Selon la préfecture, l’hébergement d’urgence n’a pas pour vocation d’accueillir « les personnes en transit »
Depuis mai 2023, le Refuge Solidaire, à Briançon, appelle l’État à l’aide. Avec au moins une centaine d’exilés accueillis chaque jour, le refuge associatif dépasse régulièrement ses capacités d’accueil plafonnées à 64. Un nouveau pic a été atteint fin juillet, avec 212 personnes hébergées la nuit du 30 au 31 juillet, selon l’association Refuges solidaires. Sollicitée, la préfecture des Hautes-Alpes affirme que l’hébergement d’urgence, responsabilité de l’État, n’a pas « pour vocation de prendre en charge des personnes en transit ». Décryptage avec Serge Slama, professeur de droit public, qui rappelle le principe d’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence.
Crise migratoire, crise sanitaire, crise sociale : dans les Hautes-Alpes, l’hébergement d’urgence est passé d’une quarantaine de places pérennes en 2017 dans le département à quelques 140 places cette année. Stéphanie Hachet, directrice adjointe de la direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) interviewée en mai dernier, retrace cette évolution.
Jusqu’en 2017, on était sur un nombre de places autour de 30 à 40 places pérennes. Il y avait d’autres places complémentaires qui étaient ouvertes en période hivernale. Et puis, fin 2017 courant 2018, il y a eu une arrivée massive de migrants à la frontière italienne. Une première arrivée qui a nécessité une mise à l’abri très, très rapide des personnes vulnérables et, donc, qui a abouti à l’ouverture de places supplémentaires qui ont pu être pérennisées dans leur financement. On arrive aujourd’hui, au fur et à mesure des évolutions sur le territoire qui ne sont pas liées uniquement à la crise migratoire, mais aussi à des difficultés sociales qui s’accentuent, à 130 à 140 places financées de manière pérenne sur le département. Au-delà de ces 140 places, des places exceptionnelles sont régulièrement ouvertes pour faire face aux vulnérabilités rencontrées et éviter toute personne à la rue.
Stéphanie Hachet, directrice adjointe de la DDETSPP des Hautes-Alpes
Parmi ces places d’hébergement d’urgence financées, les services de l’État comptabilisent les quelques 120 personnes, principalement des exilés, logées provisoirement en bungalow au camping Le Napoléon à Gap. Des hébergements censés être provisoires à leur ouverture en 2017 et qui durent depuis.
Selon le code de l’action sociale et des familles « toute personne sans abri, en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ». Contacté par ram05, Serge Slama est professeur de droit public à l’université Grenoble Alpes. Il est spécialisé dans le droit des étrangers.
Le principe de l’hébergement d’urgence, c’est le caractère inconditionnel de l’hébergement d’urgence des personnes vulnérables. Donc la loi est extrêmement claire là-dessus. On ne peut poser aucune condition, notamment pas de condition de statut migratoire ou de régularité du séjour. Toute personne en situation de vulnérabilité, et un migrant est une personne en situation de vulnérabilité, a le droit à un hébergement d’urgence pris en charge par l’État. C’est une compétence de l’État.
Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble Alpes
Principe dont ne disconviennent pas les services de l’État, qui jusqu’alors conseillaient aux migrants et à leurs aidants d’appeler le 115.
Ça implique que toute personne qui aurait un besoin de mise à l’abri et qui soit à la rue appelle le 115 […] et il y a une évaluation qui est faite par les écoutants du 115 qui sont donc des travailleurs sociaux professionnels. En fonction à la fois des places disponibles et de la situation de la personne, il peut être proposé un accueil sur un des dispositifs du département.
Stéphanie Hachet
Mais la DDETSPP indique que le dispositif du 115, géré par les associations APPASE et Coallia, est « saturé ». Le dispositif ne disposerait, selon les associations, que d’une dizaine de places dans le Briançonnais. Sans confirmer ce chiffre, les services de l’État reconnaissent qu’il existe « beaucoup moins de place à Briançon qu’à Gap » et que l’idée d’ouvrir plus de places au nord du département fait partie « des pistes de restructuration ».
Jusqu’alors, la préfecture des Hautes-Alpes renvoyait à cet hébergement d’urgence, conseillant aux exilés et aux solidaires d’appeler le 115.
