Veolia Odalp : le parquet de Gap se saisit de l’affaire, France Nature Environnement attaque en justice
Une enquête préliminaire est ouverte et une plainte a été déposée à l’encontre de la société Veolia suite aux révélations de ram05 et Mediapart sur des défaillances et dissimulations de données aux autorités dans les stations d’épuration de l’Embrunais. Dans le même temps, Veolia a fait appel du jugement qui donnait raison au lanceur d’alerte et la Communauté de Communes de Serre-Ponçon consulte son conseil juridique, ont appris ram05 et Mediapart.
À l’origine de ces révélations, Hervé*, ancien salarié de Veolia dans l’Embrunais de 2020 à 2023, a été reconnu lanceur d’alerte par les Prud’hommes de Gap fin janvier. Les conseillers ont jugé que son licenciement était une mesure de représailles pour les dysfonctionnements qu’il a dénoncés en interne puis auprès d’autorités externes. Veolia a fait appel du jugement.
La procureure de la république de Gap a confirmé à ram05 et Mediapart avoir ouvert une enquête préliminaire, confiée à l’Office Français de la Biodiversité qui a commencé à auditionner des protagonistes. Contacté, Veolia n’a pas souhaité apporter de commentaire.
En parallèle, les antennes régionale et départementale de France Nature Environnement ont déposé début mars une plainte commune au parquet de Gap pour dénoncer une « mauvaise gestion systémique et dissimulée des stations de l’Embrunais » susceptible de constituer des infractions au Code de l’environnement. Au-delà de l’épisode de pollution du 1er novembre 2022, particulièrement marquant, la plainte de FNE PACA et de la SAPN-FNE 05 est élargie à l’ensemble des dysfonctionnements mis en lumière par Hervé.
Manquements et dissimulation de dysfonctionnements
L’autosurveillance est un protocole permettant d’évaluer les performances de traitement des eaux usées en comparant la qualité de l’eau en entrée et en sortie de station. Il consiste à prélever des échantillons sur 24 heures selon un calendrier défini annuellement avec la Police de l’eau, qui est destinataire des résultats des mesures. Comme l’ont révélé ram05 et Mediapart, une série de documents internes à Veolia attestent que l’entreprise a sciemment modifié des données relatives aux autosurveillances. En 2021 et 2022, cinq exemples sont documentés et repris dans la plainte par FNE, qui souligne qu’à plusieurs reprises de faux prétextes ont été donnés à la police de l’eau pour décaler avantageusement les mesures en cas de résultats non-conformes.
Une autosurveillance est oubliée par l’équipe ? Veolia déclare un « préleveur obstrué » pour reporter les mesures. Une pompe de chlorure ferrique (principal réactif utilisé dans le traitement des eaux usées) désamorcée entraîne un mauvais traitement durant plusieurs jours avant l’autosurveillance ? La même excuse est avancée pour reprogrammer le protocole. À l’inverse, le 30 août 2021, des résultats non-conformes sont relevés sans que l’origine du du mauvais traitement n’ait pu être identifiée. Contrainte de fournir une justification, l’entreprise déclare qu’une pompe de chlorure ferrique serait désamorcée alors que celle-ci fonctionnait correctement, selon FNE.
Les associations plaignantes dénoncent une pratique plus systémique encore : les mesures de débits entrants et sortants de la station d’épuration des Orres sont régulièrement modifiées par Veolia. En effet, les exploitants sont tenus de fournir cette donnée pour évaluer le volume d’eau traité et garantir l’absence de fuites. Un écart maximum toléré de 10 % est toléré. Au-delà, l’entreprise est tenue d’envoyer une fiche de non-conformité. Comme l’avaient révélé ram05 et Mediapart, l’équipe de l’Embrunais se voyait régulièrement demander par sa hiérarchie de modifier les chiffres relevés. Selon les documents consultés, 30 % des données auraient été modifiés sur 10 ans.
