Purge, jeûne et crudivorisme : à Névache, des stages de naturopathes controversés
Début octobre est prévu à Névache un stage animé par des personnalités controversées du milieu de la naturopathie. Le cas de l’une d’elles, présumée innocente, est examiné par la justice.
Au cœur de la vallée de la Clarée est programmé du 2 au 6 octobre prochain un stage « pour changer de vie », « apprendre à Vivre Vraiment Vivant » et « [découvrir] les Secrets d’une Santé VRAIE, TOTALE et NATURELLE », selon son descriptif sur le site d’Irène Grosjean.
Cette dernière, une célébrité dans le domaine de la naturopathie, figure au premier rang des intervenants annoncés. La nonagénaire est renommée pour prôner une alimentation à base de graines, fruits et légumes crus comme solution à bon nombre de maladies. Les nombreux articles qui lui sont consacrés dans la presse nationale, par Le Figaro, Libération ou encore Usbek & Rica, relèvent ainsi l’affirmation par Irène Grosjean que ce type de régime peut faire guérir du sida.
La naturopathe a aussi été épinglée pour sa recommandation du « bain de siège à friction » pour faire baisser la fièvre chez les enfants, à savoir leur frotter le sexe dans de l’eau glacée malgré la réticence rencontrée, une méthode correspondant à la définition d’une agression sexuelle. « On perd le bon sens, c’est une technique ancestrale », se défend à ce propos Philippe Grosjean, fils d’Irène Grosjean et membre de l’organisation du stage joint par ram05.
Aux côtés d’Irène Grosjean est prévu Miguel Barthéléry. Ce dernier fait l’objet d’une procédure judiciaire, depuis la plainte déposée en 2019 par une femme dont le conjoint a succombé à un cancer alors qu’il suivait les conseils du praticien selon Le Parisien. Miguel Barthéléry l’aurait « éloigné de la médecine conventionnelle », le persuadant « qu’il pouvait se soigner à base de purges et de jeûnes », d’après le récit du quotidien.
Le praticien a été condamné en juin 2023 par la cour d’appel de Paris, à deux ans de prison avec sursis et une interdiction d’exercer après avoir été reconnu coupable d’« exercice illégal de la médecine » rapporte Le Parisien. Ram05 a appris, de source judiciaire, que Miguel Barthéléry s’est ensuite pourvu en cassation, que sa peine est donc suspendue et qu’il est toujours présumé innocent. Cette procédure judiciaire ne remet pas en cause sa participation au stage, confirme Philippe Grosjean.
Comment se déroule le stage ?
Le programme des 5 jours, d’après le déroulé envoyé à la cinquantaine d’inscrits, comprend « connection [sic] avec la nature », « câlins aux arbres », divers « atelier[s] », dont un « atelier crusine », moments de « théorie », randonnée et « soirée PURGE ». Le tout au tarif de 690 €, auquel s’ajoute le coût de la demi-pension dans l’hôtel privatisé pour l’occasion.
Au printemps dernier, un journaliste du Figaro s’est infiltré dans une précédente édition de ce stage, mettant en jeu les mêmes intervenants. Dans une série d’articles parus cet été, il y est décrit que ces derniers « promeuvent le manger cru, les purges de nettoyage et les jeûnes longs » lors d’interventions collectives ou de « consultations individuelles » proposées à « 100 euros pour 30 minutes », le tout « entre hostilité de la médecine conventionnelle, rejet du monde extérieur et promotion des pseudosciences ».
Sur ce point, Philippe Grosjean admet que sa mère « n’est pas vraiment une scientifique, elle a plus un esprit empirique », mais affirme que Miguel Barthéléry serait « docteur en biologie ». « On a affaire à une petite caricature un peu exagérée », estime l’organisateur, dénonçant « une chasse aux sorcières ».
Parmi le déroulé de l’évènement, Le Figaro décrit notamment la soirée dédiée à la « purge ». Après une randonnée en montagne, il serait suggéré aux participants, à la place d’un repas, d’ingérer un mélange, par exemple à base d’huile de ricin. Le quotidien décrit plusieurs cas de personnes malades durant la nuit ou les jours suivant cette « purge », citant l’exemple d’une stagiaire alitée pendant 24 heures, puis qui, affaiblie, se serait vue conseiller une deuxième purge et un jeûne.
