Le torrent en furie érode les berges et menace le pont de Palps sur la RD 994d. © Stéphanie Cachinero / Département des Hautes-Alpes

Près d’un an après les intempéries de 2023, la promesse du zéro reste à charge s’évanouit, celle de lourds travaux de prévention à engager se précise

Suite aux intempéries de l’automne 2023 dans les Hautes-Alpes, particulièrement dévastatrice dans le Guillestrois et le Queyras, la ministre des collectivités territoriales Dominique Faure avait promis un zéro reste à charge pour les travaux de réparations. Neuf mois plus tard, malgré une mission conduite par un sous-préfet délégué pour accélérer la mise en œuvre des paiements, les collectivités sont toujours dans l’attente et l’incertitude sur les montants. Pour éviter qu’un tel scénario ne se reproduise à chaque intempérie, le président de la Communauté de Communes du Guillestrois-Queyras estime qu’il est temps de réaliser des travaux préconisés par des études réalisées il y a près de 20 ans.

Le « zéro reste à charge », le président du département Jean-Marie-Bernard n’y a « jamais cru une seconde ». Mais celui-ci attend tout de même que l’État participe à l’effort, et s’indigne qu’aucun centime n’ait été versé pour le moment alors que les frais engagés se chiffrent en millions. 13 M€, pour les seules infrastructures gérées par le Département.

On a chiffré un peu les dégâts sur les routes, avec des travaux qui ont été faits, des travaux qui sont dans le cours et des travaux qui resteront à faire. Tous les épisodes difficiles qu’on a vécu à l’automne 2023 et même quelques mois avant, on les chiffre aujourd’hui à 13 millions d’euros, que ce soit dans le Champsaur, le Valgaudemar, la Vallouise au printemps et puis dans le Guillestrois à l’automne 2023.

À cela s’ajoute l’aide apportée par le Département aux communes pour leurs travaux de réparation : 2 millions d’euros supplémentaires. À Guillestre, le coût total est évalué à 2,3 millions d’euros, mais comme ailleurs, le choix a été fait de s’en tenir pour le moment aux réparations urgentes en attendant de connaître les montants qui pourront effectivement être remboursés par l’État, explique Christine Portevin, la maire de Guillestre.

On a fait le minimum pour ouvrir la saison d’été. On a fait beaucoup de travaux à Bramousse, un hameau qui a subi de gros dégâts, notamment les routes. Il y a les ponts à refaire, une toiture de chapelle à refaire. Au camping, on n’a fait que la moitié parce qu’il fallait rouvrir rapidement, donc on n’a mis que cent places. Il faut continuer les travaux avec de l’électricité, de l’eau potable, les sanitaires qui doivent être refaits… Il y a quand même beaucoup de travaux à faire et nous, on a besoin d’aide.

En janvier, un sous-préfet délégué avait pourtant été désigné dans les Hautes-Alpes pour se charger de la reconstruction des territoires impactés par les intempéries, et à maintes reprises, Eric Requet avait dit vouloir aller vite sur ce dossier. La fin de sa mission s’était conclue par la venue d’experts chargés de s’assurer que les sommes demandées par les collectivités étaient justifiées. Et depuis…

On n’a pas eu leur rendu, on ne sait pas où ça en est. Même si le préfet et la sous-préfète sont vraiment à nos côtés, qu’ils essaient de trouver des moyens pour dégager des queues de financement qui n’ont pas été utilisées pour pouvoir nous aider, aujourd’hui, on n’a pas de nouvelles [ndlr : de l’Etat sur le zéro reste à charge], donc on a zéro pour l’instant.

La maire d’Eygliers Anne Chouvet avance le chiffre de 500 000 euros pour les réparations sur sa commune, sans tenir compte dégâts découverts après la mission du sous-préfet délégué Eric Requet. À Risoul, la facture est autrement plus salée avec un Dossier de dotation de solidarité aux collectivités victimes d’événements climatiques déposé pour un montant de 5 millions d’euros.