La plainte relève également la modification systématique d’un taux de concentration des boues pour compenser un encrassement de conduite qui faussait les mesures, ou encore le dysfonctionnement d’une pompe de chlorure ferrique durant deux mois suite à un renouvellement d’équipement, lequel aurait impacté le traitement au point de « pouvoir atteindre des données rédhibitoires ».
France Nature Environnement indique disposer de preuves que « la dissimulation des données non conformes est volontaire puisque celles-ci sont modifiées (« corrigées ») avant transmission à la police de l’eau. » Cet obstacle aux fonctions exercées par la police de l’eau constitue un délit au sens de l’article L.173-4 du code de l’environnement, avancent les plaignants.
Déversement accidentel de chlorure ferrique
Mi-janvier, ram05 et Mediapart révélaient aussi comment Veolia avait volontairement omis d’informer les autorités d’un incident d’exploitation survenu le 1er novembre 2022, lors duquel 3200 litres de chlorure ferrique se sont écoulés dans la station d’épuration d’Embrun, l’équivalent de la consommation du mois entier en 23 heures. Dans une réponse apportée à ram05 et Mediapart, Veolia assure que ce produit, hautement toxique au-delà d’une certaine concentration, a été confiné et neutralisé dans la station, ce que contredisent deux témoignages d’anciens salariés recueillis par ram05 et Mediapart qui avancent que sans intervention humaine durant cet épisode, le chlorure ferrique est forcément parti dans la Durance.
Ne pas avoir déclaré l’incident « a fait obstacle à toute réalisation de prélèvements et de constats sur la mortalité piscicole dans la zone impactée », considèrent les plaignants. Interpellée par un citoyen Embrunais sur cet épisode de pollution, la Direction Départementale des Territoires (DDT) confirme dans un courrier consulté par ram05 et Mediapart ne pas avoir été informée de cet incident, mais assure, calcul à l’appui, que le débit de la Durance durant l’incident était suffisamment élevé pour que les concentrations d’écotoxicité ne soient pas atteintes. Cependant, l’administration, contrairement à Veolia, estime que cet incident aurait dû être porté à sa connaissance.
À propos de l’absence d’impact environnemental revendiqué par Veolia suite à des tests et constats sur site que l’entreprise a effectué en interne le lendemain de l’événement, FNE s’appuie sur la jurisprudence pour rappeler « qu’il est sans incidence qu’aucune mortalité de poisson n’ait été constatée, le délit étant constitué dès lors que le prévenu a laissé s’écouler dans le cours d’eau des substances nuisibles au poisson ou à son habitat ». Au-delà de l’éventuel impact environnemental, les plaignants mettent là-aussi en avant un délit d’obstacle au pouvoir de constatation des infractions de la police de l’eau. Dans sa lettre, la DDT promet « un contrôle sur site […] afin de [s’]assurer du respect des procédures de traçabilité de ce type d’événement ».
La Communauté de Communes de Serre-Ponçon cherche un angle d’attaque
Chez les élus locaux, l’affaire suscite aussi des réactions. Le conseil municipal de Chateauroux-les-Alpes, dont le passage en délégation de service public en 2010 avait déjà suscité des débats houleux – a voté une motion à l’unanimité le 27 février 2025. Les conseillers municipaux demandent « des réponses claires » à la Communauté de Communes de Serre-Ponçon ainsi que « des investigations approfondies sur les impacts en termes de sécurité, d’environnement et sur les finances publiques ».
Le vice-président de la Communauté de Communes de Serre-Ponçon en charge de l’assainissement Marc Audier explique avoir transmis le dossier à l’avocat de la collectivité afin de « voir comment exploiter ce contentieux et appliquer les pénalités prévues au contrat ». De même, un cabinet a été désigné pour faire réaliser un audit complet sur l’état des équipements, sur « tout ce qu’il se passe dans la station ». À ce jour, la collectivité n’envisage pas de déposer de plainte.
* le prénom a été modifié