La neige artificielle n’améliore pas les résultats économiques des stations, selon de nouvelles recherches scientifiques
Produire de la neige artificielle n’aide pas les stations à faire face au réchauffement climatique, et peut augmenter la vulnérabilité des territoires de montagne : ce sont les conclusions d’une thèse soutenue en octobre 2024 à l’université Grenoble-Alpes par Jonathan Cognard, docteur en économie écologique.
56 stations des Alpes françaises pendant une quinzaine d’hivers : c’est sur ce jeu de données « relativement conséquent » que s’est basé Jonathan Cognard pour sa thèse.
Élaborée au sein du Laboratoire écosystèmes et société en montagne (LESSEM), lié à l’université Grenoble-Alpes et à l’INRAE, celle-ci s’est notamment penchée sur la question qui fâche : les investissements dans la neige artificielle sont-ils utiles face au réchauffement climatique ? En effet, les travaux scientifiques sur le sujet « commencent à dater » et souffrent de « faiblesses méthodologiques », a constaté le désormais docteur en économie écologique.
Jonathan Cognard expose ses conclusions.
À l’issue de toute cette analyse, ce qu’il est ressorti, c’est qu’on n’était pas capable de démontrer un effet significatif des investissements dans la production de neige sur la profitabilité des exploitations de remontées mécaniques. Et ce qui est le plus important, c’est que, même en regardant seulement sur les hivers les moins bien enneigés naturellement, on n’est pas capable de le démontrer non plus.
Autrement dit, au terme de l’analyse des données récoltées, il n’est pas possible de conclure qu’investir dans la production de neige permette d’améliorer les performances économiques des stations, même dans les plus mauvais hivers. « Alors que c’est précisément pour ce but-là que les investissements ont lieu, et qu’ils sont subventionnés en partie par de l’argent public », souligne le scientifique.
Ce résultat est cohérent avec d’autres travaux antérieurs, rappelle par ailleurs Jonathan Cognard : « il y a déjà dans la littérature scientifique depuis 2003 des auteurs qui disent « attention, à force d’investir dans la production de neige, il y a un moment où ce ne sera plus rentable » ».
Comment expliquer une telle contradiction entre les attentes et les (non-)effets de la production de neige ? Pour comprendre, un rappel historique s’impose.
Bien avant qu’il y ait les effets du changement climatique qui deviennent évidents en montagne, les stations avaient déjà recours à la production de neige parce qu’il y avait déjà des hivers qui étaient mal enneigés, même dès l’après-guerre. Et ce qui change par contre, c’est qu’avec les effets du changement climatique qui commencent à devenir plus évidents, les stations ont commencé à voir en la production de neige une manière de s’adapter au changement climatique. Et ça, c’est une implication qui est radicalement différente sur les volumes d’investissement qui sont réalisés sur les aménagements, notamment la construction de retenues d’altitude pour stocker l’eau. Et ça pose aussi tout un tas de questions sur la soutenabilité de ce modèle économique dans un climat qui change.
Si l’enneigement artificiel n’est pas décisif pour s’adapter au réchauffement climatique, quel paramètre fera la différence entre les stations qui s’en sortiront le mieux et celles qui peineront davantage ? La réponse, « logique », est confirmée par le travail du scientifique : il s’agit de l’altitude, « qui semble très déterminante ». En clair, les stations les plus élevées « vont être largement favorisées » par rapport aux autres, résume Jonathan Cognard.

Les retenues augmentent les prélèvements en eau
La thèse met en évidence une autre contradiction en station, au sujet des retenues d’eau pour la production de neige. Celles-ci, remplies en début de saison, sont censées éviter les prélèvements dans les cours d’eau en plein hiver, à une période où ils sont à leur plus bas niveau, et où les écosystèmes aquatiques sont donc particulièrement vulnérables.
Pour étudier ce qu’il en est dans la réalité, le docteur en économie écologique s’est basé sur les chiffres des 35 stations de la Savoie, durant 9 saisons, la seule base de données à laquelle il a pu accéder au sujet de l’utilisation des retenues.
Ce qu’on a observé, c’est que, pour ces stations et sur la période d’observation, les retenues ne permettent pas d’éviter les prélèvements pendant la période d’étiage, c’est même plutôt l’inverse qui se produit. En fait, on se rend compte que, finalement, plus on stocke, plus on prélève. Ce sont des résultats qui ont déjà été démontrés, mais plutôt en agriculture avec les retenues qu’on appelle les méga-bassines. Ça n’avait encore jamais été étudié pour les prélèvements d’eau pour la production de neige. La promesse était de diminuer les prélèvements pendant la période d’étiage et on se rend compte qu’en fait en construisant des retenues, on prélève plus pendant la période d’étiage.
Si l’usage des retenues augmente en réalité les prélèvements en eau, c’est qu’elles sont remplies à nouveau en cours d’hiver, constate Jonathan Cognard.
Les stations commencent la saison avec des retenues qui sont pleines, et on pourrait s’attendre à ce que le volume d’eau suffise pour passer l’hiver et produire toute la neige dont elles auraient besoin, ce qui aurait effectivement permis de ne pas prélever pendant l’hiver. Or on se rend compte que ce n’est pas ce qui se produit et qu’en fait les stations reprélevent pendant l’hiver et reremplissent leurs retenues. Puisque, ne sachant pas comment l’hiver va être, la stratégie est de toujours garder des retenues pleines à craquer pour que dès qu’il y a un créneau pour produire de la neige, on puisse le faire.
Le risque de conflits d’usage
Des prélèvements plus conséquents, à une période critique : la production de neige grâce à des retenues pourrait donc entraîner des conflits d’usage de l’eau. Pour en avoir le cœur net, il faut examiner chaque station au cas par cas, déclare le scientifique.
Or, jusqu’à présent, les travaux existants étaient « anthropocentrés » et menés « à une échelle très large ». Pour y remédier, Jonathan Cognard a élaboré une méthode applicable à chaque territoire et qui prenne en compte les usagers humains de l’eau, pour l’agriculture, l’eau potable, la production d’hydroélectricité et de neige, et les usagers non-humains, comme les macroinvertébrés aquatiques.
Reste donc à décliner cet outil sur chaque station pour déceler, ou non, des conflits d’usage… un sujet pour de prochaines recherches scientifiques.
Le mot de la fin à Jonathan Cognard.
La production de neige est une forme de dépendance dans laquelle on a du mal à s’extraire. On a tendance à vouloir renforcer le modèle avec un certain optimisme, et finalement cela peut plus s’apparenter, en tout cas c’est ce que mes travaux contribuent à alimenter, à une forme de maladaptation au changement climatique. Mais ce qu’on a mis aussi en évidence dans la dernière partie de ma thèse, c’est que, malgré cette forme de maladaptation, on n’est pas certain non plus d’avoir des conflits d’usage de l’eau avec la production de neige dans les territoires de montagne. C’est encore quelque chose qui reste à être étudié.
Pour plus de détails sur les recherches de Jonathan Cognard, rendez-vous dans Le Mag’ du 29 janvier dernier.