Le 19 septembre 2020, le collectif Les Sérigons Terre Vivante organisait une journée de mobilisation contre un projet d'implantation de centrale solaire dans une forêt de La-Roche-des-Arnauds © Les Sérigons Terre Vivante

Les zones d'accélération des énergies renouvelables, un outil salué... et risqué

Défenseurs du climat, de la biodiversité, élus et contributeurs aux scénarios de transition énergétique, tous s’accordent sur ce point : il est indispensable d’accélérer la production des énergies renouvelables en France pour atteindre la neutralité carbone en 2050. En revanche, la situation se crispe dès lors qu'on évoque les terrains à mobiliser pour y parvenir. Pour éviter les conflits qui, souvent, entraînent des recours juridiques contre les projets de centrales photovoltaïques ou d'éoliennes, la loi d’accélération des énergies renouvelables de mars 2023 a créé les "zones d’accélération pour l’implantation d’installation terrestre d’énergies renouvelables". Sur le papier, toutes les parties s'y retrouvent. Mais leur mise en œuvre sincère est compromise par un calendrier très serré. Décryptage.

Lure, La-Roche-des-Arnauds, L’Épine et Ribeyret. Un point commun entre ces communes parmi des dizaines d’autres : des projets de centrales photovoltaïques génèrent - ou ont généré - des oppositions locales. Or, qui dit opposition dit risque de recours en justice, donc de retard, voire d'annulation de projet. Alors que la France est déjà en retard sur ses objectifs de production d’énergies renouvelables, les zones d’accélération sont censées inviter maires et citoyens à réfléchir ensemble en vue de proposer des terrains à prioriser pour leur implantation. Le pari est simple, si les citoyens et les associations environnementales sont inclus dans ces décisions et s'accordent dès le départ sur ces zones, la contestation des projets n’aura pas lieu et les objectifs ont une chance d'être tenus. Une analyse partagée par une représentante d’Energie Partagée, mouvement national des énergies renouvelables citoyennes. Avec toutefois une réserve sur la mise en œuvre de ces zones d'accélération.

Ce dispositif est positif dans l'idée. Parce que les communes sont obligées de s'emparer de la question et si possible de le faire en concertation. Sauf que le calendrier imposé par la loi est vraiment très très court. Ne serait-ce que pour comprendre l'information, commencer à y réfléchir, ça prend du temps. Réfléchir à une concertation et l'organiser d'ici la fin de l'année, cela semble vraiment impossible.

Représentante d'Energie Partagée, mouvement national des énergies renouvelables citoyennes (souhaitant conserver l'anonymat)

Les maires ont jusqu’au 31 décembre 2023 pour faire connaître au référent départemental les terrains qu’ils souhaitent déclarer comme zones d’accélération. Dans les Hautes-Alpes, la toute première réunion de présentation du dispositif aux élus locaux s’est tenue le 12 juillet 2023, en pleine vacances d'été. Dans ce délai, l’organisation de réunions publiques et d’ateliers de concertation semble compromise par avance. De fait, trois mois plus tard et à moins de trois mois de l’échéance, la préfecture des Hautes-Alpes n'a obtenu qu'une dizaine de retours.

Cette crainte que le calendrier ne compromette la concertation est partagée par l'ensemble des associations environnementales interrogées lors de l'élaboration de la loi, assure cette représentante de l'association Energie Partagée - elle-même consultée. En local, la Société Alpine de Protection de la Nature - France Nature Environnement 05 (SAPN-FNE 05) espère tirer partie de cette démarche pour sortir de sa posture habituelle d'opposition aux projets, indique Raoul Philippe, membre du Conseil d'Administration de la SAPN-FNE 05.

On se trouve souvent en situation d'opposition. Là, on essaye de faire de la conviction c'est à dire [faire en sorte] que par avance le choix de ces zones soit le plus judicieux possible et porte le moins possible atteinte à la préservation de l'environnement.

Raoul Philippe, membre du CA de la SAPN-FNE 05

Raoul Philippe regrette également le caractère non-contraignant des concertations et le manque d'accompagnement apporté aux communes pour les réaliser. En effet, si un livret méthodologique est mis à disposition des municipalités pour les aider à définir comment identifier les secteurs propices aux zones d'accélération, aucun guide n'est fourni pour mener une concertation avec succès.

La loi du 10 mars 2023 devrait faciliter l'obtention d'une dérogation "espèces protégées" pour certains projets

Une fois les zones d’accélération recensées en préfecture, elles seront agrégées au niveau régional par la DREAL, qui estimera leur potentiel total de production d’énergie. S’il est inférieur aux objectifs régionaux, une deuxième chance sera donnée aux maires de définir des zones d’accélération.

