Frontières : dix ans de rétablissement des contrôles et de « violations des droits », dénoncent des associations
La France a rétabli les contrôles à ses frontières en 2015, mais plusieurs associations estiment que cette dérogation aurait désormais dépassé sa durée légale maximale. Des rassemblements sont organisés demain, dont à Montgenèvre, pour dénoncer les « violations des droits » des personnes exilées.
« Ça fait dix ans, donc je pense qu’on peut officiellement constater qu’on est hors cadre » : pour Brune Béal, du mouvement citoyen Toutes et Tous Migrants (nouveau nom de Tous Migrants), le rétablissement par la France des contrôles à ses frontières en 2015 et durant les années suivantes place l’État « en complète contradiction avec ce que lui autorise le droit européen ». C’est le message qui sera porté lors d’une manifestation à Montgenèvre ce samedi.
L’Union européenne prévoit qu’un pays puisse déroger au principe de libre circulation en restaurant les contrôles à ses frontières, « en dernier recours » et « en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ». La France a enclenché cette procédure le 13 novembre 2015, jour des attentats en Île-de-France, pour lutter contre la menace terroriste. Depuis, elle la renouvelle tous les six mois.
Mais pour Toutes et Tous Migrants, une décennie plus tard, la longévité de la mesure d’exception a dépassé le cadre légal. Ce n’est cependant pas l’avis de la justice française. Saisi par des associations, le Conseil d’État a estimé au printemps dernier que la modification de la législation européenne en 2024 a remis les compteurs à zéro pour une durée maximale de trois ans (à mettre en regard des dix années déjà écoulées), soit une échéance en 2027.
« On remarque des violations des droits particulièrement graves »
Au-delà de la question légale de la durée, les organismes de soutien aux personnes exilées alertent sur « les conséquences de ce rétablissement » et appellent « au respect du droit européen et des droits fondamentaux des personnes en situation d’exil ». C’est l’objet d’un rassemblement aux frontières intérieures de la France à l’échelle nationale ce samedi 6 décembre. À la frontière franco-italienne dans le Briançonnais, l’évènement est organisé par Toutes et Tous Migrants et Médecins du Monde.
On remarque des violations des droits particulièrement graves, notamment au droit d’asile, avec des refus explicites ou implicites de leur demande.
Brune Béal, de Toutes et Tous Migrants
Brune Béal, chargée de plaidoyer et coordinatrice des activités documentation et juridique, rappelle que le retour des contrôles s’accompagne d’atteintes aux droits des personnes. Ce qu’avait confirmé le Défenseur des droits l’an dernier, en concluant « à l’existence de procédures et pratiques qui ne sont pas conformes à la directive retour, au droit européen et au droit national ». La Haut-Alpine déplore en particulier « une énième entrave à l’accès à la mobilité des personnes en situation d’exil », leur « mise en danger croissante », y compris pour celles « pourtant désireuses de demander l’asile en France et qui sont obligées d’emprunter des routes particulièrement périlleuses », sans oublier les personnes « avec des situations médicales préoccupantes, des familles, de très jeunes enfants, des bébés, etc. On remarque des violations des droits particulièrement graves, notamment au droit d’asile, avec des refus explicites ou implicites de leur demande. »
En plus d’atteintes aux droits, la santé et la vie des personnes exilées est également mise en danger. Depuis 2018, les associations ont recensé au moins onze personnes décédées en tentant de franchir la frontière franco-italienne haute, et cinq personnes disparues. Pour Toutes et Tous Migrants, « c’est la militarisation de la frontière qui provoque la mise en danger et qui, dans les cas les plus extrêmes, tue et blesse les personnes exilées. On entend dire, de la part des responsables, « elles passent par des endroits très dangereux, la montagne, etc. » Ce n’est pas la montagne, ce n’est pas le froid qui tue ces personnes, c’est bel et bien la militarisation. »
Il n’y a pas de lien de corrélation entre un degré de répression élevé et une dissuasion.
Brune Béal, de Toutes et Tous Migrants
À l’heure du bilan, dix ans plus tard, Toutes et Tous Migrants constate par ailleurs que le rétablissement des contrôles n’a pas provoqué de baisse de la migration. « Malgré l’intensification des arsenaux militaires et l’investissement toujours plus croissant en termes de forces de l’ordre et d’équipement à la frontière, il n’y a pas moins de personnes qui tentent de franchir, mais il y a plus d’accidents », observe Brune Béal. D’ailleurs, « quand il y a un respect relatif des droits fondamentaux, par exemple entre février et novembre 2024, quand le droit d’asile était relativement bien respecté pour les personnes à la frontière franco-italienne haute, il n’y a pas eu plus de personnes, au contraire, il y en a eu moins. C’est bel et bien la preuve qu’il n’y a pas de lien de corrélation entre un degré de répression élevé et une dissuasion », conclut la chargée de plaidoyer.
Rassemblement à Montgenèvre ce 6 décembre
Ce samedi, rendez-vous est donné à 10h au Champs de Mars à Briançon puis à 11h devant le poste de la police aux frontières de Montgenèvre. Les organisateurs prévoient de s’adresser aux autorités, en lisant un texte à destination des forces de l’ordre.
Les personnes profitant de la station de Montgenèvre seront aussi destinataire d’un discours, pour « faire état de deux réalités » : la réalité d’une frontière « quasi invisible pour les personnes qui bénéficient de la liberté de circulation qui caractérise normalement l’espace Schengen », face à celle « des personnes dont on nie l’accès à la mobilité alors qu’elles se trouvent » au même endroit. Pour les associations, il est en effet important de sensibiliser le grand public.
« C’est quand même l’affaire de tout le monde. Ce n’est pas normal qu’il y ait des montagnes qui soient militarisées à côté de chez nous, ce n’est pas normal qu’il y ait des violences commises à l’égard de certaines et certains, dans l’ombre des habitants du territoire », déclare Toutes et Tous Migrants. « On peut être un chouette territoire accueillant et les associations le prouvent ».