Le mal-logement dans les Hautes-Alpes en attente de réponses politiques
Alors que la fraîcheur de la montagne et son côté sauvage attirent les convoitises, le droit au logement pour les plus modestes se trouve fragilisé. La lutte contre la spéculation immobilière y devient un sujet de premier plan. Retour sur la mobilisation du week-end dernier à Crots dont le mot d’ordre était « les Alpes ne peuvent pas accueillir toute la richesse du monde ».
Un rassemblement où l’on a retrouvé entre autres les collectifs Adieu Glacier, Extinction Rebellion 05, le collectif No Golf, les Soulèvements de la terre, des membres de Longo Maï, mais aussi des collectifs venus d’ailleurs, contre le Lyon-Turin, la « Zone à Patates » de Pertuis, le collectif anti-touristes de Grenoble, celui contre une retenue collinaire à la Clusaz, des militants du Diois en lutte contre le surtourisme ou la Fédération des Amis du Parc naturel régional du Vercors qui agissent contre des projets immobiliers dans leur massif. Certains avaient installé leurs camions et tentes pour créer un village éphémère. Une centaine de personnes a manifesté samedi jusqu’au pont de Savines sous la surveillance de nombreux gendarmes. Des débats (dont un retransmis en direct sur Radio Zinzine), des ateliers, des tables rondes et une « assemblée des massifs en lutte » ont duré jusqu’à dimanche après-midi. On a pu entendre parmi les participants l’envie de « défendre des manières plurielles d’habiter la montagne ». Des réponses à la crise du logement que connaissent les Hautes-Alpes.
Durant le rassemblement Louise Fessard a rencontré Erwann. Il est jardinier et formateur pour jardiniers. Arrivés de Haute-Savoie en 2014, sa compagne et lui ont connu une grosse galère de logement lors du premier confinement en 2020. « On était dans un logement pas isolé, avec entre les logements juste des planches de parquet, et des salons qui donnent sur des chambres à coucher, témoigne-t-il. Forcément, dans des situations de confinement, les problématiques explosent ». Le couple a du se débrouiller avec des solutions précaires durant un mois, en logeant en tente puis dans une caravane.
« On habite ici, on est les plus mal logés, poursuit Erwann. Je n’ai pas envie de partir, je suis amoureux des Alpes et j’aimerai bien pouvoir y vivre décemment ». Une absence de politiques publiques à destination des habitants locaux, mais bel et bien tournées vers le tourisme, qui impacte tant les projets personnels que professionnels.
On nous l’a dit pendant le confinement : barrez-vous si vous n’êtes pas contents
Erwann
Dans les Hautes-Alpes, plus de 50.000 logements sont considérés comme des passoires thermiques. « Le mal-logement touche toutes les couches de la population, sauf bien sûr les plus aisés qui peuvent se permettre d’avoir un chalet à un million d’euros », s’exaspère Capucine Mounal, l’une des cheffes de file de la France Insoumise dans le département. Elle poursuit en proposant quelques pistes, en insistant sur l’habitat léger. Le collectif revendique d’ailleurs dans chaque canton des emplacements réservés à coûts réduits pour des habitats légers, comme des camions, des yourtes ou des tiny house.
Il faut pouvoir permettre aux personnes de choisir la façon dont ils veulent vivre
Capucine Mounal, la France Insoumise
Après le constat, des pistes de solutions
Le constat est clair. « Discuter de cette question est assez inédit dans les Hautes-Alpes », nous disait un participant ce week-end. Vivre et travailler au pays est de plus en plus difficile dans le département et plus encore depuis la crise du Covid. « Les loyers étaient chers et depuis le Covid, ils ont pris 25 % », explique Jean Ganzhorn, artisan dans les énergies renouvelables et membre du collectif Adieu Glacier.
L’argent public cherche à attirer le tourisme de qualité et la ‘montée en gamme’. Mais à force de monter en gamme, on va bientôt chanter faux
Jean Ganzhorn
La mobilisation de ce week-end a non seulement fait émerger des problématiques individuelles et collectives, mais aussi et surtout des pistes de solutions, inspirées de la Suisse ou du pays Basque. « L’urgence, c’est de bloquer les loyers, affirme Jean Ganzhorn. Par exemple en disant, 8€ le mètre carré par mois, c’est le maximum. Et on le fait en fonction de la classe énergétique du logement : entre un appartement bien isolé et une passoire thermique, ça n’a rien à voir ». D’autres urgences que ce rassemblement a fait émerger : limiter les locations type AirBnb, stopper la défiscalisation des résidences de tourisme (pour convertir et inciter les entreprises du BTP à la rénovation énergétique des bâtiments), limiter et surtaxer les résidences secondaires et les mettre en location annuelle ou saisonnière à des loyers bloqués, ou encore investir dans les HLM. « La rénovation du parc immobilier haut-alpin est un enjeu d’avenir », avait déclaré le président du département, Jean-Marie Bernard. Malgré la signature en mars dernier d’un protocole de lutte contre l’habitat indigne et la précarité énergétique, qui implique les élus locaux et le parquet de Gap jusqu’en 2027, les réponses politiques semblent pour le moment dépassées par les faits.
Tordre le cou aux difficultés à se loger
Aujourd’hui, certains habitants réussissent à prendre la situation du mal logement à bras le corps et à se débrouiller pour trouver des solutions. Un exemple : la coopérative d’habitants. La Casa la Roche est une maison collective en construction à la Roche-de-Rame. A partir de l’année prochaine ce projet de logement accueillera 5 petits foyers. Ses habitants, des trentenaires, vivent dans la vallée depuis un certain temps et avaient envie de s’y installer de façon pérenne. Les tarifs prohibitifs et l’envie de vivre en collectif ont fait le reste, expliquent-ils. Étienne Francou est architecte et membre de la coopérative. Un projet dont les tenants et aboutissants juridiques et financiers permettent sa protection de la spéculation immobilière. « Le jour où on quitte le projet, on ne vend pas l’appartement, on vend ses parts. On n’a pas le droit de les vendre plus cher que ce qu’on les a acquises au moment d’emménager », précise Étienne.
Cette coopérative est une résidence principale. Il est interdit d’y loger des résidents secondaires. Elle ne logera jamais que des gens qui en ont besoin et pas des gens qui considèrent normal d’avoir leur maison vide tout le reste de l’année
Étienne Francou
« On fabrique des maisons qu’on traite comme des marchandises, dit Étienne. On ne se rend pas compte à quel point ces phénomènes sont massifs et à quel point ils ont des conséquences directes sur nos vies et sur les moyens qu’on est obligés de mettre pour se loger ». La coopérative qui est donc une façon de formaliser la propriété collective. Une solution malgré tout pas accessible à tout le monde. La coopérative a acheté 150.000€ leur terrain de 1500 mètres carrés. L’an dernier, le département des Hautes-Alpes comptait 66.428 résidences principales, 62.182 résidences secondaires… et 7.971 logements vacants.
Elie Ducos & Louise Fessard