Bientôt une proposition de loi pour faire baisser les prix du logement en « zones tendues »

Comment faire baisser le prix des logements en « zones tendues » ? C’est la question à laquelle deux députés de Savoie et du Finistère ont tenté d’apporter une réponse. Mi-avril 2023, ils ont émis 25 propositions mêlant fiscalité, encadrement des prix, zonages de PLU et information sur les leviers déjà mobilisables par les collectivités. Une proposition de loi transpartisane devrait être étudiée à l'assemblée début juin.

Sur la côte atlantique et dans les Hautes-Alpes, des manifestations d’un nouveau genre ont émergé depuis la pandémie de Covid 19. Du 16 au 18 septembre 2022, un village éphémère s’est installé à Crots (05) pour alerter : « Nous ne pouvons plus nous loger, alors créons notre village ! » Les participants y dénoncent les prix de location et d’achat dissuasifs au regard des revenus locaux et identifient deux principales causes : les résidences secondaires et les meublés touristiques.

Pourtant, les zones dites « tendues » ne comprennent actuellement que les communes urbaines et les métropoles qui présentent un déséquilibre entre l’offre et la demande en matière d’immobilier. La loi de finances 2023 a étendu ce zonage aux petites communes répondant à deux critères : un taux important de résidences secondaires et des prix en location ou à l’achat particulièrement élevés. L’objectif était alors de permettre de majorer la taxe d’habitation sur les résidences secondaires pour fournir des revenus complémentaires aux communes afin qu’elle mettent cet argent pour favoriser le logement permanent, comme l’expliquait Xavier Roseren sur nos ondes, le député à l’origine de cet amendement.

Les députés Annaïg Le Meur (Renaissance - Finistère) et Vincent Rolland (LR – Savoie) proposent d’aller bien plus loin pour lutter contre ce qu’ils qualifient « d’attrition des résidences principales ». Pour cela, les députés identifient quatre axes principaux : l’information sur les outils déjà existants, la fiscalité, l’incitation financière, des mesures contraignantes.

C’est ce dernier axe qui comprend la proposition la plus audacieuse. Elle permettrait aux communes situées en « zones tendues » de dédier des secteurs à la construction de résidences principales. Président du CAUE 05 – Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement, Marc Viossat y est favorable. C’est selon lui un véritable changement de la conception de droit de propriété.

Comment changer la donne d'un point de vue culturel entre : un bien qui vous appartient avec un droit de propriété, et le fait de dire vous n'aurez le droit d'y faire que telle ou telle chose ?

Marc Viossat, Président du CAUE 05

Point de vue partagé par Joël Giraud, député des Hautes-Alpes, qui souligne l’importance de bien encadrer la revente dans ces zonages, voire d’aller plus loin que ce que préconise le rapport.

Je crois qu'il faut surtout être très coercitif à la fois sur ce qui est créé, c'est à dire des lotissements nouveaux, mais également sur ce qui est la revente [...]. Le rapport n'en parle pas mais je pense que la revente peut être une occasion dans le PLU de la commune de réserver des zones aux résidences principales.

Joël Giraud, député des Hautes-Alpes

Définir des zones déjà construites dans lesquelles la revente ne pourrait se faire qu’à destination d’habitat permanent ? Marc Viossat estime que la population ne serait « pas prête ». « Il faut y aller doucement, et les leviers déjà existants et les propositions du rapport permettraient déjà de changer la donne » estime le président du CAUE 05.

De même, Marc Viossat n’est pas favorable au « modèle Suisse » évoqué mais pas préconisé par le rapport, qui limite à 20 % le taux maximum de résidences secondaires. Point de vue partagé par Joël Giraud.

L'idéal c'est quand même que les intercommunalités et les communes aient à leur disposition des outils, qu'elles appliquent ou pas. [...]

Joël Giraud, député des Hautes-Alpes

Le rapport d’information rappelle par ailleurs que des « outils » existent déjà pour faciliter le logement des résidents permanents.

Et pour mieux mobiliser ces outils, les rapporteurs proposent la création d’un « observatoire spécifique du logement en zones tendues. » Celui-ci permettrait aux collectivités une lecture concrète et intelligible de leur situation en matière de logement et pourrait les informer des solutions qu’elles peuvent mettre en œuvre pour y faire face. À titre d’exemple, Joël Giraud rappelle que la Taxe d’Habitation sur les Logements Vacants est peu utilisée car méconnue des élus locaux.

C'est une mesure que j'avais prise à l'Argentière La Bessée quand j'étais maire. Et c'est une mesure qui est efficace parce que tout de suite cela renchérit le coût de la propriété foncière dès lors qu'on ne l'utilise pas.

Joël Giraud, député des Hautes-Alpes

Les collectivités, zones tendues ou non, par délibération, peuvent déjà mettre en place cette taxe. Elle serait très peu utilisée dans les Hautes-Alpes selon Joël Giraud, mais certaines collectivités envisagent de l’instaurer. C’est le cas de la Communauté de Communes de Serre-Ponçon qui explique qu’« une réflexion est en cours sur ce sujet mais rien n’a été acté » et que la décision dépend du décret sur l’élargissement des zones tendues qui tarde à être publié. En effet, si ce décret venait à classer Embrun en "zone tendue", la Taxe sur les Logements Vacants s’appliquerait de manière automatique.

