La Barre noire et la Barre des Écrins, depuis le refuge des Écrins. © Élie Ducos

Un été au goutte à goutte pour les refuges de montagne

Les conséquences de la canicule et surtout de la sécheresse n’en finissent pas d’apparaître. Arrêtons-nous aujourd’hui sur le cas des refuges de montagne. Au mieux, ils ont passé un été tendu. Au pire, ils ont fermé. Le stress hydrique, l’inquiétude de se retrouver à sec, mais aussi les conditions de pratique de la montagne et le glissement de la saison sur le mois de juin ont donné quelques sueurs froides. Avec deux gardien.ne.s de refuges, ram05 dresse le bilan de cette saison d’été préoccupante.

Alors que l’emblématique refuge de l’Aigle, le plus haut des Écrins, a été contraint à une fermeture anticipée le 14 août à cause de la sécheresse – risque d’éboulements, accès compliqué au refuge et gestion de l’eau difficile. Noëmie Dagan est gardienne du refuge de la Selle à Saint-Christophe-en-Oisans, entre le Râteau et le massif du Soreiller. Sa saison vient de se terminer. Elle a déjà fait face à des problèmes d’alimentation en eau l’an dernier. « L’année dernière, c’est arrivé fin août, explique-t-elle, donc à la limite, j’ai pu faire ma saison tranquillement ». Elle a anticipé cette année, et malgré cela, les difficultés sont apparues beaucoup plus tôt. « Tout s’est tari le 15 juillet », décrit la gardienne.

Noëmie Dagan

Ce qui s’est passé fin août l’année dernière, est arrivé le 15 juillet cette année

Noëmie Dagan, gardienne du refuge de la Selle

Heureusement, dans l’urgence, la STD, Société des Touristes du Dauphiné, club de montagne créé en 1875, qui est propriétaire du refuge, réagit rapidement. Un kilomètre de tuyaux en plymouth est monté. Et un nouveau captage est réalisé à plus d’un kilomètre du refuge. Un chantier qui sauve la saison à ce moment là. Mais qui reste une solution malgré tout précaire, difficilement viable à long terme. « L’an dernier, on a eu un été vraiment humide, il a fait mauvais, il y a eu des orages, il a plu souvent, et malgré ça, notre torrent s’est asséché », déplore Noëmie Dagan. L’enjeu majeur pour garantir l’alimentation en eau estivale est bel et bien l’enneigement hivernal.

Noëmie Dagan

Il ne faut pas se dire que ce sont les pluies ou les orages d’été qui vont alimenter nos torrents, ce n’est pas vrai, c’est la neige d’hiver

Noëmie Dagan, gardienne du refuge de la Selle

Même constat sur les hauteurs du glacier Blanc, au refuge des Écrins. D’une part, la sécheresse a fortement impacté les conditions sur les courses de neige classiques, qui, dès juillet, étaient en glace et donc moins praticables. En juin, les conditions étaient bonnes. « La Barre, le Dôme, Roche Faurio ou la pointe Louise étaient correctement enneigées », éclaire Damien Haxaire, le gardien du refuge. Conséquence : « On a fait un très gros mois de juin, détaille-t-il. La saison s’est clairement déplacée : la fréquentation du mois d’août est venue au mois de juin », explique-t-il. Le mois de juin enneigé sur les sommets était pourtant déjà sec autour du refuge et a été très tendu pour le gardien. « Cette année, en juin, on n’avait plus de neige du tout en surface, décrit-il. Par contre, il faisait encore trop froid pour que le glacier fossile puisse commencer à fondre ». La chaleur de juillet change la donne, la glace fond et l’alimentation en eau devient « régulière et correcte » jusqu’à la fin de saison.

Damien Haxaire

En haute montagne, des ruisseaux permanents deviennent des ruisseaux temporaires. Cette situation instable impose donc de prendre des mesures pour s’adapter. « On avait encore de la réserve d’eau sous forme de glacier fossile, mais ça nécessite que notre captage soit déplacé 100 mètres plus haut », explique Damien Haxaire. Au refuge de la Selle, plusieurs aménagements sont prévus pour ne pas perdre la moindre goutte d’eau. Nous avons joint Noëmie Dagan alors qu’elle venait de redescendre du refuge. Elle y était remontée une journée avec un hydrogéologue et un maçon pour évaluer l’ampleur des travaux à effectuer afin de sécuriser l’alimentation du refuge en eau.

Noëmie Dagan

« La moindre goutte d’eau va devenir importante, et il ne faut pas la perdre », prévient-elle. Maître mot de l’adaptation : l’optimisation. Et la nécessité de trouver des sources sur de plus gros névés ou des reliquats de glaciers, qu’il faut aller chercher beaucoup plus loin. Une eau précieuse, rare, qui demande aussi à être stockée pour être utilisée à bon escient. « Il faut prévoir une citerne tampon avant le refuge, qui dans les coups durs puisse me servir de secours », détaille celle qui a aussi été gardienne du refuge Adèle Planchard.

Noëmie Dagan

Le stockage de l’eau va devenir la base de la problématique dans les refuges

Noëmie Dagan, gardienne du refuge de la Selle

Il faut donc réfléchir à un avenir sec. Cette année la réactivité et l’efficacité de la gardienne et du propriétaire du refuge face à la pénurie d’eau ont permis d’éviter une fermeture. Les réservations ont simplement été suspendues durant très peu de temps, ce qui n’a pas eu de conséquences. Ce n’était pas le cas l’an dernier où le refuge de la Selle a été contraint de fermer ses portes à la fin du mois d’août, soit une dizaine de jours plus tôt. Ce qui représente tout autant de manque à gagner. Pas de fermeture en revanche au refuge des Écrins, mais la situation inédite a contraint Damien Haxaire à l’adaptation et à la réflexion -« ce qu’il y a d’étonnant, cette année, c’est la date à laquelle on est obligé de faire attention »- pour les années à venir.

Damien Haxaire

Peut-être que cette situation permettrait de réfléchir à sa consommation d’eau chez soi, en bas, dans la vallée

Damien Haxaire

En sachant que la consommation moyenne d’un français est de 149 litres d’eau par jour contre 25 litres au refuge des Écrins. La question du « juste milieu » est plus que jamais d’actualité. Ailleurs dans le massif, certains refuges, comme celui du Pavé, n’ont pas eu de problème d’alimentation en eau. Mais la sécheresse a impacté les grandes courses de neige du début de saison, trop sèches. Du Pavé, il a fallu se reporter sur des courses de rocher plus classiques comme le Pic nord des Cavales, nous explique la gardienne Lucie Gauthier. Au fond du Valgaudemar, entre les Rouies et les Bans, le refuge du Pigeonnier a connu un petit épisode de stress hydrique. « Le névé habituel avait disparu durant l’été, ce qui est exceptionnel », nous détaille son gardien Olivier Parent. Heureusement, la découverte d’un petit glacier rocheux a permis, là aussi, de maintenir une alimentation en eau tout l’été. Enfin, le refuge de Furfande dans le Queyras a connu aussi des débits plus faibles que d’habitude, mais la source a coulé jusqu’à la fin de l’été.

Pour le moment, l’espoir de la saison prochaine reste bien évidemment un hiver enneigé.