réduction moyenne de 41 % de la quantité d’ordures ménagères résiduelles
Les collectivités contactées ont toutes un plan pour se mettre, à terme, en conformité avec les obligations du 1er janvier 2024. Mais si loi impose aux collectivités de mettre à disposition une solution de tri à la source, rien dans la loi ne contraint les citoyens à s’en servir. La réussite du tri des biodéchets repose à ce jour sur une alchimie complexe entre sensibilisation, bonne volonté des habitants et effort à fournir pour trier, ce dernier dépendant de la solution de tri déployée par la collectivité. Pour inciter à adopter cet écogeste un outil a fait ses preuves, rappelle Pauline Debrabender de Zero Waste France.
Chez Zero Waste France on remarque qu’il y a des exemples de territoires qui ont expérimenté pas mal de choses. Notamment à Besançon, le syndicat de collecte a mis en place le tri à la source des biodéchets dès 2011 ou 2012, et l’année suivante il a opté pour la tarification incitative. Et en fait, les deux conjugués, mis en place à peu près en même temps, ça a permis d’ancrer dans les pratiques ce tri à la source. D’inciter les gens à trier les biodéchets, et de faire un suivi plus régulier du coût pour chaque habitant des ces biodéchets et de réduire la facture à la fin.
Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes Zero Waste France
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La tarification incitative reste un outil relativement impopulaire. Pourtant, l’ADEME a montré qu’il permettait de réduire rapidement et drastiquement la quantité d’ordures ménagères résiduelles, et par conséquent le coût moyen de la redevance pour les habitants. Dans un rapport paru en 2021, l’agence rapportait qu’en moyenne, la mise en place de la redevance incitative entrainait une réduction de de 41 % la quantité d’ordures ménagères résiduelles et une augmentation de 30 % de la collecte des emballages et papiers. Dans les Hautes-Alpes, le Guillestrois-Queyras s’est lancé dans cette démarche depuis plusieurs années. Déjà en phase de test, la redevance incitative y sera effective à partir de 2024.