Les Orres, centre-station / Odejea, CC BY-SA 3.0 <creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons

Que vont devenir les passoires thermiques des stations haut-alpines ?

Les meublés touristiques qui consomment le plus d’énergie et qui émettent le plus de gaz à effet de serre pourraient bientôt être interdits à la location. Une mesure qui suscite les inquiétudes de nombreux élus.

Comment est réglementé le DPE ?

« DPE » pour « diagnostic de performance énergétique », ces étiquettes échelonnées de A à G, du vert au rouge.

Cet outil de mesure des performances énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre d’un logement a connu une mise à jour en 2021 dans le cadre de la loi « climat et résilience ». De part son mode de calcul tout d’abord, expliquait Alain Mars, directeur du CAUE des Hautes-Alpes, le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, sur notre antenne en avril dernier.

On passe d'une analyse des factures énergétiques à une estimation de la quantité d'énergie effectivement nécessaire pour faire fonctionner le logement. Le diagnostiqueur va analyser l'ensemble des énergies dépensées pour l'électroménager ou le chauffage par exemple, et va analyser aussi la performance de l'isolation.

Alain Mars

Autre nouveauté : le DPE est devenu contraignant. Depuis le 1er janvier dernier, les pires passoires énergétiques, au-delà de l’étiquette G, n’ont plus le droit d’être remises en location. Les logements classés G seront concernés à partir de 2025, ceux classés F à partir de 2028 et ceux classés E à partir de 2034.

« On passe sur une prise en charge du coût du locataire au propriétaire : ce sera au propriétaire de faire des travaux pour améliorer la qualité énergétique du logement », analyse Alain Mars.

Qu’en est-il des meublés touristiques ?

Pour l’instant, ils ne sont pas concernés : il est possible de mettre en location une passoire thermique à des touristes. « Ces logements sont loués de manière ponctuelle et ne mettent pas leurs locataires en situation de précarité énergétique », justifiait le ministère du logement en avril 2022.

Mais le vent tourne. En octobre 2022, Olivier Klein, qui a succédé durant l’été à Emmanuelle Wargon au ministère du logement, déclarait sur BFM qu’il était « hors de question qu’on se réfugie derrière l’interdiction de remettre en location en transformant son logement en meublé touristique ». Mettre sur Airbnb un appartement qui n’est plus autorisé à la location longue durée, c’est un risque qu’a aussi identifié Marc Viossat, président du CAUE 05.

On pourrait avoir un glissement de logements locatifs à l'année vers des logements touristiques, ce qui aurait des conséquences énormes pour la population permanente.

Marc Viossat

Deux propositions de loi visant à interdire à la location les meublés touristiques à mauvaises performances énergétiques ont été déposées cette année, en février au Sénat et en avril à l’Assemblée Nationale, allant donc dans le sens du ministère du logement.

Comment réagissent les élus concernés ?

On peut résumer la réponse de certains d’entre eux par « oui, mais ».

Pierre Vollaire, maire des Orres et vice-président de l’association nationale des maires de stations de montagne, reconnaît le besoin d’agir. L’ANMSM avait en effet mesuré en 2010, grâce à une étude auprès d’une dizaine de domaines de montagne, que le logement contribuait à hauteur de 27 % des émissions de gaz à effet de serre des stations.

Qu'il y ait besoin de travaux de rénovation, on en est tous conscients. On doit amener les propriétaires à aller de l'avant. On a commencé avec notre espace propriétaire, avec une personne à temps plein.

Pierre Vollaire

Ce service aide les propriétaires à engager des travaux d’amélioration de performances énergétiques, et conseille à l’heure actuelle 300 d’entre eux, rapporte Pierre Vollaire.

Jean-Michel Arnaud, sénateur des Hautes-Alpes, l’admet lui aussi : « il faut se mobiliser contre le réchauffement climatique, c’est une évidence » écrit-il dans un communiqué du mois dernier.

« Oui » donc, « mais »…

Mais les logements à rénover sont très nombreux, soulèvent ces élus. Dans les Hautes-Alpes, 68 % des DPE réalisés depuis la nouvelle réglementation sont classés E, F ou G, contre environ 40 % au niveau national, signale le CAUE. À titre d’exemple, les 8 000 à 9 000 lits de meublés touristiques à la station des Orres sont « globalement autour de F », estime Pierre Vollaire. Marc Viossat livre deux explications à ces mauvais chiffres.

C'est surtout lié aux époques de construction. Il y a eu de grosses constructions immobilières très peu performantes dans les stations de ski dans les années 60-70. Et il y a aussi un impact de la zone climatique et de l'altitude dans le calcul du DPE.

Marc Viossat

Les inégalités territoriales font donc partie des reproches adressés à la réglementation du DPE : les zones aux climats plus rudes sont défavorisées, tout comme les petites surfaces qui consomment plus d’énergie rapportée au m².

Autre « mais » : le calendrier. « Les délais prévus par la loi sont trop courts au vu des travaux nécessaires pour la mise en conformité des logements concernés, et de nombreuses difficultés vont en découler », juge ainsi Jean-Michel Arnaud.

Quelles craintes soulève le possible encadrement des performances énergétiques des meublés touristiques ?

« Les délais de réalisation des travaux, très contraints, vont entraîner un renchérissement des coûts. [...] Enfin, [le DPE] sera lourd de conséquences sur le parc de logements : combien d'entre eux vont disparaître de l'offre de location au moment même où se profile une crise du logement sans précédent ? », a déclaré le groupe Union Centriste du Sénat, dont fait partie Jean-Michel Arnaud, lors d’une séance de questions au gouvernement en mai dernier.

« Cela pourrait poser problème sur l’accueil touristique qu’on pourrait avoir sur notre territoire », ajoute de son côté Marc Viossat, par ailleurs vice-président du département des Hautes-Alpes.

Un point de vue que partage Pierre Vollaire.

Ce serait catastrophique d'arriver à interdire la location des appartements, cela constituerait une vraie catastrophe économique. Il faut qu'on nous laisse le temps d'aller de l'avant.

Pierre Vollaire

Plus de temps, cela fait partie des demandes adressées par l’association des maires de stations. Plus d’aide de l’État auprès des communes, plus d’incitations pour les propriétaires, également.

La démarche est en route, il faut nous laisser un peu de temps, nous accompagner, inciter. Sur l'incitation, la prime rénov' ne marche que pour les résidences principales. C'est dommage, ça aurait permis aux propriétaires d'aller de l'avant, je le réclame depuis des années.

Pierre Vollaire

Autre suggestion du maire des Orres : s’inspirer de la loi qui s’applique sur les locaux du tertiaire. Son principe est d’échelonner une réduction de la consommation énergétique du bâtiment, de - 40 % d’ici 2030, - 50 % d’ici 2040 et - 60 % d’ici 2050.

Marc Viossat, quant à lui réclame « une évolution du calcul du DPE, et en tout cas mettre en face des possibilités de rénovation thermique qui soit plus enclines à résoudre nos problèmes ».

Les associations de maires de stations, d’élus de montagne et de zones touristiques ont fait part de leurs demandes aux ministères des collectivités territoriales, du tourisme et du logement, rapporte Pierre Vollaire, qui espère rencontrer l’exécutif dans « les prochains jours ».

« Je ne nie pas qu'un certain nombre de particularités méritent d'être examinées, notamment dans les territoires de montagne », avait répondu Olivier Klein, ministre du logement, à la question qui lui était adressée au Sénat le mois dernier.