Image par Simona de Pixabay

Montgenèvre : sous le coup d'un recours, le projet immobilier au Clôt Enjaime pourrait s'enliser

Vingt ans depuis ses prémisses et un million d'euros dépensé en étude. La réalisation du projet immobilier au Clôt Enjaime à Montgenèvre a déjà englouti beaucoup de temps et d’argent. Celle-ci pourrait encore s’éterniser avec le recours en annulation déposé en commun par Mountain Wilderness et la SAPN-FNE 05 devant le Tribunal administratif de Marseille début mars. Décryptage des arguments en faveur du projet et des reproches que font valoir les deux associations environnementales, soutenues par le collectif Les Escartons Autrement.

Le sujet a joué le rôle d’étincelle en terrain explosif lors du dernier Conseil Communautaire du Briançonnais du mercredi 26 mars, lorsque l'élue d'opposition Francine Daerden a annoncé s'abstenir. La délibération en question ne concernait qu’indirectement le projet immobilier du Clot Enjaime puisqu’elle portait sur le programme « village d’avenir » dont fait partie Montgenèvre. Mais cela a suffit à mettre le feu aux poudres tant les contentieux sur les projets d’aménagement sont devenus source de tension. Extrait.

Extrait monté du Conseil Communautaire du Briançonnais du 26 mars 2024 (par l'ordre d'apparition : Francine Daerden, élus d'opposition à la CCB, Arnaud Murgia, président de la CCB, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et élu communautaire, Marine Michel, élue communautaire

En chiffres, ce projet immobilier consiste en la création de 1 500 à 2 000 nouveaux lits touristiques, 200 lits d’hébergement permanent, 200 lits sociaux et/ou saisonniers et 10 à 15 commerces1. Les terrains concernés se situent dans le prolongement de l’agglomération actuelle et sont à 70 % détenus par des propriétaires privés, liés par un Projet Urbain Partenarial permettant de partager les frais, notamment liés aux études, et surtout de faciliter un projet global.

Pourquoi ce projet ? La commune met en avant des besoins sociaux et économiques. Elle explique notamment qu’il vise à « améliorer la compétitivité de la station de Montgenèvre vis-à-vis de la concurrence, en termes de chiffre d’affaires et d’offre de lits touristiques : 12 670 lits à ce jour pour Montgenèvre, contre 52000 lits pour Serre Chevalier Vallée, 40 000 lits pour la Forêt Blanche-Vars-Risoul, ou encore 13000 lits aux Orres »2. Selon la municipalité, un tel projet créera de nouveaux emplois, donc un besoin de nouveaux logements dans un conteste où il en manque justement pour les résidents permanents. La commune voit aussi dans le projet une opportunité de « constituer de la trésorerie, au moyen de la vente de terrains de la Commune, à l’issue de deux années de COVID-19, qui ont mis à mal nos finances, annihilant le budget prévisionnel de 2022 de nos possibilités d’investissement »3.

Problème, le secteur compte un nombre conséquent d’espèces protégées, d’où la dérogation « espèces protégées » demandée et accordée par la préfecture des Hautes-Alpes en 2022. Pourquoi ne pas simplement se reporter sur un autre secteur ? C'est qu'entre les avalanches, les mouvements de terrain et les crues torrentielles « les disponibilités foncières à proximité du centre urbain du village de Montgenèvre sont devenues rares » explique la commune. Et le Clôt Enjaime  « représente ainsi l’une des dernières opportunités d’urbanisation en continuité du village. C’est pourquoi [elle] a souhaité que ce secteur accueille un nouveau quartier d’habitat. »4.

C’est justement la dérogation « espèces protégées » que les associations Mountain Wilderness et SAPN-FNE 05 ont choisi d’attaquer. L’avocat des requérants, Benjamin Cottet-Emard explique qu’à ce jour, il s’agit de la seule décision encore en vigueur, puisque le permis d’aménager est devenu caduque le 11 décembre 20235. D'autre part, il estime qu’un vice de procédure n’a pas permis aux habitants de profiter d’un véritable contradictoire.