Autre dette découlant des inondations, écologique celle-ci. Deux anciennes décharges ont été emportées par les crues à Aiguille et Guillestre. Le long des torrents, ces points de dépôts des déchets ensevelis sont nombreux les intempéries de 2023 ont mis en évidence l’urgence de les démanteler, rappelle Dominique Moulin, président de la Communauté de Communes du Guillestrois et du Queyras.

Autrefois, toutes les communes n’avaient pas d’ordures ménagères, il y avait ce qu’on appelait une décharge dans laquelle on mettait tout. Toutes les décharges étaient au bord des torrents. Quand la mise aux ordures ménagères a été faite, ces décharges-là ont été renflouées, c’est-à-dire repoussées au tractopelle. Il y a eu de la terre dessus, du caillou pour que ça ne se voit pas. Le problème c’est que quand le torrent reprend son lit et qu’il gratte, il gratte qui ? La décharge… C’est ce qu’il s’est passé à Guillestre. Donc ce sont des décharges qui partent dans le lit du torrent et qu’il faut enlever. Toutes celles qui sont au bord du torrent, petit à petit il faudra les enlever. La première qu’on va faire c’est celle du Pénin-Aiguille, parce qu’une bonne partie est déjà partie.

Les communauté de communes, responsables de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, financent les travaux d’entretien des rivières. À ce titre, elles ont dû mettre la main à la poche. Et là-aussi les montants se chiffrent en millions.

Ces épisodes météorologiques extrêmes sont appelés à se multiplier avec le changement climatique. Sauf que les ravages qu’ils causent ne sont pas nécessairement une fatalité, assure Dominique Moulin, citant des études réalisées dans le Guillestrois et le Queyras, visant à réaliser des travaux de prévention sur les rivières.

Ça date de 2008. Ce que nous disent les scientifiques de faire – ce qu’il faudrait pouvoir faire, c’est élargir le lit des rivières. Pas forcément creuser tout le temps le fond de la rivière. Parce que de toute façon, quand on creuse, l’eau part encore plus vite et les sédiments descendent encore plus rapidement. Ce qu’il faut pouvoir faire, c’est élargir le lit des torrents de telle sorte qu’il y ait des plages de dépôt, que les sédiments puissent se déposer quand il y a des crues. De plus, quand les sédiments se sont déposés, que la crue redescend ou quand il y a moins d’eau, cela nous permet de récupérer les matériaux sur les bords et les évacuer – avec des autorisations bien sûr. On peut donc récupérer du matériau de telle sorte que s’il y a une nouvelle crue, cela puisse s’étaler et déposer à nouveau les matériaux. Cela évite que les matériaux descendent et que tous les cailloux arrivent à Guillestre comme c’est arrivé là. Parce qu’on peut tout endiguer, on peut faire des murs, on peut bétonner toutes nos rivières… mais alors là, il n’y aura plus de poissons, plus de kayaks, plus de biodiversité, il n’y aura plus rien. La solution, elle est aussi de faire attention à ce que la rivière vive, qu’on continue à avoir du milieu aquatique dans la rivière. Ça me paraît important aussi.

L’ensemble des travaux préconisés par les études atteignaient les 22 millions d’euros. Une somme impressionnante en valeur absolue, mais à mettre en regard des travaux de réparation engagés aujourd’hui, relativise le président de la Communauté de Communes.

C’est sûr qu’on ne va pas le faire du jour au lendemain, parce qu’il faut trouver les entreprises. Mais si on avait pu faire ces travaux avant [ndlr : les intempéries de 2023] on n’en serait pas là. Un exemple tout à fait criant qu’on connaît très bien, celui de Vars. Si Vars-Sainte-Marie n’a pas été détruite, a été très peu impactée, c’est parce qu’on avait fait les travaux avant. On avait mis 3 millions d’euros sur le Chagnon à Vars. Si on ne l’avait pas fait, je peux vous dire qu’à Vars-Sainte-Marie, il n’y aurait plus rien. Si on avait pu faire la même chose sur Risoul, c’est clair qu’on n’en serait pas arrivé là je pense. Il y aurait eu quand même des dégâts, mais on n’en serait pas arrivé là.