Sébastien Poulain, docteur en science de l’information et de la communication de l'Université Bordeaux Montaigne, laboratoire Mica

"Une autre redevance est possible" : quelles alternatives à la suppression de la Contribution à l'Audiovisuel Public ?

Diminution de budget, indépendance affaiblie... les craintes que suscitent la suppression de la redevance sur l’audiovisuel public [AP] ont mis en grève les trois quarts des journalistes de Radio France mardi 28 juin, selon le Syndicat National des Journalistes. Cet engagement de campagne d’Emmanuel Macron est selon le président un moyen de rendre plus juste la contribution des ménages à l’AP. Mesure qui était par ailleurs soutenue par les candidats Éric Zemmour, Marine Le Pen et Valérie Pécresse. Depuis les foyers équipés d’un téléviseur paient un impôt de 138€ pour alimenter le budget des chaînes publiques de radios et de télévision avec toutefois quelques exonérations. ram05 a échangé avec Sébastien Poulain, docteur en sciences de l’information et de la communication de l’université Bordeaux-Montaigne, sur les enjeux liés autour de cette suppression.

À l’annonce de cette décision en mars dernier, l’ancien porte-parole du gouvernement Gabriel Attal avait rapidement balayé les craintes sur une fragilisation de l’indépendance de l’AP. Son budget serait voté pour 5 ans sans dérogation possible, assurait-il à la presse en mars dernier. Sous-entendu, pas de possibilité pour le politique de faire pression sur l’AP à travers le levier budgétaire. Mais pour l’économiste Julia Cagé, autrice du rapport pour la Fondation Jean-Jaurès « Une autre redevance est possible », « le vote d’une trajectoire de dépenses est [certes] plus engageant qu’une renégociation annuelle, mais il ne permet cependant pas d’éviter, si tel est le choix du Parlement » car « même dans le cadre d’une programmation budgétaire, le principe de base reste l’annualité budgétaire. ».

Au-delà de la pérennité du financement, le docteur Sébastien Poulain évoque le symbole que représente la redevance « affectée » au budget de l’AP.

C’est très symbolique dans la mesure où il y a un moment dans l’année où vous réfléchissez à l’AP et où vous vous dites : «  il faut que je paye l’AP[…], je [le] finance, ce média m’appartient en partie, il doit me représenter. Sébastien Poulain, docteur en sciences de l’information et de la communication de l’université Bordeaux-Montaigne

Et sur le risque d’une fragilisation du budget de l’AP, Sébastien Poulain rappelle que la contribution pouvait déjà fluctuer au gré des décisions politiques, mais estime qu’en l’intégrant au budget général, les interventions deviendraient plus discrètes.

Là, [le budget de l’AP] va être dilué dans l’ensemble du budget de l’Etat

Des réductions de budget qui pourraient être « plus discrètes », c’est aussi ce que souligne Julia Cagé, qui évoque un précédent en 2009. La publicité après 20h avait été supprimée sur les chaînes de télévision publiques, et pour garantir des recettes pérennes, l’État « avait promis de prendre en charge financièrement ce « manque à gagner » […] Il a été compensé le temps de quelques années et puis tout cela a été oublié, laissant chaque année l’audiovisuel avec un peu moins de moyens pour nous informer. » rappelle l’économiste.

Alors quelles solutions alternatives existent pour répondre aux enjeux d’indépendance et d’équité liée à la redevance ?

L’économiste Julia Cagé s’appuie sur trois pays du nord de l’Europe. La Suède, la Norvège et la Finlande, qui ont tous les trois revu leur mode de financement de l’AP dans les dix dernières années.

En Suède, depuis 2019, les individus de plus de 18 ans paient une « taxe de service public » égale à 1 % du revenu imposable, plafonné à 126€ par an. Elle a permis de baisser son montant pour les ménages les plus modestes, tout en augmentant les ressources financières de l’AP.

En France, le taux devrait être de 0,25 % pour maintenir le budget de l’AP au même niveau que la contribution actuelle, sauf qu’il permettrait, explique Julia Cagé « un important gain de pouvoir d’achat pour tous les foyers disposant moins de 4 500€ par mois (soit environ 35 millions de foyers fiscaux et un effort supplémentaires pour les seuls autres ». Pour les foyers fiscaux dont le revenu fiscal se situe entre 0 et 10 000€, la taxe s’élèverait à 10€ contre 138€ aujourd’hui.

Autre possibilité, la « contribution affectée progressive en fonction du revenu », en vigueur en Norvège depuis 2020. Là-aussi, le montant de la contribution dépend du niveau de vie des ménages, et appliqué à la France, ce modèle donnerait la fourchette suivante : 10€ pour les revenus fiscaux de 0 à 15 000€, à 200€ pour ceux qui dépassent 50 000€.

L’économiste cite également la Finlande, où le budget de l’AP est alimenté à la fois par les particuliers et les entreprises.

Si dans le discours tenu officiellement par la majorité relative rien ne semble indiquer clairement une volonté de réduire le budget de l’AP, les propos tenus quelques mois après la première élection d’Emmanuel Macron lors d’une réunion à l’Elysée contrastait avec le discours actuel. Selon l’Express et Telerama le président aurait assuré devant les députés de La République en Marche et du Modem membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation : « L’audiovisuel public, c’est une honte pour nos concitoyens, […] en termes de gouvernance, [...] de l’attitude des dirigeants. », et estimé que l’AP « est très cher, pour une absence de réforme complète depuis que l’entreprise unique [à France Télévisions] existe ; pour une synergie quasi inexistante entre les différents piliers des entreprises publiques ; pour une production de contenus de qualité variable »