Le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel a rendu un avis extrêmement défavorable. Cet avis n'a pas été porté à la connaissance du public. Donc on a un dossier qui est très propre qui et réalisé par la commune de Montgenèvre mais le public n'a pas pu avoir accès à la contradiction qui a été opposée par le Conseil Scientifique, et à notre sens cela constitue un vice substantiel dans la procédure [...].

Benjamin Cottet-Emard, avocat des associations requérantes

Comme pour tout projet avec un impact sur l’environnement, la commune a dû proposer une démarche dite « ERC » pour « Eviter – Réduire - Compenser » les impacts écologiques induits. Là-aussi, les associations estiment que le dossier présente des lacunes.

On détruit de l'habitat du papillon Appollon. Dans le cadre des mesures qui sont proposées, on propose une compensation, c'est à dire recréer une partie de l'habitat du papillon Appollon, en fait recréer une prairie permanente sur les abords du clôt Enjaime. Sauf que pour faire cette partie il faut couper des arbres, et en coupant des arbres on détruit l'habitat du Bruant Jaune, un petit passereau qui est lui aussi une espèce protégée. Donc on a des mesures compensatoires pour sauver une espèce protégée, qui viennent détruire une autre espèce protégée.

Benjamin Cottet-Emard, avocat des associations requérantes

Comme le confirme l’avis du Conseil Scientifique Régional de Protection de la nature, aucune étude alternative au projet n’a été réalisée. En revanche, la commune a revu sa copie suite à cet avis, assurant avoir réduit l’emprise du projet, initialement de 7,6 hectares. Mais cela ne convainc par Rémy Bernade, le secrétaire général de l’association Mountain Wilderness et délégué dans le département des Hautes-Alpes.

Ils parlent d'une diminution de 45% des logements prévus sans vraiment bien préciser quels logements sont affectés. Par contre l'emprise du projet n'est pas du tout diminuée, et en fait ils créent des dents creuses pour pouvoir justifier d'une diminution d'espace.

Rémy Bernade, secrétaire général de l’association Mountain Wilderness et délégué dans le département des Hautes-Alpes

Enfin, au-delà de l’impact écologique, les associations questionnent le bien-fondé du projet.

Ce qu'on reproche çà ce projet, c'est la fuite en avant, l'extension des logements touristiques au détriment des espaces naturels qu'on grignote petit à petit. On peut aussi rajouter que Montgenèvre c'est 38% de lits froids. Il y a dans Montgenèvre des dents creuses, des immeubles qui sont inoccupés, par exemple l'ancienne gendarmerie.

Rémy Bernade, secrétaire général de l’association Mountain Wilderness et délégué dans le département des Hautes-Alpes

Si la commune de Montgenèvre entend poursuivre la réalisation du Clôt Enjaime, elle devra déposer un nouveau permis d’aménager. Dans ce cas-là, prévient Benjamin Cottet-Emard, les associations contesteront le permis. Sachant, estime-t-il, qu’il pourrait impliquer une déclaration au titre de la loi sur l’eau, et que, si nécessaire, les associations contesteront chaque autorisation. Auquel cas, les propriétaires des terrains liés par ce Projet Urbain Partenarial devront patienter quelques années de plus encore, sans garantie que celui-ci voit le jour.

Sollicité par la rédaction, le maire de Montgenèvre Guy Hermitte a dans un premier temps accepté notre demande d’interview, avant de l’annuler suite « aux différents échanges intervenus lors du Conseil Communautaire [ndlr : du 26 mars 2024] » assure son cabinet.

1 Avis N02022-17 Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel de la région PACA
2 Réponses de la Commune de Montgenèvre à l’avis du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel - PACA
3 Réponses de la Commune de Montgenèvre à l’avis du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel - PACA
4 « Demande de dérogation au titre des espèces/habitats protégées - Urbanisation du Clot Enjaime » - MDP Consulting
5 Réponse de la commune à l'avis du CSRPN