« Plusieurs personnes se sont mises en danger, autant sur le plan physique que mental » pendant le séjour, estime ainsi l’auteur de l’article. « La purge peut provoquer un certain mal-être, très souvent avec une diarrhée, mais il n’y a pas de mise en danger », nie Philippe Grosjean.
Le journaliste infiltré décrit un « phénomène de rejet et d’isolement » chez plusieurs participants : « point commun de la plupart des stagiaires : ils sont englués dans une idéologie conspirationniste particulièrement prononcée » et « espéraient trouver la solution miracle pour aller mieux », observe-t-il.
Qu’en dit la MIVILUDES ?
Le jeûne et le crudivorisme figurent parmi les pratiques qui peuvent parfois induire des dérives sectaires, alerte la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, dans son rapport de 2022. « Il arrive que certaines personnes poussent à l’extrême un régime très carencé, associé à un effort physique intensif, le tout sans contrôle médical, pour profiter d’un affaiblissement des capacités physiques et mentales de résistance des participants et inculquer un certain discours », écrit l’organisme rattaché au ministère de l’intérieur.
« Les pratiques de médecine non-conventionnelle ont fait une percée significative depuis plusieurs années, en particulier depuis la crise du covid », observe Guy Crouvizier, président de l’ADFI 05, l’association de défense des familles et des individus victimes de dérives sectaires dans les Hautes-Alpes. Le bénévole identifie en particulier une raison principale à ce succès.
La défaillance du système de santé semble être la véritable source de recours aux thérapies alternatives.
Guy Crouvizier
« D’abord il y a une crise de confiance envers le système de santé : difficulté d’obtenir des rendez-vous, déserts médicaux, pathologies mal soignées… La défaillance du système de santé semble être la véritable source de recours aux thérapies alternatives.
Cela étant, de nombreuses thérapies alternatives ne posent pas de difficulté. On est dans un domaine très sensible, la liberté individuelle et la liberté de conscience, et les Français peuvent avoir besoin de ce qu’on appelle les « médecines parallèles » », analyse le président de l’ADFI 05.
Il ne faut pas jeter l’opprobre sur tous les praticiens de soins non-conventionnels, souligne Guy Crouvizier, « mais il faut être très vigilant ». « On peut aller de la dérive thérapeutique à la dérive sectaire », met en garde le bénévole.
Il y a un certain nombre de praticiens qui ne respectent pas les règles de base. Pour certains patients il y a des pertes de chance avec des retards dans les prises en charge, avec de l’abandon de soins.
Guy Crouvizier
« Il y a un certain nombre de praticiens qui ne respectent pas les règles de base. Par exemple qui se font passer pour des médecins, ou qui conseillent à des patients gravement malades d’abandonner la médecine traditionnelle, ce qui peut conduire à des décès.
Donc les risques sont : il n’y pas de secret médical avec ces personnes, il y a un flou autour du cadre réglementaire, les professionnels ne sont pas encadrés juridiquement, ne font pas partie d’un ordre, ils n’ont parfois pas d’assurance professionnelle, il y a un flou autour de la commercialisation des complémentaires et des dispositifs médicaux.
Et surtout, pour certains patients il y a des pertes de chance avec des retards dans les prises en charge, avec de l’abandon de soins », déclare Guy Crouvizier.
Le président de l’ADFI 05 adresse un message aux personnes qui s’inquiètent de voir leurs proches entraînés dans une dérive sectaire.
Surtout, éviter la rupture, garder le contact.
Guy Crouvizier
« Surtout, éviter la rupture avec les personnes qui iraient vers des dérives thérapeutiques conduisant à une dérive sectaire. Toujours essayer d’être auprès de cette personne. Sachant que la plupart du temps il y a une coupure avec la famille, et donc c’est très difficile pour la famille de continuer à avoir des relations avec la personne qui est supposée aller vers la dérive sectaire.
Ce sont des conseils de bon sens : garder le contact, éventuellement porter plainte, de façon à ce que la justice soit saisie du problème », conseille le bénévole.
L’ADFI 05, affiliée au niveau national à l’UNADFI, se fixe un rôle de prévention et d’accompagnement auprès des victimes de dérives sectaires et de leurs proches.
En 2021, un quart des saisines traitées par la MIVILUDES, soit au total un millier, ont concerné le domaine de la santé.