La DSP signée avec la Compagnie Des Alpes prévoit que le télésiège du Bachas soit être remplacé par un téléporté. Un investissement conditionné à la réalisation d'au moins 600 lits chauds supplémentaires © Simon Becquet

« J’habite à Disneyland » : à Monêtier, la crainte qu’un projet immobilier dénature le village

À Monêtier-les-Bains – 1000 habitants, un projet immobilier adossé au remplacement d’un télésiège par un télécabine rencontre une vive opposition locale. Le collectif « Monêtier notre village » revendique à ce jour près de 200 foyers sympathisants et tente depuis des mois de convaincre le maire de revoir la copie de ce projet, qui, selon ces habitants, risque de dénaturer l’esprit du village. Reportage.

Version podcast, extrait Forum Hebdo du 20 octobre 2023

« Le Hamo. » Son hôtel, sa résidence de tourisme et sa résidence hôtelière. Au total, 123 appartements 4 et 5 étoiles, 80 chambres et 47 logements saisonniers. Deux piscines intérieures, parking souterrain, espace commercial pour reloger des prestataires d’activités. Avec ses 880 nouveaux lits chauds, le Hamo va plus que doubler la capacité d’accueil de cette commune qui en compte actuellement 600. Dans le bureau du maire, Jean-Marie Rey, trône une maquette du Hamo datée des années 2000. Comme si le projet imaginé il y a plus de deux décennies ans était toujours resté dans un coin de la tête des élus qui ont occupé ce bureau. En 2023 le projet sort des cartons pour de bon, avec, le 28 juin, le vote par le conseil municipal d’une délibération autorisant la signature d’une la promesse de vente des 19 000 m² de terrains communaux sur lesquels Le Hamo doit voir le jour.

Si le projet n’est pas nouveau, sa traduction concrète n’est rendue publique pour la première fois qu’en février 2023. C’est suite à cette réunion publique, que des habitants se regroupent en collectif pour demander que le projet soit revu. Cristou, membre co-fondatrice de Monêtier notre village, n’est pas vent debout contre le tourisme. Elle aimerait simplement que le village conserve son charme et sa convivialité.

Monêtier, c’est un village montagnard avec une population familiale, des grandes familles, où on accueille des gens en résidences secondaires. Et on connait ces gens, il y a même des fois des liens d’amitié. Donc on n’est pas contre les touristes et contre les résidences secondaires, au contraire.

Cristou, membre du collectif Monêtier notre village

Avec 75 % de résidences secondaires1, Monêtier-les-Bains fait partie des champions du département présentant le plus faible taux de résidents permanents, particulièrement dans la catégorie des villages-stations. Egalement présente ce jour-là aux côtés de Cristou pour représenter le collectif, Bérengère rie jaune à propos de la crise du logement qui frappe la commune. Et qui sera renforcée, selon elle, par l’augmentation de la capacité d’accueil touristique du village. « J’habite à Disneyland, ironise-t-elle, j’ai ma petite maison, mais autour, c’est des chalets à 1,6 M€. » Un coup d’œil à la vitrine de l’agence immobilière la plus proche le confirme. Pour acquérir l’un des quatre chalets neufs proposés à la vente à l’entrée de la vallée de Serre-Chevalier, une famille de cinq personnes devra se délester d’1,5 M€.

Aujourd’hui on a des familles qui sont déjà bien implantées depuis longtemps et qui n’arrive pas à se loger. […] C’est compliqué, les gens ne trouvent pas, donc les familles commencent à partir. Partent. Et là, je vous parle juste de la location, parce que pour l’achat la question ne se pose même pas, les prix sont devenus beaucoup trop élevés.

