En cas de nouvelle sécheresse, la ville de Gap plus vulnérable que jamais
Après s’être raccordée discrètement au puit de Chabottes lors de la sécheresse historique de l’été 2022 pour éviter une rupture d’alimentation en eau potable, l’on aurait pu s’attendre à ce que la ville de Gap mette les bouchées doubles pour sécuriser son approvisionnement. Pourtant, la décision récente du maire de Gap de contester en justice un vote du syndicat censé exploiter la nappe des Choulières retarde encore un peu plus l’aboutissement d’une réflexion entamée il y a bientôt 20 ans. Exposant les Gapençais à un risque toujours plus grand en cas de sécheresse.
À Gap, le sujet de l’accès à l’eau potable continue de faire des remous. À une trentaine de procédures judiciaires déclenchées en 10 ans à ce sujet par la ville de Gap, s’est ajoutée une saisie du Tribunal Administratif le 2 décembre dernier pour contester un vote censé entériner le devenir de l’alimentation en eau de la ville préfecture. Le maire de Gap estime que le scénario retenu n’est pas favorable aux Gapençais, et que les élus du Champsaur n’auraient pas dû participer au vote. Une position qui rend plus vulnérable encore la ville de Gap aux prochaines sécheresses, amenées à se répéter de plus en plus souvent avec le réchauffement climatique.
Aujourd’hui, près de 80 % de l’eau potable de Gap provient du Drac1. Cette rivière traverse le Champsaur pour s’écouler vers l’Isère. L’eau détournée à la prise des Ricous, est acheminée vers la ville préfecture par le Canal de Gap depuis 1880, et stockée dans la réserve des Jaussauds depuis 1963. Cette solution ancienne a longtemps permis de palier un déficit structurel en eau du bassin gapençais. Mais au fil des décennies, l’augmentation de la consommation, couplée à la multiplication des sécheresses a démontré à plusieurs reprises la fragilité du modèle actuel.
Entre 2002 et 2017, plusieurs arrêtés préfectoraux ont autorisé des pompages exceptionnels dans la nappe des Ricoux pour garantir l’alimentation en eau potable de la ville de Gap, menacée par un débit insuffisant du Drac ou une turbidité de l’eau trop importante. Car l’autre risque de la solution actuellement en place est que l’eau transite en surface. Elle est ainsi plus exposée aux aléas climatiques et de pollution : orages, rejets de la station d’épuration d’Orcières en saison haute, et sécheresses. En 2007, 2016 et 2017 des ruptures d’alimentation ont même été redoutées pendant quelques semaines. Problème, les raccordements d’urgence à la nappe des Ricoux avaient entraîné des effondrements rapides de son niveau, avec un impact sur le débit du Drac – déjà très faible à ces périodes – et donc sur la biodiversité.
Une autre nappe existe, d’une capacité plus importante et avec un impact moins immédiat sur le niveau du Drac : la nappe des Choulières, identifiée dès la fin des années 2000. L’idée de se raccorder de la ville de Gap à cette nappe fait l’unanimité. Mais pas la manière de la réaliser. Une étude commandée par la CLEDA – la Communauté Locale de l’Eau du Drac Amont, chargée de la gestion de la ressource en eau du Drac amont, a permis de dégager trois scénarios pour connecter la ville de Gap aux Choulières.
Le scénario A prévoit de maintenir l’approvisionnement tel quel en temps normal, et en cas de sécheresse ou aléas condamnant la prise d’eau des Ricous, de pomper l’eau de la nappe des Choulières pour la rejeter dans le canal de Gap. Les scénarios B et C, à l’inverse, s’appuient exclusivement sur la nappe des Choulières. C’est donc dans la manière d’acheminer l’eau à Gap que les deux dernières options se distinguent. Dans le scénario B, l’eau serait acheminée par un nouveau tracé, tandis que dans le C, elle emprunterait une conduite posée au fond du canal de Gap.
Jusqu’à présent le maire Roger Didier a toujours montré sa préférence pour le scénario A. Ses arguments : des coûts d’investissement et de fonctionnement réduits car le dispositif est moins important et évite la consommation d’énergie liée au pompage durant toute la période où l’eau est simplement détournée du Drac et non pompée dans la nappe des Choulières.
