« On est fatigués, usés, et ce sont les élèves qui en pâtissent » : au lycée d’Embrun, la grève des agents régionaux
À Embrun, les agents régionaux du lycée Honoré Romane se sont placés en grève lundi 7 octobre pour demander des recrutements face aux effectifs insuffisants.
30 % d’effectif en moins : au lycée Honoré Romane à Embrun, les agents régionaux font savoir leur épuisement à cause d’une importante pénurie de personnel.
Ce mardi, la CGT dénombre 8 postes vacants sur 26, à cause notamment d’arrêts maladie et d’un départ à la retraite récent. Parmi les manques : un magasinier en cuisine, un chef d’équipe, un opérateur électricien, sans oublier l’absence d’agent d’accueil.
La région a informé le personnel du recrutement en cours d’un chef d’équipe, et deux contractuels sont arrivés hier. Des avancées insuffisantes de l’avis de nombreux agents : 14 d’entre eux, sur 19, ont fait grève ce lundi à l’appel de la CGT. Ils et elles demandent davantage de recrutements pérennes pour garantir un bon fonctionnement de l’équipe.
Voici les témoignages de Nadine, Marion, Patricia, Sylvie et Cathy, agentes au lycée Honoré Romane d’Embrun.
Nadine :
« J’arrive à 6h du matin, je vais dans mon secteur. Je fais des toilettes extérieures, avec des collégiens, des lycéens, 1 200 élèves, vous savez que ce n’est pas fait en deux secondes, hall d’entrée, des bureaux, un foyer collège et des sanitaires. Après je vais, suivant les jours, à la plonge pour le petit déjeuner et par exemple le lundi on récupère, parce que c’est ouvert le week-end, la plonge de 3 jours parce qu’il y a les internes qui restent là. Et on doit faire ça, plus le petit déjeuner des internes qui viennent manger. Après, fini la plonge, je repars dans mes secteurs où j’ai CDI collège, salle informatique, toilettes, des escaliers extérieurs et après je vais à la pause repas et après je retourne à la plonge pour plus de 700 couverts.
Et quand je dois remplacer à l’accueil, je fais mon secteur le matin de 6h à 7h et après je vais à l’accueil jusqu’à 14h30 pour remplacer. Et qui va faire le reste ? Il faut quelqu’un pour me remplacer à la plonge, quelqu’un qui me remplace dans mes secteurs qui ne sont pas faits, mais eux aussi ils ont leur secteur.
On est fatigués, usés, on a plus de 50 ans pour la plupart et à force de travailler en dégradé, on ne peut plus rendre un service public digne de ce nom aux usagers et ce sont les élèves qui en pâtissent.
On essaye de faire comme on peut mais on n’y arrive plus ».
Marion :
« Je suis employée en tant qu’agent de ménage, de maintenance et vu que ça manque de personnel, on comble un peu les trous donc je me retrouve à être à la loge sans être forcément formée, sans connaître le personnel qui vient d’arriver non plus. Moi je viens d’arriver aussi donc ce n’est pas forcément évident.
On n’a pas non plus trop le choix sur nos emplois du temps donc moi en tant que maman seule, mon fils, je ne le vois plus, je rentre à 9h du soir, il est couché. Il n’y a aucun suivi sur son éducation, sur ses devoirs donc je trouve que c’est complètement inadmissible pour un établissement scolaire de laisser ça.
On va continuer parce qu’il faut aussi manger et puis on ne trouve pas non plus du travail comme ça, à tous les coins de rue comme on a pu l’entendre. Mais on aimerait avoir des conditions un peu plus saines qui nous donnent un peu plus envie aussi de venir, et avoir une entente avec tout le monde, que chacun soit à son poste et que l’établissement puisse tourner normalement ».
Patricia :
« Je suis titulaire depuis ma deuxième année, en tant qu’agent de service général, entretien des locaux. Moi je suis équipe du matin, je fais donc salle de classe, dortoir et puis je fais la plonge le midi.
Il y a beaucoup d’agents qui sont malheureusement en arrêt de travail de longue maladie déjà depuis de très nombreuses années et en fin de compte ils ne sont pas remplacés. Ils ne remplacent pas non plus les agents qui sont à la retraite donc c’est très compliqué.
Quand on a des contractuels ou des agents itinérants, la personne fait le sanitaire de la personne qui est absente. Là en l’occurrence ce n’est pas le cas, on n’a pas d’itinérant, on n’a pas de contractuel. Et là on nous met deux personnes juste pour 15 jours, je trouve ça inadmissible parce que 15 jours pour moi ce n’est pas suffisant.
On a quand même 42 heures par semaine, il faut quand même les faire les 42 heures. Moi j’arrive chez moi, je suis toujours fatiguée ».
Sylvie :
« Depuis plus de 20 ans qu’on est là, on voit des bâtiments qui se construisent mais pas de création d’emplois pour les entretenir. C’est-à-dire que par exemple ils ont fait le gymnase, ils ont fait des classes et il a fallu prendre sur ceux qui étaient là et essayer de les dispatcher. Au fur et à mesure que les années avancent, on a l’impression qu’on se trouve de moins en moins dans l’établissement.