Bérengère, membre du collectif Monêtier notre village
Annonce pour l’achat d’un chalet dans vitrine d’une agence immobilière de la commune, le 22 septembre 2023 © Simon Becquet

Pour répondre à ce besoin urgent de logements accessibles aux locaux, le maire a un plan. Le lieu-dit « Pré Coueynaux » sur lequel la municipalité compte implanter des logements : 35% minimum en logement social avec 20% en habitat collectif, 40% en logement individuel et le reste en logement intermédiaire2. Monêtier notre village reconnaît la pertinence de ce projet mais regrette que sur les 19 000 m² vendus pour Le Hamo et pour lesquels la mairie a une maîtrise foncière immédiate, une partie ne soit pas fléchée vers de l’habitat principal – quitte à devoir modifier le PLU, voire le SCoT. Au Pré Coueynaux, une seule parcelle appartient à la commune, pointe le collectif. Et même si l’opération doit être portée par l’Etablissement Public Foncier Régional « cela va prendre 20 ans, estime Cristou du collectif qui fait remarquer que les expropriations sur ces terrains ne seront pas possibles, dans 20 ans on sera mort, il n’y aura plus d’enfants à l’école. » Plus optimiste, Jean-Marie Rey avance que le projet de Pré Coueynaux sortira de terre « dans trois ans. »

Enfin, pour rassurer les habitants sur le devenir long-terme des logements de cette nouvelle résidence, Jean-Marie Rey assure que les logements ne pourront pas basculer en résidences secondaires à l’issue du contrat qui engage le promoteur sur 30 ans, au motif que le terrain est classé UTN au PLU. Une affirmation pourtant contraire à un rapport d’information du Sénat sur le logement en montagne qui relèvait que « le code de l’urbanisme ne permet pas de contrôler l’évolution des logements gérés anciennement en formule locative par le biais de la résidence de tourisme en habitation secondaire. »

En somme, Jean-Marie Rey est bien décidé à ne pas reculer sur Le Hamo, qu’il juge indispensable pour préserver l’activité économique de la commune.

On a besoin de ces lits chauds. C’est dans l’esprit dans lequel on veut travailler. Si on veut effectivement allonger les saisons et pouvoir s’appuyer sur des opérateurs qui se sont engagés à ouvrir 10 mois sur 12 il faut disposer d’hébergements pour pouvoir compléter l’offre touristique avec les Grands Bains.

Jean-Marie Rey, maire de Monêtier-les-Bains

Le maire admet que la fréquentation hivernale va diminuer et que cette baisse est même déjà perceptible. Pour la compenser, le développement d’un tourisme à l’année s’impose, explique-t-il. Ce tourisme « quatre saisons », le collectif l’approuve. Mais pour Bérengère, cela passe avant tout par le développement d’activités. Pas par de nouveaux lits chauds.

C’est pas parce qu’on va créer des lits que les touristes vont venir, je pense qu’il y a aussi une dimension de créer des activités. Certes, on a un cadre de vie. On a les montagnes, la randonnée, le ski en hiver. Mais sur du quatre saisons, comme notre maire souhaite développer cette période-là, à un moment, on ne va pas les faire venir juste avec notre cadre de vie. Il faut qu’il y ait des activités […] Les lits on les a, on a un taux de remplissage sur les structures hôtelières sur les semaines importantes qui est à 80%, donc on a encore de la marge. Et en dehors des saisons, ces hôtels sont vides.

Bérengère, membre de Monêtier notre village

VTT, vélos sur les cols, eau-vive, randonnée, haute-montagne, offre touristique de la Toussaint commercialisée pour la première fois. Le maire, lui, énumère toutes ces activités déjà attractives aujourd’hui selon lui. Mais au-delà du développement d’un tourisme quatre saisons, la municipalité a une autre motivation à soutenir Le Hamo.

« La DSP qui a été signée [ndlr : entre la commune et la Compagnie des Alpes], reconduite il y a à peu près cinq ans, stipulait que pour l’amélioration du porteur du Bachas en télécabine, il fallait que ce soit associé à 600 lits touristiques. »

