Lors d'une manifestation en faveur du droit des étrangers, à Briançon, en décembre 2019. © Élie Ducos

En Italie, la victoire de l'extrême-droite aux législatives « sera payée par les plus vulnérables », estime le médecin humanitaire Piero Gorza

En Italie, la cheffe de file du parti d’extrême droite Giorgia Meloni et sa coalition ont obtenu ce dimanche le meilleur score aux élections législatives, 44 %. Elle pourrait devenir la nouvelle présidente du Conseil, l’équivalent de Première ministre en France. Alors que plusieurs médias qualifient son parti Fratelli d’Italia comme néofasciste, une historienne spécialiste du fascisme italien interrogée par Franceinfo préfère parler de droite radicale. Quoiqu’il en soit, celle qui rêve de diriger le prochain gouvernement italien affiche des positions implacables sur les droits des femmes, l’avortement, les droits des personnes LGBT+ avec des convictions homophobes. Partisane d’une politique nataliste -son slogan préféré : Dieu Patrie Famille-, elle est aussi farouchement opposée à l’immigration. Quelles conséquences sur la politique migratoire et la situation des exilés, en particulier à la frontière mais aussi pour les bateaux humanitaires dans les ports de Méditerranée ? Nous avons posé la question à Piero Gorza. Il est médecin pour les droits humains à Médecins du Monde Italie.

La rédaction de ram05 : Avec la victoire de Giorgia Meloni, que peut-on craindre sur la situation à la frontière, sur les conditions de passage des exilés, notamment à Montgenèvre, par exemple ?

Piero Gorza : Avec certitude, la victoire de Giorgia Meloni ne changera pas grand-chose, parce que la situation est compliquée par une militarisation de la partie française depuis longtemps. Je ne crois pas que la police, la préfecture et le ministère de l’Intérieur changent de posture avec les migrants ici à la frontière. Pour une raison : parce qu’ils n’ont aucun intérêt à ce que la haute vallée de Suse se transforme en jungle à la Calais. Il y aura sûrement plus de contrôles, mais pas pour les migrants, plutôt contre les bénévoles, contre les associations, et elles seront probablement expulsées.

Ici, dans le val de Suse il y a eu cinq occupations entre 2018 et aujourd’hui, et il n’en survit qu’une seule à Cesana. C’est probable qu’avec la victoire de Meloni au gouvernement, il y aura une pression accrue de la solidarité. Je crois aussi qu’il y aura des attitudes plus rigides envers les organisations non-gouvernementales, qui seront moins financées, il y aura plus d’obstacles et moins de pratiques seront tolérées. Pour comprendre, la frontière est pleine de pratiques et de non-dits. Ce sera un durcissement. Mais ils ne bloqueront sûrement pas la sortie des migrants de l’Italie. Au maximum, probablement, il y aura plus de contrôles au débarquement en Sicile ou en Italie du Sud et à la frontière du nord-est, dans le Trieste Gorizia. C’est là qu’il y aura réellement un durcissement.

Je pense que c’était déjà arrivé avec Salvini. Le discours sur la frontière sera plus démagogique et certainement plus idéologique. Dans l’optique de politiques souverainistes pour lesquelles la frontière est un symbole défensif. Moins d’Europe, plus d’Italie, plus de frontières et des relations plus difficiles avec la France. Pour les migrants, ça ne changera pas beaucoup, au moins sur cette frontière. Certainement, ces derniers mois, la situation s’est aggravée, mais c’était une situation pré-électorale et qui ne dépendait pas de ce nouveau contexte. Par exemple, le fait que la police française et la police italienne puissent patrouiller plus loin et pas seulement sur la frontière. Du côté italien, la situation des migrants s’aggrave. Et surtout, cette situation sera payée par les plus vulnérables, par les familles, par les enfants, par les personnes âgées. Et quand on est plus vulnérable, on a plus de difficultés à se déplacer.

Quelles sont vos préoccupations à propos du blocage des ports et des bateaux humanitaires ?

La vie sera beaucoup plus compliquée. Nous reviendrons à un blocus politique des navires humanitaires. On va vers plus de difficultés pour les migrants, pour accéder à l’Italie, pour accéder à la protection humanitaire. Ils augmenteront aussi les actions judiciaires contre les bénévoles et les associations qui travaillent en Méditerranée. La répression de la solidarité deviendra une réalité encore plus explicite que ce qu’elle est.