Plan eau à Savines-le-Lac : les annonces d’un président, loin de la foule
Jeudi 30 mars, au Pôle XXème à Savines-le-Lac , Emmanuel Macron a présenté les mesures phares du plan eau promis par le gouvernement depuis plusieurs mois en présence du ministre de la transition écologique. Quelques 200 manifestants attendaient le chef de l’Etat avec de multiples revendications balayant notamment la réforme des retraites, l’emploi du 49.3 et l’écologie. L’objectif global du plan eau est de parvenir à réduire de 10 % les consommations dans tous les secteurs d’ici à 2030. Voici les principales mesures.
L’agriculture est de loin l’activité qui consomme le plus d’eau, avec 57 % de la consommation globale. Viennent ensuite l’eau potable (25 %), le refroidissement des centrales électriques (12 %) et les usages industriels (5 %).
Concernant l’agriculture, deux annonces concomitantes contradictoires à noter. D’un côté, la demande du chef de l’État que chaque secteur présente un plan sobriété d’ici à l’été. De l’autre, le même jour au congrès de la FNSEA, celle du ministre de l’agriculture Marc Fesneau qui a affirmé à l’inverse qu’aucun effort supplémentaire ne serait demandé aux agriculteurs. Marc Fesneau a toutefois précisé qu’avec le réchauffement climatique il faudrait probablement irriguer plus de surfaces, et donc, que maintenir un prélèvement constant nécessiterait que la quantité d’eau utilisée par hectare diminue. Emmanuel Macron a promis 100 M€ pour aider les agriculteurs à devenir plus économes en eau, notamment via la modernisation des systèmes d’irrigation, c’est à dire principalement le passage de l’aspersion au goutte à goutte.
Suite à cette annonce, le clivage classique FNSEA et Confédération Paysanne n’a pas tardé à ressurgir. Dans le quotidien Les Echos, Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA a jugé cette somme « très insuffisante » pour acquérir le matériel tandis que Nicolas Girod, le porte-parole de la Confédération paysanne, se désole du fait que le discours a principalement porté sur l’irrigation alors que, a-t-il rappelé, « seules 7 % des terres agricoles sont irriguées. Les autres surfaces ont aussi un impact sur la consommation d’eau ». La solution n’est « pas dans l’innovation et le progrès scientifique » mentionnés par le chef de l’Etat mais dans l’évolution des pratiques agricoles, estime le porte-parole de la Confédération Paysanne.
Boris, maraîcher à Rosans et membre de la Confédération Paysanne a développé cette même idée au micro de ram05 lors de la manifestation de jeudi à Savines-le-Lac.
Il va falloir dans les prochaines années décider quelles cultures on priorise. Par exemple : est-ce qu’on priorise du maïs semence ou de l’agriculture qui permet de nourrir les gens comme de la production maraîchère ?
Boris, maraîcher à Rosans et membre de la confédération paysanne
Le Président a par ailleurs réaffirmé l’utilité des stockages artificiels d’eau pour les agriculteurs. Il a cependant demandé que les futurs ouvrages soient conditionnés à des « changements de pratiques significatifs. » Ce qui a déjà été demandé en contrepartie de la création de mégabassines sans pour autant que les pratiques n’aient évolué.
Autre axe présenté comme stratégique dans le plan eau : la réutilisation des eaux usées.
Il s’agirait de réutiliser 10 % des eaux usées d’ici 2030, contre moins de 1 % aujourd’hui. 300 millions de m³ réutilisés « soit trois piscines olympiques par commune (…) ou 3 500 bouteilles d’eau par Français et par an. » a précisé chef de l’État pour illustrer son propos. 300 millions de m³, c’est aussi 7,3 % de l’eau consommée par an en France.
Des investissements pour adapter les centrales nucléaires au changement climatique.