On a l’impression de ne pas être écouté là-dessus. Au bout d’un moment tu es obligé de te dire « Bon, on est quoi là ? On nous prend pour des imbéciles ? », façon de parler. La région ils font ce qu’ils peuvent, mais un petit coup de pouce ne serait pas mal ».
Cathy :
« Je suis lingère au lycée Honoré Romane. Je m’occupe d’installer les internes en début et en fin d’année, de mettre en place quand ils rentrent, l’infirmerie, les maillot de sport, tous les rideaux.
J’accueille les élèves qui posent leurs vélos parce que, c’est bien, il y a de plus en plus de vélos, mais ils n’avaient pas de local, donc ils traversent la lingerie. C’est un peu n’importe quoi au niveau sécurité.
On est beaucoup d’anciens heureusement, donc on arrive à se débrouiller, à savoir ce qu’on a à faire. Mais c’est difficile. Moi ça fait des années, ça dure un petit peu, ça devient du provisoire qui dure. Ça fait lourd après quelques années ».
ram05 : « Ça fait combien de temps que vous êtes ici ? »
Cathy : « 24 ans ».
ram05 : « Et cette situation-là, vous l’aviez déjà connue auparavant ? »
Cathy : « Non, là c’est vraiment particulier. On est une population vieillissante au niveau des agents. Heureusement d’un côté, et puis de l’autre côté, on fatigue aussi ».
La grève n’a pas été prolongée pour le moment, mais il est envisagé de la reconduire lundi prochain.
Contactée par ram05, la région explique être venue en visite sur place il y a quelques mois et être au courant de la situation. Marie-Florence Bulteau-Rambaud, vice-présidente de la région en charge de l’éducation, des lycées, de l’orientation et de l’apprentissage, estime toutefois que les syndicats « exagèrent » le constat.
Les syndicats font leur job, c’est-à-dire qu’effectivement, il y a des faits, mais je pense qu’ils sont un peu exagérés par les syndicats. Il y a en l’occurrence un départ à la retraite qui, à ce jour, n’est pas remplacé, mais qui va l’être, et un agent en longue maladie. Les autres agents absents sont soit par le fait de mutations, soit par le fait de maladies ordinaires, et malheureusement, ça ne peut pas se prévenir. Souvent, le secret médical aidant, on ne peut pas savoir si l’arrêt maladie va être long ou pas.
Marie-Florence Bulteau-Rambaud
La collectivité réfute le chiffre de 8 personnes absentes avancé par la CGT et en comptabilise plutôt 5 : un chef d’équipe parti à la retraite, qui sera remplacé le 14 octobre par un recrutement ; deux agents de service général, dont un assurant l’accueil, tous deux remplacés par deux contractuels arrivés le 7 octobre ; un magasinier alimentaire remplacé par un cuisinier itinérant ; et un poste d’électricien, « qui est au recrutement, et on peine à recruter », déclare Marie-Florence Bulteau-Rambaud.
En effet, la région précise mener des campagnes de recrutement en chaque début d’année scolaire, mais faire face à des difficultés à recruter « dans tous les métiers de spécialité : cuisiniers, maintenance, électricien, plombier, espace vert ». Selon Marie-Florence Bulteau-Rambaud, ces complications sont encore plus marquées dans les départements alpins, notamment dans les Hautes-Alpes où le secteur de la construction pourrait connaître un essor en vue des JO 2030.
Pour pallier aux absences, la collectivité signale avoir mis en place il y a quelque temps un dispositif d’itinérance qui concerne environ 300 agents. Dans le cas du lycée général d’Embrun, la personne recrutée pour un remplacement à la loge verra son contrat initial prolongé si le congé maladie dure plus longtemps, assure la région.
Quoi qu’il en soit, la collectivité reconnaît que le lycée Honoré Romane est dans une situation « particulière ».
Ce lycée, malheureusement pour lui, se trouve dans cette rentrée, dans une situation un peu particulière. Il n’est pas le seul. Ça fonctionne un peu comme une petite entreprise, un lycée : il y a un proviseur, il y a un adjoint gestionnaire, maintenant il s’appelle secrétaire général, il y a un chef d’équipe et un chef de cuisine. Ça repose en fait sur une alchimie savante entre ces quatre postes. Malheureusement, dans ce lycée, il y a un nouveau proviseur arrivé cette année d’une autre région, donc il faut aussi lui laisser le temps de s’habituer à son nouvel établissement et aux manières de travailler de sa nouvelle collectivité. Ensuite, nous avons un secrétaire général qui est nommé par intérim par le rectorat, et ça aussi, on peut imaginer que ce n’est pas très pratique. Et enfin, il y a un chef d’équipe qui est parti à la retraite et qui va être remplacé le 14 octobre. Donc effectivement, ce lycée rencontre de manière transitoire, comme d’autres établissements malheureusement, des problèmes d’effectifs. Mais pour autant, la collectivité est au plus près de l’établissement et du chef d’établissement. Et du coup, dès que nous sommes informés de ces absences, lorsque ce sont des absences qui ne sont pas prévues, nous faisons en sorte de réagir le plus rapidement et de la manière la plus pertinente.
Marie-Florence Bulteau-Rambaud
Article mis à jour le 09/10/2024 à 10h25 avec l’ajout de la réaction de la région.