Agriculture dans les Hautes-Alpes : mal-être, colère et revendications
Depuis plus d’une semaine, des agriculteurs et agricultrices de tout le pays font entendre leur colère et leur mal-être à travers de nombreuses manifestations et blocages routiers. Parole à deux syndicats des Hautes-Alpes, pour connaître leurs ressentis sur leurs conditions de travail et leurs revendications.
Tendons d’abord le micro à la FDSEA 05, syndicat agricole majoritaire dans le département. René Laurans, son président, égrène les nombreux problèmes qu’il identifie dans les Hautes-Alpes.
« Déjà rien que les attaques de loups aujourd’hui, ça devient insupportable parce que ça diminue pas. On a des problèmes avec les chiens. Il y a plein d‘agriculteurs qui ont des plaintes sur le dos, donc on a une pression là-dessus.
Après, on est inquiet par l’abandon de la détaxation du gazole non routier. Ça va faire sortir de l’argent en plus.
Il y a des retards sur la PAC, des retards de paiement. Sachant que la PAC, malheureusement, ça fait une grande partie de notre revenu et quand elle arrive quatre-cinq mois en retard, c’est un gros problème. Donc beaucoup de gens sont obligés de faire des crédits pour attendre que les soldes de la PAC arrivent.
On a des impasses par rapport aux produits d’entretien des vergers ou même des autres cultures puisqu’il y a beaucoup de produits qui disparaissent en France et qui sont toujours autorisés dans les pays voisins d’Europe. C’est injuste.
Il y a le prix de l’électricité pour les stations de pompage, puisque le prix de l’hectare a pratiquement triplé. Dans les exploitations fruitières, ça a plus que doublé. Des factures comme ça, c’est insupportable aussi.
La sur-administration aussi, il y a de plus en plus de paperasse. De plus en plus, on nous demande des dossiers qui sont infaisables. Il faut être formé. Aujourd’hui, on n’est pas tous formés à l’informatique », liste l’agriculteur.
À ces sujets, René Laurans ajoute celui de la ressource en eau et déplore la difficulté de faire aboutir les projets de stockage de cette ressource. Le président de la FDSEA regrette aussi que les dégâts occasionnés chez les agriculteurs par les intempéries de début décembre ne soient toujours pas réglés, contrairement à la liaison vers la station de Risoul qui a été rétablie dans un temps record.
Le syndicat majoritaire proteste également contre les revenus trop faibles dans la profession.
« On a des petits revenus aujourd’hui. Il y a des gens qui se prennent 500 € par mois, il y a des gens qui ne se prennent pas de salaire.
L’autre jour il y avait une réunion en préfecture où il y avait des jeunes. D’habitude ce sont les anciens qui sont pessimistes, mais les trois jeunes nous ont dit : « si c’était à refaire, on s’installerait pas ». L’un est en lait, ses bâtiments ne sont plus aux normes, il faut les remettre aux normes ; l’autre, il a une salle de découpe qui a été aux normes il y a 5 ou 6 ans et qui ne l’est plus aujourd’hui ; l’autre, il est aux portes de Gap, ne peux pas mettre de chien de protection et a été attaqué tout l’été avec ses brebis, il va être obligé d’arrêter.
Il y a que l’on ne gagne plus notre vie et qu’on voit que les transformateurs investissent à l’étranger, ils ont leurs empires qui grossissent, et nous on a du mal à maintenir la tête hors de l’eau, pour faire vivre ces gens-là.
C’est le seul métier où l’on ne décide pas de nos prix. On a des commerciaux, le matin ils appellent la grande distribution, et s’ils imposent un prix qui ne plaît pas, la centrale d’achat va s’adresser ailleurs et le lendemain il faut baisser les prix si l’on veut vendre.
Les aliments ont augmenté, les engrais ont augmenté, et nos produits ne suivent pas. À un moment donné, on est coincés.
Il faut aussi arrêter les importations de viande et de produits qui ne respectent pas les règles françaises. Aujourd’hui nous on a des normes sur le bien-être animal. Pourquoi on nous oblige à le respecter, et là-bas on fait n’importe quoi ? », s’interroge René Laurans.
Finalement, il y a donc une accumulation de difficultés qui crée un ras-le-bol.
« Il y a tout un tas de choses que l’État laisse pourrir et que, à la limite, il pourrait régler assez facilement sans que ça coûte trop cher. Le sur-papier, ça peut se régler. Moi je veux bien croire qu’on a 70 000 fonctionnaires au ministère de l’Environnement, mais, bon Dieu, putain, qu’on en mette un peu moins et qu’ils nous foutent un peu plus la paix.
