L’efficacité énergétique des logements sans sensibilisation à la sobriété… pas si efficace ?
La rénovation thermique des bâtiments sans sensibilisation à la sobriété serait vaine, selon les résultats d’une expérience réalisée en région PACA au sein de l’université Côte d’Azur. En cause, l’effet rebond, un mécanisme connu mais peu pris en compte dans les politiques publiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Entretien avec Nathalie Lazaric, directrice de recherche CNRS à l’université Côte d’Azur, et la SCIC – Société Coopérative d’Intérêt Collectif – Energies Collectives qui a organisé un Défi des Familles en 2020 sur la Communauté de Communes de Serre-Ponçon pour aider des familles à réduire leur consommation énergétique.
En octobre 2022, la fragilité du système de production électrique français et les bouleversements de l’approvisionnement énergétique extérieur consécutif à la guerre en Ukraine font peser un risque de black-out sur le réseau. Subitement, « la sobriété s’est imposée comme une nécessité » annonce Elisabeth Borne, alors que le concept a toujours été boudé, voire moqué par le gouvernement en place.
Un an après, ces injonctions à la sobriété ont presque disparu des discours tandis que l’accent continue d’être mis sur l’efficacité énergétique, notamment à travers la rénovation thermique des bâtiments. Pourtant, l’efficacité énergétique sans sensibilisation à la sobriété en limite considérablement les effets. C’est ce qu’a mis en lumière une expérience réalisée sur un ensemble de logements sociaux de la région PACA. Nathalie Lazaric est directrice de recherche CNRS à l’université Côte d’Azur.
Déjà, dans le logement social, il y a vraiment des bâtiments très, très vétustes. Donc la réhabilitation s’est faite d’une étiquette G vers D et C. Donc on a eu une augmentation, mais pas un optimum en termes de réhabilitation énergétique. Seconde chose, il y a eu vraiment de grosses différences entre les ménages qui avaient eu une sensibilisation à la question énergétique et les ménages qui n’avaient pas eu de sensibilisation. […] En clair, quand on a vraiment impliqué les ménages, il y a eu des résultats. Il n’y a pas eu d’effet rebond. Et quand on n’a pas impliqué les ménages, il y a eu vraiment beaucoup de défaillances. On ne savait pas se servir du thermostat. Finalement, ils ont subi cette rénovation, ils n’ont pas été acteurs de cette rénovation énergétique. Et du coup, il y a eu un effet rebond. C’est à dire qu’ils se sont lâchés sur la consommation, ce qui était un peu un regain de confort face à la diminution de la charge des dépenses énergétiques. Et donc il y a eu une réhabilitation qui a été faite sans diminution de la consommation pour ces ménages.
Nathalie Lazaric, directrice de recherche CNRS à l’université Côte d’Azur
L’effet rebond, théorisé depuis le 19ème siècle, compromet les bénéfices écologiques attendus pour toute innovation technologique censée permettre des économies d’énergie. La voiture est l’un des exemples les plus régulièrement cités.
Des chercheurs suisses ont travaillé sur la Prius. C’était une des premières voitures hybrides et ils ont montré la chose suivante : les consommateurs qui achetaient une voiture qui était beaucoup plus performante d’un point de vue énergétique, finalement, comme ils avaient bonne conscience et qu’ils pensaient être vertueux, roulaient plus, et il y a eu un effet rebond qui a été constaté. C’est à dire qu’il y a eu une augmentation du kilométrage parcouru et une émission plus importante des gaz à effet de serre. C’est un des paradoxes : ce n’est pas parce que vous avez la meilleure technologie, parce que vous avez une meilleure efficacité énergétique, que vous allez être sobre. Encore faut il avoir le comportement sobre
Nathalie Lazaric, directrice de recherche CNRS à l’université Côte d’Azur
Alors comment embarquer tout le monde dans la sobriété pour éviter l’effet rebond ? Partout en France, des structures s’appuient sur le programme DECLICS (ex « Familles à Energie Positive ») pour organiser localement des Défis des Familles. Sur Serre-Ponçon, la SCIC Energies Collectives se lance en novembre 2020, réunit 36 foyers autour de cette aventure qui durera 5 mois, et dans laquelle les participants devront modifier leurs habitudes du quotidien pour tenter de diminuer leur consommation au sein du logement. Première étape, les familles créent un espace en ligne dans lequel elles renseignent leurs consommations énergétiques des dernières années par poste de dépense, afin d’établir une période de référence pour la suite du défi. Administrateur d’Energies Collectives, Jacques Vallet raconte la suite.