Changement de pied. Dans un communiqué en contradiction avec ce principe, reçu le 21 juillet, la préfecture des Hautes-Alpes affirme désormais que les 175 places hébergement d’urgence du département n’ont pas « pour vocation de prendre en charge des personnes en transit mais des personnes en situation de grande vulnérabilité à l’instar des demandeurs d’asile ». Le Refuge solidaire, qui en avait appelé à l’aide de L’État pour ouvrir un centre de la Croix-Rouge, indique également avoir reçu le 31 juillet une fin de non-recevoir de la part de la préfecture des Hautes-Alpes.
Juridiquement, ça ne veut rien dire parce que l’ensemble des spécialistes des questions migratoires reconnaissent que le fait même d’être en migration place en position de vulnérabilité, quel que soit le statut de demandeur d’asile, de migrant économique, de victime de la traite de l’être humain, de mineur non accompagné. Toute personne en migration est une personne en vulnérabilité, surtout après avoir passé des cols alpins. En fait, tout migrant a vocation a être pris en charge par l’État. […] Récemment, il y a une décision du Conseil d’État sur Ouistreham, où il y avait des migrants, qui de la même façon transitaient par Ouistreham pour essayer de gagner la Grande-Bretagne. Le Conseil d’État a estimé que l’État et la Ville étaient compétents pour, au nom du pouvoir de police administrative générale, protéger la dignité de ces migrants et éviter des traitements inhumains et dégradants, notamment en donnant accès à l’eau et aux sanitaires. Donc la ville de Ouistrham a du mettre en place des sanitaires et des points d’eau pour ces migrants, même s’ils étaient en situation de transit.
Serge Slama
Cette décision du Conseil d’État, obligeant la commune normande de Ouistreham à installer des points d’eau à proximité d’un campement informel de migrants, date du 3 juillet dernier. Cette jurisprudence est bien établie dans le Calaisis depuis 2015 et l’installation de campements de migrants.
Mais la priorité des gouvernements successifs, depuis les attentats du 13 novembre 2015, a été de renvoyer ces migrants vers l’Italie, au nom d’objectifs sécuritaires.
Bien évidemment, tout ça est perturbé par le droit des étrangers, parce que le statut de ces migrants est parfois difficile à définir. Certains sont des potentiels demandeurs d’asile, beaucoup relèvent du règlement Dublin s’ils souhaitent faire une demande d’asile, parfois ils relèvent de la traite de l’être humain, du statut de mineur non accompagné, d’autres statuts. Le problème est que l’État bien souvent, c’est aussi l’État policier. Il y a l’État social, mais il y a aussi l’État policier. Et l’État policier a tendance à vouloir les renvoyer, les réadmettre vers l’Italie. […]
Serge Slama
En novembre 2021, confronté à des arrivées qui surpassaient ses capacités d’accueil, le Refuge associatif avait décidé de fermer ses portes. La nuit avant sa fermeture, 230 personnes se trouvaient sur place, soit à peine 20 de plus que le pic de cette fin juillet. L’association Tous migrants avait alors saisi le tribunal administratif de Marseille selon la procédure urgente du référé-liberté pour contraindre les pouvoirs publics à mettre en œuvre un accueil et un hébergement d’urgence des personnes migrantes. Le tribunal administratif de Marseille avait rejeté cette requête, notamment au motif qu’il ne pouvait se prononcer, concernant le respect des droits des personnes, qu’au cas par cas, sur des saisines pour des cas individuels et non sur « des mesures à caractère général ».
En novembre 2021, selon Le Dauphiné libéré, des bénévoles avaient enregistré deux appels passés de nuit au 115 pour une mise à l’abri de personnes migrantes arrivées à Briançon. Dans l’un d’eux, un opérateur affirmait avoir eu « un avis » de la préfecture et ne prendre « que des personnes qui sont en règle quoi, qui ont des papiers. » La préfète de l’époque avait ensuite démenti toute consigne passée en ce sens.
Et maintenant ? Le Refuge solidaire en appelle aux bonnes volontés : places hébergement solidaires chez des particuliers pour quelques jours dans le Briançonnais, bénévolat, nourriture, et dons. L’association a été reçue le 24 juillet par le député des Hautes-Alpes Joël Giraud, membre de la majorité présidentielle. Le député a, selon son assistante parlementaire, saisi le préfet des Hautes-Alpes. Avec le succès que l’on sait.