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Un an après, le Contrat d’Engagement Républicain dévie de sa cible initiale

Cet outil censé viser en premier lieu l’islam radical a depuis ciblé des associations écologistes. Retour sur un outil critiqué dès sa mise en œuvre par le monde associatif.

C’est une petite case apparue l’année dernière en bas des formulaires de demandes de subvention aux collectivités. Insignifiante pour beaucoup d’associations, elle est à l’inverse source d’inquiétudes pour d’autres. Depuis un décret du 31 décembre 2021, toute association qui effectue une demande de subvention doit la cocher, s’engageant ainsi à respecter le Contrat d’Engagement Républicain, faute de quoi elle risque de se voir retirer une subvention attribuée, voire de devoir rembourser une subvention perçue. Créé par la loi « confortant le respect des principes de la république » – dite « loi séparatisme », ce contrat était présenté avant tout comme un outil pour lutter contre l’islam radical.

Mais en septembre 2022, c’est l’association Alternatiba Poitiers qui a été ciblée. Dans son « Village des Alternatives » installé les 17 et 18 septembre, l’association proposait un atelier de formation à la désobéissance civile non-violente. Le préfet de la Vienne y a vu une violation du Contrat d’Engagement Républicain et a demandé à la ville de Poitiers et à la Communauté Urbaine du Grand Poitiers de retirer leur soutien financier à Alternatiba – de 5 000€ et 10 000€. Plus récemment, Mediapart a révélé qu’un représentant de la préfecture de Corrèze « a affirmé lors d’une réunion que certaines associations ne pourraient plus accéder à des subventions au motif qu’elles auraient violé leur contrat d’engagement républicain ». Plusieurs sources interrogées par Mediapart assurent que le secrétaire général de la préfecture aurait justifié que les cinq associations concernées appartiendraient à une « mouvance “ultragauche”, que la décision avait été prise sur la base d’un contrôle de l’honorabilité des dirigeants, qui avaient des opinions politiques anti-État et antisystème, et aussi par rapport à la nature de leurs activités. » L’outil aurait donc une nouvelle fois dévié de sa cible initiale pour atteindre des associations écologistes, susceptibles de créer un trouble à l’ordre public.

Dorothée Paulin, la Directrice Générale de l’ADELHA 05 – la Ligue de l’Enseignement dans les Hautes-Alpes, ainsi qu’une personne des services de l’État dans les Hautes-Alpes qui suit le déploiement du Contrat d’Engagement Républicain nous ont indiqué que localement, très peu d’associations semblent s’inquiéter de ce dispositif. Les craintes émanent pour le moment d’associations nationales, « plutôt écologistes », « qui font du plaidoyer » ou encore susceptibles de « faire des actions avec débordement, de leur fait ou pas. » Pas vraiment les cibles premières évoquées pendant les discussions sur la loi séparatisme.

Ce que les opposants à ce contrat lui reprochent depuis sa mise en œuvre, c’est justement le flou qui caractérise les « valeurs républicaines » évoquées. Point de vue partagé par Jean Gaboriau, administrateur de l’association Refuges Solidaires, qui œuvre pour un accueil digne de personnes exilées dans le Briançonnais, interrogé sur le regard qu’il porte sur le Contrat d’Engagement Républicain.

Le mot républicain se décline de l’extrême droite à l’extrême gauche, donc chacun en voit sa lecture

Jean Gaboriau, administrateur de l’association Refuges Solidaires

Un paradoxe a par ailleurs été pointé très tôt par des représentants du monde associatif : les cibles premières du Contrat d’Engagement Républicain ne perçoivent pas ou très rarement de subventions. Plus récemment une source contactée nous expliquait qu’au sein des services de l’État dans les Hautes-Alpes, plusieurs fonctionnaires se sont également fait la remarque que « les associations ciblées n’ont pas de subventions, elles opèrent via d’autres réseaux. Elle ne s’affichent pas vraiment. »

À l’inverse, des associations écologistes ou plus localement Refuges Solidaires – qui ne touche plus de subventions depuis l’élection d’Arnaud Murgia à Briançon mais qui pourrait être amené à l’avenir en percevoir – elles, peuvent être impactées.

De plus, le respect du contrat par les membres de l’association est de la responsabilité des dirigeants. Mais la limite entre l’action d’un membre à titre individuel et dans le cadre de son engagement associatif est-elle suffisamment claire pour ne pas risquer de faire porter le chapeau aux associations ? Dans quelle mesure les maraudes à la frontière – qui ont déjà fait l’objet de procès – pourraient-elles par ricochet porter atteinte aux associations solidaires à la frontière ?

Notre avis c’est qu’on est complètement dans les clous

Jean Gaboriau, administrateur de l’association Refuges Solidaires

Pour autant, le Contrat d’Engagement Républicain n’est pas une révolution pour le monde associatif. Sollicité pour un avis fin 2021, le HCVA – Haut Conseil à la Vie Associative – faisait remarquer que les associations bénéficiant de subventions s’engageaient auparavant déjà à respecter la Charte des engagements réciproques, un « acte solennel fondé sur les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ». De même « un grand nombre d’administrations centrales sollicitent d’ores et déjà des associations demanderesses de subventions un engagement de respecter les valeurs de la République. Le non-respect de celui-ci entraine le remboursement » faisait remarquer le HCVA dans son avis, concluant qu’il n’y avait nul besoin de demander des engagements sur les engagements déjà existants.

Le HCVA attirait aussi l’attention sur le fait que la très grande majorité des initiatives associatives, dans certains quartiers sensibles « ont précisément pour vocation de prévenir les risques de radicalisation ou d’embrigadement dans des réseaux délinquants. » En prenant pour cible le monde associatif, celui-ci risquerait « de se décourager, sinon de réagir à une assimilation sans discernement aux « groupes » visés ».

Ce qu’il faut retenir :

  • En principe, le Contrat d’Engagement Républicain n’est pas une révolution car il était déjà possible pour les services de l’Etat de retirer des subventions aux associations qui ne respectaient pas les principes républicains. En revanche, le fait de créer un outil, identifiable, avec un nom, pourrait banaliser sa mise en œuvre. De fait, en quelques mois plusieurs associations écologistes en ont fait les frais en 2022.
  • L’affaire Alternatiba n’est pas terminée, et elle va avoir un rôle important à jouer car les collectivités ont refusé d’annuler les subventions et la préfecture a engagé une action en justice pour les contraindre à le faire. Les premiers jugements rendus sur l’utilisation du Contrat d’Engagement Républicain vont jouer un rôle crucial pour mieux définir le périmètre dans lequel il peut justifier des suppressions de subventions.