Régulièrement, on était amené à renseigner la consommation effective. Ce qui fait que chacun pouvait avoir déjà une première indication de l’évolution de son comportement en terme de consommation par rapport à sa période de référence. Deuxième volet de l’opération, au delà de l’observation, c’était l’adoption d’écogestes, c’est à dire des attitudes qui permettent d’influencer les consommations d’énergie. Alors qu’est ce qu’un écogeste ? Ça touche tous les domaines de consommation. C’est mettre un couvercle sur une casserole quand vous faites chauffer de l’eau. C’est nettoyer la grille de son réfrigérateur, pas tous les jours mais peut être tous les six mois.
Jacques Vallet, administrateur de la SCIC Energies Collectives
Les résultats sont convaincants. Avec 60€ investis, les foyers diminuent leur consommation d’énergie de 20% et réalisent 200€ d’économies annuelles. Mais cette réussite immédiate comporte aussi le risque que les effets ne soit pas réellement durables, tempère Nathalie Lazaric.
Ce qui est très important dans ces expériences, c’est de savoir si l’on est capable de changer durablement ses habitudes en matière de consommation énergétique. […] Parce qu’en général, dans ces expériences, on agit sur les motivations, donc on va être motivé. Mais est ce que ça a permis de nous questionner aussi au plus profond sur nos valeurs ? Et ça, c’est différent. Si on joue sur les valeurs, on aura un effet plus durable dans le temps parce qu’il y aura eu le déclic en disant : finalement, mettons à plat nos consommations, voyons la consommation de manière plus générale. Est ce que ça va être le déclic sur d’autres postes de consommation ?
Nathalie Lazaric, directrice de recherche CNRS à l’université Côte d’Azur
D’où l’importance, selon Jacques Vallet, de ne pas imposer les mêmes écogestes à tous, mais que chacun s’approprie ceux qui correspondent le mieux à la situation du foyer et aux personnes qui le composent.
Je crois que ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les écogestes n’ont de sens que lorsqu’ils imprègnent la vie quotidienne. Et que ce soit du domaine du réflexe. Donc c’est propre à chaque famille, à son comportement et à son équipement.
Jacques Vallet, administrateur de la SCIC Energies Collectives
L’autre écueil des défis collectifs réside dans la difficulté de toucher une diversité de publics. Nathalie Lazaric fait remarquer que ces expériences nécessitent « un consentement, [or] les personnes consentantes sont les plus motivées donc à priori les plus sensibilisées ». Elle suggère, pour aller chercher les plus rétifs, de passer par des programmes d’éducation populaire en s’appuyant sur des associations « au plus près du terrain. » Cette difficulté, Energies Collectives en a bien conscience. À l’inverse, elle estime que les associations et coopératives ne devraient pas être seules à déployer ces programmes et que les pouvoirs publics devraient à minima apporter du soutien à ces structures, voire, prendre en charge leur organisation.
Si les foyers les plus défavorisés se voient régulièrement accoler l’étiquette de public « peu sensibilisé aux questions énergétiques » – et donc « à sensibiliser en priorité » – sont ceux qui ont le plus intérêt à réduire leur facture d’énergie, ce sont également ceux qui sont le moins émetteurs de gaz à effet de serre – probablement par contrainte financière. En novembre 2023 un rapport de l’ONG Oxfam France rappelait que les 50% des français les plus pauvres émettent en moyenne 3,8 tonnes de CO2 par an quand les 10 % les plus riches en rejettent 15,6. Le premier public est donc bien plus proche que le second de l’objectif des 2 tonnes fixé par les accords de Paris pour atteindre la neutralité carbone. L’éducation populaire ayant peu de chances d’embarquer les 10% dans la sobriété, comment toucher ces derniers ? Pour Thomas Beth, président de la Coopérative Energies Collectives, c’est un public pour lequel « il n’y a que la contrainte et donc la réglementation qui peut avoir une efficacité. »