Une étude inédite examine l’efficacité des canons à neige face au réchauffement climatique
Quel sera l’impact du réchauffement climatique sur les stations de ski ? Cette question, de plus en plus cruciale pour le secteur du tourisme hivernal, est aussi inévitablement source de tensions.
Le 28 août dernier a été publiée à ce sujet l’étude scientifique la plus complète à ce jour, inédite par son ampleur et sa précision. Quel intérêt représente la neige artificielle ? Comment les sports d’hiver contribuent-ils eux-mêmes aux émissions de gaz à effet de serre ? À quel point le modèle économique des stations peut-il résister au risque climatique ? C’est sur cette série de problématiques que ce sont penchés les chercheurs et chercheuses.
Décryptage de leurs travaux avec l’un d’entre eux : Hugues François, ingénieur de recherche à l’INRAE, l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, au sein du LESSEM, laboratoire écosystèmes et sociétés en montagne, basé à Grenoble.
Quelle est la genèse de l’étude ?
La relation entre réchauffement climatique et enneigement des stations est un sujet de recherche sur lequel l’INRAE et Météo France se penchent depuis une décennie. Les deux institutions ont développé au fil du temps une série d’outils et ont de nouveau collaboré sur cette dernière étude, publiée dans Nature Climate Change. Cette fois-ci, celle-ci a été conduite à l’échelle de l’Europe, sur plus de 2 230 stations, réparties sur 18 massifs, dans 28 pays, en prenant en compte plus largement qu’auparavant les tenants et aboutissants d’un réchauffement des températures.
Hugues François présente les objectifs de l’étude.
L’objectif premier est d’essayer de mieux comprendre ce qui va se passer avec l’évolution du climat. On avait une volonté d’étendre nos outils déjà existants à l’ensemble des stations européennes pour essayer de saisir toute la diversité des impacts, et de permettre aux stations de faire des choix de développement. C’est un enjeu majeur pour elles de savoir jusqu’à où on va pouvoir continuer à porter cette filière neige, quelles en sont les limites.
Hugues François
Avec ce papier, les scientifiques espèrent pouvoir faire reposer le débat public sur des bases objectives.
La particularité de la production de neige aujourd’hui c’est qu’elle fait beaucoup débat. Ça se voit très bien ne serait-ce que dans la guerre des mots entre « neige artificielle » et « neige de culture ». On a le sentiment que ce débat très passionné limite la possibilité de prendre du recul. Donc, ce qu’on essaie de faire, c’est d’avoir des éléments objectifs qui ne soient pas partisans et de dépassionner les débat pour avoir des échanges constructifs.
Hugues François
Sur quelles données et quels outils se base l’étude ?
Sur le plan géographique, les chercheurs et chercheuses se sont servi de l’outil libre OpenSkiMap, dérivé d’OpenStreetMap, pour recenser les domaines skiables et leurs caractéristiques, et d’un modèle numérique de terrain mis à disposition par l’Union Européenne pour décrire la configuration des stations.
Et du côté climatique, l’étude se base sur les projections globales du GIEC, groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, déclinées à l’échelle européenne, et couplées à des données locales pour pouvoir être utilisées sur chaque domaine skiable.
Deux modèles, celui de la configuration spatiale des stations et celui de l’enneigement, ont ensuite été croisés.
La particularité de l’étude est ainsi de partir d’analyses individuelles puis de les agréger pour dresser un tableau à échelle du continent européen.
Comment synthétiser les résultats ?
Les scientifiques ont choisi de présenter les résultats selon différents scénarios de réchauffement planétaire par rapport à l’aire pré-industrielle, notamment pour 2, 3 ou 4 °C de plus. Le réchauffement local, par exemple déjà de +2 °C dans les Alpes contre +1,2 °C au niveau planétaire, est pris en compte par une opération de débiaisage.
Ensuite, comment définir le risque de faible enneigement ? En comparant à une période de référence, de 1961 à 1990, lors de laquelle les hivers difficiles de chaque station correspondent à ceux susceptibles de revenir 1 an sur 5. En fonction de l’ampleur du réchauffement, la récurrence de ces situations permet de calculer le niveau de risque. Celui-ci est indétectable s’il est similaire à celui de la période de référence, et il est considéré comme très haut si les hivers difficiles reviennent 1 an sur 2.
Enfin, les résultats sont déclinés selon plusieurs cas de couverture en neige artificielle, de 0 à 75 %.
Quel est le verdict ?
Hugues François présente les résultats obtenus à l’échelle européenne.
Au niveau européen, on a pu calculer que, sans production de neige, à +2 °C on avait 53 % des stations qui étaient menacées, et jusqu’à 98 % des stations si on atteignait un réchauffement de +4 °C. Par contre, avec un taux de couverture de 50 % des pistes par des installations de production de neige, ces chiffres vont redescendre à 27% et 71%.
Donc on a un impact relativement significatif de la production de neige, mais ce qui pilote le plus le risque ce sont les degrés de réchauffement. Au-delà d’un certain niveau de réchauffement, avec ou sans production de neige, ce sera très compliqué de faire du ski.
Hugues François
Zoomons sur les Alpes françaises à présent.
Dans des conditions d’enneigement uniquement naturel, 31 % des stations y sont confrontées à un très haut risque pour 2°C de réchauffement planétaire, 93 % pour 3°C, et 100 % pour 4°C, selon l’étude. Et dans le cas de 50 % de couverture en neige artificielle, ces taux baissent à 7 % pour 2 °C, 20 % pour 3 °C et 53 % pour 4 °C.
Dans les Alpes françaises, du fait des domaines d’altitude, on conserve une capacité d’exploitation du ski relativement bonne par rapport à d’autres stations.