Jean-Marie Rey, maire de Monêtier-les-Bains

En effet, selon Jean-Marie Rey, « La DSP qui a été signée [ndlr : entre la commune et la Compagnie des Alpes], reconduite il y a à peu près cinq ans, stipulait que pour l’amélioration du porteur du Bachas en télécabine, il fallait que ce soit associé à 600 lits touristiques. C’est pour ça que ce projet du Hamo a du sens parce qu’on va respecter le cahier des charges pour un changement d’appareil. Et puis c’est évident que pour Monêtier on a un très beau front de neige […] mais notre difficulté, c’est qu’on a un très beau domaine intermédiaire-débutant sur le haut de la station, par contre la jonction entre le bas et le haut est relativement compliquée de par le profil naturel de la pente. Et effectivement un porteur avec des cabines fermée serait vraiment la solution puisque ça nous permettrait pour des skieurs qui ont démarré sur le front de neige, de tout de suite pouvoir monter en altitude […] Et cela pourrait permettre, sur des ouvertures tardives, de profiter de l’enneigement souvent très bon en fin de saison sur Monêtier. De sectoriser le domaine puisqu’il n’y aurait plus que trois appareils qui permettraient à la station de pouvoir dire oui on est ouvert jusqu’à des dates très tardives en fin de saison. »

En remplaçant le télésiège du Bachas par un télécabine, les skieurs débutants pourront éviter d’avoir à emprunter des pistes difficiles pour rejoindre le bas du domaine. En fin de saison, cela permettra à la CDA de fermer deux remontées dans le bas du domaine tout en maintenant ouvert le haut de la station.

De son côté, le collectif craint une saturation du village et de la station, néfaste pour les locaux comme pour les touristes.

Si vous étiez venu cet hiver, avec l’afflux de gens. Les voitures, entre la RD et les pistes de ski, c’était de la folie. Et là, on va en rajouter une bonne tartine.

Bérengère, membre du collectif Monêtier notre village

Au final, accueillir plus de gens, c’est aussi, pour moi, baisser en qualité d’accueil. Il faut qu’on soit tous conscients qu’à un moment on n’est pas là pour faire de la masse. Ou alors moi je pose la question, est-ce que c’est ça qu’on a envie de faire demain, du tourisme de masse ?

Bérengère, membre du collectif « Monêtier notre village »

La liste des désaccords et doutes du collectif est encore longue. À propos des ailes de saison, la CDA est-elle seulement d’accord pour ouvrir plus tard, questionne par exemple Monêtier notre village ? « C’est l’esprit » élude Jean-Marie Rey. Mais alors, qu’est-ce qui définit aujourd’hui la date de fermeture du domaine ? « La fréquentation et le coût d’exploitation » répond le maire à ram05. En ajoutant à cela l’état de la neige en fin de saison, difficile d’obtenir des garanties d’une ouverture plus tardive du domaine dans cette équation aux nombreuses variables. En sectorisant le domaine pour stopper quelques remontées mécaniques – et contrats saisonniers – avant la fin de la saison, la CDA devrait effectivement réduire son coût d’exploitation. Reste à savoir si les touristes répondront présents jusqu’au printemps.

1 chiffres INSEE 2020

2 L’écho du Monêtier n°6 (bulletin municipal été 2023)


Pour aller plus loin :

Quel enneigement en 2050 ? Selon l’étude Climsnow commandée par la Région et consultée par ram 05, le domaine skiable de Serre-Chevallier a encore de bonnes décennies devant lui. En se basant sur le scénario le plus pessimiste (RCP 8.5 : augmentation des émissions de gaz à effet de serre au rythme actuel) l’indice de fiabilité de l’enneigement en 2050 avec de nouveaux investissements dans la neige artificielle serait de 88 % contre 93 % aujourd’hui.

Zéro Artificialisation Nette : à propos de la loi ZAN, le maire se veut rassurant. La municipalité dispose d’ici à 2030 d’une enveloppe d’artificialisation de l’ordre de 2 hectares, selon Jean-Marie Rey. « Une partie importante » des 10 000 m² plancher du projet est déjà artificialisée fait-il valoir, et, si malgré cela le foncier « artifialisable » venait à manquer, le maire estime pouvoir bénéficier de l’enveloppe régionale de surfaces « artificialisables ». Un outil encore en cours d’élaboration, qui pourrait permettre de troquer des hectares d’artificialisation entre collectivités, dès lors que l’objectif ZAN est respecté à l’échelle de la Région.