À l’inverse, les élus du Champsaur, la préfecture et les élus de l’opposition gapençaise, tous les autres acteurs penchent pour les scénarios B, ou C. Ils mettent en avant la quantité de l’eau et sa qualité, supérieure dans le cas d’une eau de nappe, qui ne nécessiterait pas de traitement – comme c’est le cas actuellement. Ils avancent également le fait que l’Agence de l’Eau ne subventionnera pas un scénario qui privilégie une eau de surface et estiment que l’énergie consommée par le pompage pourrait être produite en turbinant l’eau plus en aval. Enfin, certains voient une aberration dans le fait de prélever une eau de nappe pour la rejeter dans une eau de surface afin qu’elle soit retraitée.
Les élus du Champsaur et la ville de Gap siègent au sein du SIENAD, le Syndicat censé procéder à ce raccordement aux Choulières. C’est cette structure qui s’est réunie en octobre dernier et a voté en faveur du scénario C. Coup de théâtre, Roger Didier a décidé de contester le vote au motif que les élus du Champsaur n’avaient pas à statuer sur l’alimentation en eau de la ville de Gap. Une démarche que regrette le président du SIENAD, Rolland Aymerich.
On passait à mon sens du statut de partenaire, au statut d’adversaire voire d’ennemi
Rolland Aymerich, président du SIENAD
Quant aux arguments avancés par le maire de Gap devant le tribunal administratif, le président du SIENAD les balait d’un revers de la main.
Le but unique du syndicat, c’est l’exploitation de la nappe des Choulières. […] Donc prétendre que les membres du syndicat ne doivent pas se prononcer ça me semble complètement incroyable.
Rolland Aymerich, président du SIENAD
Au sein de l’opposition Gapençaise, Charlotte Kuentz – groupe Ambition pour Gap – partage ce point de vue.
À partir du moment où on prend de l’eau sur le territoire du Champsaur il est évident que ça regarde aussi les Champsaurins
Charlotte Kuentz, conseillère municipale du groupe Ambition pour Gap
Depuis, le SIENAD a poursuivi son opération de raccordement, tout du moins pour les communes du Champsaur. Reste donc la deuxième phase, celle de la ville de Gap, en suspens. Problème, pour les sécheresses à venir explique Rolland Aymerich, il ne sera plus possible pour la ville de Gap de mettre en œuvre la même solution de secours qu’à l’été 2022.
Le puit de Chabottes va être désaffecté, donc il n’y aura plus de possibilité de dépannage [pour la ville de Gap]
Rolland Aymerich, président du SIENAD
Comment expliquer cette prise de risque ? Pour Charlotte Kuentz, l’amplification et la récurrence des phénomènes de sécheresse est minimisée par le maire de Gap.
La position du maire de Gap et de son adjoint Jean-Pierre Martin, c’est de parler « d’accidents » de sécheresse
Charlotte Kuentz, conseillère municipale du groupe Ambition pour Gap
En attendant qu’un accord soit enfin trouvé entre le Champsaur et Gap, que se passera-t-il en cas de nouvelle sécheresse ? Où la ville de Gap trouvera-t-elle son eau potable si le Drac est à un faible niveau et que les précédentes solutions de secours ne lui sont plus permise ?
C’est une bonne question, j’espère qu’elle va cheminer dans l’esprit des Gapençais et qu’elle va les amener à demander à leur maire [en cas de sécheresse] « comment on fait » ?
Rolland Aymerich, président du SIENAD
Pour ajouter un peu de turbidité à la situation, la Délégation de Service Public à Veolia pour la gestion de l’eau de la ville de Gap se termine l’an prochain. Veolia gère notamment l’usine de potabilisation de l’eau acheminée via le canal de Gap. Or, si le scénario qui a la préférence du maire est finalement retenu, il faudra investir plusieurs millions pour remettre aux normes cette installation.
Contactée une première fois le 18 janvier et relancé le 1er février, le maire de Gap n’a pas répondu à nos sollicitations.
1 Plan de Gestion de la Ressource en Eau du Drac Amont approuvé en 2018