C’est des trucs qui nous pourrissent la vie. C’est tout un enchaînement de problèmes les uns sur les autres qui s’empilent. Et voilà, il y a un ras-le-bol », résume René Laurans.
Chez la Confédération Paysanne, une autre vision de la situation
Pour Thomas Raso, l’un des co-porte-paroles de la Confédération Paysanne des Hautes-Alpes, la FNSEA a une part de responsabilité dans la crise actuelle. L’agriculteur s’explique.
« De quelle manière ? En continuant le libéralisme économique et le libre-échange, que la FNSEA, l’État et l’Europe ont poussé depuis déjà 40 ou 50 ans. Il faut savoir que la FNSEA est majoritaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Donc toutes les politiques agricoles qui ont été mises en place depuis l’ont été main dans la main entre l’État et la FNSEA. Donc la crise très forte aujourd’hui du milieu agricole, ils ont une responsabilité là dedans.
Et toutes les mesures qu’ils proposent pour en sortir, pour nous, sont des mirages, puisqu’ils veulent faire toujours plus de libéralisme. Les deux points principaux qui ont été soulevés ces derniers jours sont, à la fois la suppression de beaucoup de normes environnementales qui gênent les agriculteurs, et la baisse des taxes sur le GNR qui est utilisé dans les tracteurs.
Soit dit en passant, la mesure sur le GNR a été discrètement négociée par la FNSEA l’été dernier en échange de suppression de plus-values fiscales pour les gros propriétaires terriens agricoles. Donc on voit bien qu’ils reviennent en arrière sous la pression de leur base ou de paysans non-encartés, mais en fait c’étaient des mesures qu’eux-mêmes avaient validé à l’époque », affirme Thomas Raso.
La Confédération Paysanne identifie deux crises majeures rencontrées par le monde agricole, à commencer par celle du revenu.
« On considère que ce ne sont pas quelques taxes sur le GNR qui ont créé les problèmes de revenus agricoles.
On décide de pointer les véritables responsables de l’écrasement du revenu des agriculteurs, et la grande distribution en est un des principaux, puisque la grande distribution, dans un premier temps, négocie les prix au niveau national, avec les industriels et les agriculteurs, tous les ans pour l’année qui vient.
Les négociations sont en cours en ce moment. Et c’est une véritable pression qui est mise sur les agriculteurs, pour, au mieux, qu’ils n’augmentent pas leurs prix, voire même qu’ils les diminuent, alors qu’on voit bien que, dans la période d’inflation actuelle, à la fois les charges augmentent, et puis les prix des produits alimentaires dans les grandes surfaces ont augmenté de 15 à 20 %, alors que les paysans, eux, n’ont pas vu la couleur de cette augmentation. Donc les marges sont bien prises par la grande distribution », constate l’agriculteur.
Thomas Raso pointe aussi la « mise en concurrence déloyale » avec d’autres pays ayant des normes moins exigeantes qu’en France, et qui fait donc baisser les prix du marché. De plus, au-delà d’un revenu décent pour les agriculteurs, le syndicat réclame également que les produits puissent être accessibles aux consommateurs.
Comme solution à ce problème, la Confédération Paysanne demande « à l’État de faire respecter la loi » Egalim adoptée en 2018 : « les industriels et la grande distribution ne doivent pas payer des produits agricoles en-dessous du prix de revient », rappelle le syndicat.
Deuxième crise d’ampleur, pour Thomas Raso : la reconnaissance du métier d’agriculteur dans la société.
« Dans un premier temps, il faut que nous, le monde agricole, soyons à l’écoute des demandes des citoyens et des consommateurs, sur, notamment, les aspects environnementaux et climatiques de nos activités. Parce que l’agriculture est émettrice de beaucoup de gaz à effet de serre, et également utilise beaucoup de produits pesticides ou d’engrais chimiques, et c’est quelque chose qui passe de moins en moins dans la société.
La FNSEA, à l’inverse, elle, s’arc-boute sur ces béquilles chimiques, en disant qu’il faut supprimer encore plus de normes environnementales. Mais ce n’est pas en disant cela que la société dans son ensemble va reconnaître les paysans comme des gens qui nourrissent et qui prennent soin de la population et de la terre, mais plutôt ils voient les agriculteurs comme des pollueurs et des personnes assez dangereuses pour l’environnement.
Donc ça prendra du temps, mais pour nous il faut commencer par aller dans le sens d’une agriculture qui est beaucoup plus respectueuse de l’environnement. Et pour nous c’est l’agriculture de petite échelle paysanne qui est capable de faire cette transition-révolution, et ce n’est pas du tout les fermes-usines qui sont défendues par la FNSEA », déclare le représentant de la Confédération Paysanne 05.