Néanmoins la question sera la capacité à soutenir cette politique de production de neige, dans le sens où notre étude s’intéresse aussi aux ressources qui sont nécessaires pour produire de la neige. Notamment, elle estime le besoin en eau, sans dire si l’on sera capable ou pas de fournir cette eau. Cela fait partie des éléments complémentaires : dans ces situations, sera-t-il possible de mobiliser suffisamment de ressources pour tenir le programme de production ?
Hugues François
En bref, la situation des Alpes françaises est un peu meilleure qu’ailleurs, à condition que la production de neige artificielle puisse être soutenue.
Mais l’étude ne se contente pas d’élaborer des projections d’enneigement. Elle s’intéresse aussi à l’impact environnemental de la production de neige artificielle, à la fois en termes de ressources en eau et de consommation d’énergie. Une empreinte carbone est ainsi calculée en fonction du mix énergétique de chaque pays. Si l’émission de gaz à effet de serre directement liée à la neige artificielle est relativement peu importante, un cercle vicieux est mis en lumière, explique Hugues François.
On montre que l’empreinte carbone est relativement limitée pour la production de neige en tant que telle, mais qu’on ne peut pas non plus distinguer la production de neige de sa raison d’être, qui est de faire venir des touristes. Et que c’est bien l’hébergement et le déplacement qui vont peser très lourd dans l’empreinte carbone de cette activité.
Avec la réduction du nombre de sites, on peut craindre de voir converger vers des sites qui restent skiables des gens qui viennent de plus en plus loin, et ainsi d’alourdir l’empreinte carbone du tourisme hivernal, et, ce faisant, d’empirer les conditions d’exercice du tourisme hivernal.
Hugues François
Finalement, que faut-il retenir de tout cela ?
Le premier point à retenir est que l’étude conforte ce qui était déjà connu, à savoir une grande hétérogénéité selon les massifs et à l’intérieur des massifs : les stations ne sont pas toutes confrontées aux mêmes difficultés.
Ensuite, ce que l’étude révèle est que cette hétérogénéité vaut aussi pour la capacité d’adaptation avec l’usage de la neige artificielle.
On pourra sans doute, dans certaines stations, parvenir à adapter des bouts de l’économie et à maintenir une activité ski qui ramène des revenus sur le territoire, il faudra voir à quel prix. Mais on ne pourra pas le faire partout.
C’est bien au cas par cas, en fonction des caractéristiques locales, qu’il faudra faire des choix d’adaptation. Parce que potentiellement, localement, on peut avoir des conflits d’usage, des points de blocage, et une allocation de ressources qui, en étant dirigée uniquement vers une activité va en priver d’autres qui pourraient en avoir besoin pour s’adapter.
Donc finalement on risque de fermer des portes. C’est très important de savoir où on place le curseur.
Hugues François
Enfin, ces travaux pointent les limites de la rentabilité de la neige artificielle.
Ce que montrent nos travaux, c’est qu’il y a des limites à l’extension de la neige artificielle dans le sens du rapport coût/bénéfice. Au-delà de 50 % de couverture des pistes, le gain est beaucoup moins marqué, il faut le regarder avec beaucoup de précaution et voir s’il faut généraliser ou cibler la couverture aux endroits stratégiques.
À terme, la production de neige ça veut dire des investissements, et ça veut dire aussi qu’on peut accroître l’exposition au risque économique de la station. Parce que pour produire de la neige il faut des températures suffisamment basses, et c’est le paradoxe de la production de neige comme moyen d’adaptation : globalement le besoin va augmenter parce que les températures augmentent, et les températures augmentant la capacité de production va diminuer, et la neige produite va avoir un impact moins important puisqu’elle tiendra moins au sol.
Hugues François
Pour résumer, la neige artificielle peut avoir un impact important sur les conditions d’enneigement dans certaines situations, mais « ce qui est techniquement faisable n’est pas forcément souhaitable », alerte le chercheur. Il faut désormais confronter ces résultats, qui concernent les stations, au contexte de l’économie de leurs territoires pour éclairer les choix, estime Hugues François.
Finalement, on est dans une situation où le réchauffement climatique nous invite plutôt à réfléchir à la dépendance touristique des zones de montagne, que simplement à l’avenir des pistes de ski.
Hugues François
À savoir
L’INRAE et Météo France contribue également, avec le cabinet Dianège, au programme Climsnow. Celui-ci suit la même logique que l’étude publiée le 28 août dernier, en étant individualisé par station en fonction des demandes des exploitants. Les résultats sont conçus pour être appropriables par les décideurs. Hugues François cite ainsi l’exemple de la station de Métabief (25) qui a ainsi « planifié la manière et la vitesse à laquelle elle souhaitait prendre ses distance avec l’économie des sports d’hiver ». La région Provence-Alpes-Côte d’Azur a quant à elle commandé des études Climsnow pour ses stations des Alpes du Sud et en a conclu que la plupart de celles-ci seraient viables jusqu’en 2050.
En chiffres
D’après l’étude :
- En Europe, le tourisme (pas uniquement hivernal) représente 8,1 % des émissions de gaz à effet de serre
- Le transport pèse pour moitié (49,1 %) de ces émissions
- L’Europe est le plus grand marché de tourisme hivernal
- L’Europe rassemble près de 50 % des stations de ski de la planète et 80 % des stations de plus d’1 million de visites quotidiennes
- L’Europe compte pour 60 % des visites annuelles mondiales en station (43 % pour les Alpes), soit 209 millions de visiteurs en 2019
- Le tourisme hivernal en Europe a généré plus de 30 milliards d’euros de chiffres d’affaire en 2019