© Fédération de Pêche des Hautes-Alpes

Dans la Durance, "tout est mort, toute forme de vie" selon la Fédération de pêche

Dans la Durance, un triste poisson d’avril. Entre l’Argentière la Bessée et Embrun « tout est mort, toute forme de vie », selon la Fédération de Pêche des Hautes-Alpes, en deuil après la vidange décennale du barrage de Pont-Baldy effectuée entre le 1er et le 7 avril 2022.

Cette manœuvre - réalisée une fois tous les dixans depuis 1991 - permet d’évacuer les sédiments accumulées dans la retenue d’eau en ouvrant la vanne de fond de l’ouvrage. Dix années de matières se déversent alors en quelques jours dans l’aval, d’où l’obligation réglementaire d’opérer un suivi notamment de la concentration des Matières En Suspension, du taux d'oxygène, afin d’assurer que la survie de l’écosystème n’est pas menacée.

L’entreprise EDSB qui exploite la barrage de Pont-Baldy se défend de tout laxisme dans l’opération : « Une équipe d’exploitants était mobilisée et les manœuvres de vannes ont été adaptées en fonction des valeurs constatées et des seuils d’alerte » explique-t-elle, ajoutant que « tous les moyens disponibles ont été mis en œuvre par EDSB pour minimiser les impacts de cette opération sur l’environnement, tout en veillant à préserver l’intégrité de l’ouvrage et en garantissant la sécurité des biens et des personnes à l’aval. »

Des propos que réfute la Fédération de pêche des Hautes-Alpes, qui estime qu’aucune concession n’a été faite par l’exploitant et que EDSB n’a pas respecté l’arrêté préfectoral encadrant la procédure. C’est ce qu’explique le président Bernard Fanti.

Plus grave, l’arrêté préfectoral - consulté par la rédaction – impose une concentration des Matières En Suspension maximale de 10g/L. Or, Bernard Fanti assure qu' « il y a eu des passages à 200 et même à 600g/L », s’appuyant sur les chiffres fournis par le bureau d’étude missionné par EDSB pour relever les taux durant la manœuvre. « Essayez de mélanger 600g de matière et un litre d’eau », suggère le président de la Fédération de Pêche départementale pour imager à quel point ces conditions sont « absolument létales pour toute biologie existante ».

Poisson aux branchies engorgées de MES - Matières En Suspension © Fédération de Pêche des Hautes-Alpes

Contactée, la préfecture explique qu’ « au regard du faible débit de la Durance et des risques sur l’écosystème, les services de l’État ont demandé des compléments au concessionnaire avant que puisse démarrer l’opération. Il s’agissait notamment d’adapter, voire arrêter, les manœuvres de vidange en cas de dépassement des seuils physico-chimiques ». Par ailleurs la préfecture indique que « l’Office Français de la Biodiversité [a] constaté une altération forte des milieux, avec pour conséquence des mortalités piscicoles ».

Pour Bernard Fanti, le point de crispation réside dans le fait que l’entreprise disposait de leviers pour diminuer l’impact écologique de la vidange. Par exemple : attendre le mois de mai « où le débit est trois à six fois supérieur à celui du 1er avril », étaler la vidange sur une plus longue période ou encore vidanger plus régulièrement le barrage pour éviter une accumulation de sédiments trop importante.

Paradoxalement, sur un dépliant de communication décrivant entre autres des travaux entrepris en 1984 sur la vanne de fond, l’entreprise se félicite du fait que ce nouvel équipement « présente […] l’énorme avantage d’espacer les vidanges, celles-ci devenant décennales à partir de 1991. » alors qu’elles étaient triennales auparavant.

Contactée pour savoir notamment si une pratique plus régulière des vidanges pouvait être menée, EDSB n’a pas répondu à nos questions, renvoyant au communiqué de presse diffusé aux différents médias.

La Fédération de Pêche des Hautes-Alpes a déposé une plainte en vertu de l'article L432-2 du code de l'Environnement qui prévoit que « le fait de jeter, déverser ou laisser écouler dans les eaux (...), directement ou indirectement, des substances quelconques dont l'action ou les réactions ont détruit le poisson ou nui à sa nutrition, à sa reproduction ou à sa valeur alimentaire" constitue une infraction pénale passible de deux ans d’emprisonnement et de 18.000 euros d’amende. ». Le parquet de Gap a ouvert une enquête pour déterminer si l’exploitant a bien respecté les seuils fixés par l’arrêté préfectoral.

Mais la Fédération n’attendra pas le rendu du jugement pour travailler à la reconstruction de l'écosystème de la Durance. Avec la sensation de repartir à zéro.