Environ 12 % de l’eau consommée en France l’est par les centrales, a rappelé Emmanuel Macron (5 à 10 % selon la revue RGN Revue Générale du Nucléaire). « On doit adapter nos centrales nucléaires au changement climatique en engageant un vaste programme d’investissement pour faire des économies d’eau et permettre de fonctionner beaucoup plus en circuit fermé. »
Et pour les particuliers, les efforts porteront sur une diminution progressive de leur consommation d’eau. Deux principaux leviers ont été évoqués.
Tout d’abord, la tarification progressive pourrait être généralisée. Un système déjà expérimenté par le Syndicat de l’eau du Dunkerquois. Concrètement, le prix du m³ d’eau varie avec la consommation annuelle des ménages. Jusqu’à 80 m³ d’eau par an, les foyers payent entre 32 et 85 cts €/m³ selon leurs revenus. Entre 80 et 200 m³ par an le montant passe à 1,58 €/m³, puis 2,1 €/m³ au-delà . En France, la consommation moyenne par personne est de 53 m³ par an. Ce dispositif vise à inciter aux économies tout en garantissant des tarifs abordables pour les foyers à faibles revenus.
Emmanuel Macron a par ailleurs annoncé la création avant l’été d’un « EcoWatt de l’eau » selon ses mots. Une application proche de l’outil mis en place pour réduire la consommation d’électricité pendant l’hiver dernier.
Du côté des collectivités, deux principales annonces sont à signaler.
Premièrement, une enveloppe annuelle de 180 millions d’€ pour résorber les fuites dans les canalisations. En moyenne en France, 20 % de l’eau prélevée circulant dans les canalisations s’en échappe à cause de ces fuites.
Deuxièmement, l’augmentation du budget des Agences de l’Eau, qui subventionnent à la fois les investissements des collectivités liés à l’eau et les projets agricoles – notamment pour le passage à l’irrigation. Actuellement de 2,2 milliards d’€ par an, le budget des Agences de l’Eau serait augmenté de 500 millions d’€.
Le Plan Eau se concentre donc essentiellement sur des appels à la sobriété, une consommation « responsable » et des investissements dans des infrastructures. Il semble exclure tout changement de logique dans le secteur agricole, qui est pourtant le premier consommateur d’eau. Réaction à chaud de Gilles Brest, militant EELV 04 présent jeudi à Embrun, et pour qui ce Plan Eau risque de maintenir en place de « vieux schémas. »
On va sûrement avoir un plan eau avec une forme de colmatage, d’immédiateté, alors que c’est un problème déjà ancien qu’on pouvait percevoir déjà il y a plusieurs dizaines d’années, et auquel les pouvoirs publics n’ont pas apporté de solutions.
Gilles Brest, militant EELV 04
Pour son premier déplacement depuis l’utilisation du 49.3, le président effectue une visite « sous cloche ». Lors de son bref passage dans les Hautes-Alpes, Emmanuel Macron n’aura adressé la parole qu’à des élus locaux, des parlementaires et à la presse. Loin de la « foule », maintenue à l’écart par un impressionnant dispositif policier.
Selon le document que nous a transmis la préfecture des Hautes-Alpes jeudi à 14h00, un arrêté préfectoral daté du 30 mars interdisait toute manifestation sur l’ensemble de la communauté de communes de Serre-Ponçon, soit un très large périmètre. L’arrêté n’était toujours pas publié ce matin sur le site de la préfecture.
Quelques 200 manifestants, rassemblés à l’entrée de Savines-le-Lac, ont ainsi été repoussés dès 10h vers un parking par des gendarmes mobiles et des CRS, présents en nombre. Vers 13h, sous les huées, les forces de l’ordre les ont nassés vers la route menant à Barcelonnette. Les mettant ainsi hors de vue des automobilistes. Deux des manifestants, un jeune éleveur et un homme âgé d’une soixantaine d’années, ont été interpellés et placés en garde à vue, puis libérés dans la soirée. D’autres manifestants, notamment des salariés Enedis en grève depuis mi-mars, n’ont pu rejoindre la manifestation, ils ont été bloqués par un barrage filtrant avant le pont de Savines.
Reportage au cœur de la manifestation.