À propos des outils existants ou déjà mis en oeuvre, le rapport pointe également la nécessité de « consolider juridiquement les actes portés par les collectivités territoriales au sein des zones tendues. »

Dernier exemple en date, le 7 mars 2023, le tribunal administratif de Pau donnait raison à la Communauté d'agglomération Pays basque dans son combat contre la plateforme AirBnB. La collectivité avait adopté un règlement obligeant les propriétaires transformant un logement en meublé touristique, à mettre sur le marché un logement permanent de surface équivalente dans la même ville.

« Il faut effectivement stabiliser juridiquement les initiatives des collectivités locales en la matière » estime Joël Giraud « car nous ne sommes pas à l’abri d’un changement d’interprétation du droit » Mais pour le député il faut du « cousu-main ». « La problématique du logement de Biarritz, intercommunalité parmi les plus riches de France, ne présente pas les mêmes caractéristiques que celle du Guillestrois-Queyras » argumente le député de la 1ère circonscription des Hautes-Alpes.

Reste qu’actuellement, seules les communes de plus de 200 000 habitants peuvent règlementer la location touristique meublée. C'est pourquoi les deux rapporteurs proposent d’élargir cette possibilité à toutes celles situées en « zones tendues ».

Pour lutter contre la prolifération des « logements AirBnB », le rapport préconise également d’intervenir sur les avantages fiscaux dont bénéficient les meublés touristiques.

Une mesure que soutient Marc Viossat.

C'est un avantage [ndlr : fiscal] qui est intéressant et qui incite à pouvoir louer de façon touristique et offrir notamment aux touristes un logement de qualité. Mais par contre, ceux qui louent à l'année aujourd'hui ont une déduction de 50% uniquement. On voit très bien que là il y a un levier qui est important.

Marc Viossat, Président du CAUE 05

Pour répondre aux difficultés de logement des saisonniers, Joël Giraud salue également l’idée de créer des avantages fiscaux qui « encourageraient les propriétaires privés à louer des logements en zones tendues à des prix abordables à destination des travailleurs. » Le périmètre des travailleurs et des entreprises pouvant recourir à ce dispositif « pourrait être fixé, par exemple, via la définition réglementaire de la liste des métiers en tension » suggèrent les rapporteurs.

Parmi les nombreuses autres propositions, le président du CAUE 05 souligne celle qui vise à créer un fonds « Zéro Artificialisation Nette ».

Les rapporteurs partent du principe que réduire de moitié l’artificialisation des sols d’ici à 2030 - pour atteindre l’objectif Zéro Artificialisation Nette d’ici à 2050, va très probablement renchérir le prix du foncier. En l’état, la loi risque de rester sans effet estime Marc Viossat.

Il faut avoir des moyens. Faire en sorte par exemple qu'on ait un Fonds ZAN qui permette de favoriser beaucoup plus qu'aujourd'hui le reconstruction de "la ville sur la ville", de densifier, de manière à réellement pouvoir loger tous ceux qui veulent se loger chez nous et qui y vivent à l'année.

Marc Viossat, Président du CAUE 05

Si la réhabilitation de biens et la désartificialisation pourraient permettre de contenir la hausse des prix du foncier, ces actions ont un coût. Les rapporteurs proposent de les financer à travers un "fonds ZAN". Dans les zones tendues, il pourrait être conditionné à "la mise sur le marché de longue durée des locaux."

Dans l’ensemble, les propositions de ce rapport récoltent donc l’adhésion du président du CAUE 05, du député Joël Giraud, ainsi que de la députée de la 1ère circonscription des Hautes-Alpes Pascale Boyer, également interrogée par ram05. Quelques lacunes et angles morts ont toutefois été relevés par Joël Giraud.

Elles concernent tout d’abord les critères retenus pour considérer un secteur comme « zone tendue. » Les rapporteurs proposent en effet d’y intégrer automatiquement les stations. Mais pour Joël Giraud, station ou pas, de manière générale, l’échelle de la commune n’est pas pertinente pour mener des politiques publiques visant à faciliter l'accès au logement pour les résidents permanents.

Quand vous avez des zones tendues sur un territoire, ça ne se résume pas à la commune sur laquelle vous avez des remontées mécaniques. Le problème n'est pas qu'aux Orres il est à Embrun aussi. Le problème n'est pas qu'à Puy Saint Vincent, il est aux Vignaux aussi.

Joël Giraud, député des Hautes-Alpes

Enfin, si les zones touristiques présentent de nombreux points communs, elles ont aussi leurs spécificités rappelle Joël Giraud. S’il juge pertinent de reconsidérer les avantages fiscaux liés aux logements touristiques, le député préconise de laisser la possibilité aux communes de le faire ou non.

Les collectivités concernées doivent pouvoir mettre en oeuvre, ou ne pas mettre en oeuvre. [...] Moi je suis contre des listes qui viendraient de Paris ou avec des critères purement parisiens qui seraient des critères quelques fois sans applicabilité sur les territoires.

Joël Giraud, député des Hautes-Alpes

Cette mission d'information et les propositions sur lesquelles elle a débouché devraient aboutir à une proposition de loi transpartisane qui pourrait être étudiée la semaine du 12 juin prochain, a appris ram05. Le sujet est-il suffisamment consensuel pour que ces propositions aient une chance d’aboutir dans une assemblée sans majorité absolue ? Pour Marc Viossat, cela ne fait aucun doute.

Le côté transpartisan me parait évident. Lorsqu'on parle de ces problématiques de logements on voit que quelque soit l'origine des gens, c'est un sujet. C'est d'ailleurs le sujet majeur, avec le problème des déplacements, qui est lié.

Marc Viossat, Président du CAUE 05