C’est à ce stade que l’accélération à proprement parler s’amorce. Car au-delà d’avantages financiers accordés aux porteurs de projets qui choisiront les zones d’accélération comme lieux d'implantation d’énergies renouvelables, les procédures administratives y seront simplifiées. Par exemple la modification du PLU, explique la préfecture des Hautes-Alpes, précisant qu’il n’y aura pas de dispenses des commissions sur la discontinuité et autres obligations résultant de la loi Montagne. De même, les porteurs de projet ne pourront pas se passer des demandes d’autorisation environnementales habituelles (défrichement, eau et espèces protégées). Par contre, la loi d’Accélération des Energies Renouvelables du 10 mars 2023 introduit une présomption d'existence de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) pour les projets d'énergies renouvelables et leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d'énergie, dès lors qu'ils remplissent les conditions définies par décret en Conseil d'Etat. À savoir « ceux qui produisent l’énergie avec l’une des sources auxquelles la PPE [ndlr : Programmation Pluriannuelle de l'Energie] fixe [...] les objectifs de progression les plus ambitieux, d’autre part, les projets dont la taille est suffisante pour que, individuellement ou collectivement, ils contribuent de façon significative à atteindre les objectifs de cette programmation. » Or, Laurence Lanoy et Noé Mathivet, avocats spécialisés en droit de l’environnement, estiment sur le site spécialisé "actu-environnement" que cela « devrait faciliter, pour certains projets, l'obtention d'une dérogation espèces protégées, à condition que les deux autres critères soient réunis : l'absence de solution alternative satisfaisante et le maintien de l'espèce concernée dans un bon état de conservation. » La proposition de cette simplification de procédure avait fait l’unanimité contre elle chez les défenseurs de l’environnement lors des premières discussions. Energie Partagée ne fait pas exception.

Toutes les associations qui ont été consultées préalablement à l'écriture de cette loi, ont donné plein de réserves sur la façon dont les dossiers vont être instruits en accéléré, notamment au regard des contraintes environnementales. Concrètement on ne sait pas... est-ce qu'il y aura une souplesse par rapport aux règles de compensation par exemple, qui aujourd'hui ne sont pas idéalement vérifiées. Quand on coupe une forêt parce que le bureau environnemental qui a fait l'étude dit : "là l'enjeu n'est pas énorme donc on peut trouver une façon de compenser grâce à des zones de compensation", est-ce que ça, ça va être facilité ? Ce n'est pas du tout clair aujourd'hui. Donc il y a beaucoup de réserves de la part des associations environnementales.

Représentante d'Energie Partagée, mouvement national des énergies renouvelables citoyennes (souhaitant conserver l'anonymat)

Pourtant des garde-fou existent. Car les zones d’accélération déclarées sont censées concerner des terrains à « moindres enjeux » écologiques. Dans un guide méthodologique fournis aux élus des Hautes-Alpes, la préfecture précise un certain nombre de situations incompatibles avec les zones d’accélération : les forêts à « potentiel de production moyen à très fort », « qui ont servi de support à des compensations forestières ou environnementales », « qui jouent un rôle dans la protection des sols contre l’érosion et des populations », « les peuplements mâtures et les îlots de senescence qui offrent des habitats favorables à des espèces protégées. » Dans un autre registre, les zones humides, ou celles situées en zones cœur du Parc National des Ecrins et les Natura 2000.

Mais ce sont toutes les autres configurations qui inquiètent Raoul Philippe de la SAPN-FNE 05. Il souligne d’ailleurs un paradoxe : si les zones d’accélération devaient effectivement être exclusivement situées dans des zones à moindres enjeux, pourquoi avoir introduit par la loi une « présomption d'existence de raison impérative d’intérêt public majeur » pour les projets d'énergies renouvelables ? Lui plaide pour l’utilisation de zones déjà artificialisées : toitures, friches et parkings. Il cite des travaux de l’ADEME qui ont permis d'estimer leur potentiel de production photovoltaïque.

Le potentiel, c'est le quadruple de ce que sont les objectifs en matière de photovoltaïque [ndlr : l'objectif national est fixé à 100 GWc en 2050. L'ADEME évalue à 364 GWc le gisement photovoltaïque en toiture et à 53 Gwc le potentiel des zones délaissées et des parkings]. Alors ça ne plait pas trop aux exploitants parce que c'est plus dur à réaliser d'aller monter sur le toit, de faire 1000 m² ici, 500 m² par là que de faire 15 hectares en faisant venir des machines énormes qui défrichent 20 hectares. Du point de vue de la rentabilité économique, c'est moins intéressant.

Raoul Philippe, membre du CA de la SAPN-FNE 05

Pour éviter de retomber dans les mêmes situations de blocage qu’auparavant, reste donc une opportunité à saisir : la phase de concertation encore en cours et sa probable prolongation après le 1er janvier 2024. À condition que toutes les parties jouent le jeu. D’un côté, la tenue par les élus locaux d’une consultation sincère. De l’autre, une participation active et représentative de l'ensemble de la société civile.