Le Drac, commune de Chabottes, mardi 9 mai 2023 © Simon Becquet

Eau à Gap : un plan de secours discrètement étudié et un scénario D - jamais présenté - qui ne convainc pas

L’annonce avait surpris lors des assises de l’eau le 10 février dernier. Il n’y aurait plus trois scénarios envisagés pour sécuriser l’alimentation en eau potable de la ville de Gap mais bien quatre. Le vice-président de l’agglomération Gap Tallard Durance chargé de la gestion de l’eau Jean-Pierre Martin expliquait publiquement qu’un scénario D était à l'étude par la ville, sans pour autant en dévoiler le contenu. Ram05 le révèle en exclusivité.

Le projet de sécurisation de l’alimentation en eau potable est au point mort depuis la décision du maire de Gap de contester devant le tribunal administratif le scénario adopté par le syndicat censé exploiter la nappe des Choulières, le SIENAD (Syndicat Intercommunal d'Exploitation de la Nappe Alluviale du Drac). Le premier forage pour étudier la nappe des Choulières remonte à 2006. 17 ans plus tard, las d'attendre, les 5 communes du Champsaur siégeant au SIENAD ont fait le choix de se raccorder à cette nappe sans la ville de Gap, en lui laissant toutefois la porte ouverte.

Pourtant le temps presse. À cause du réchauffement climatique, de la fonte plus précoce de la neige et de la diminution des précipitations neigeuses, les périodes d'étiage s'allongent pour le Drac. Si bien qu'à deux reprises ces dernières années la ville de Gap a frôlé la pénurie d'eau. À titre d'exemple, à l'époque où les droits d'eau ont été accordés au canal de Gap - en 1860, les pires sécheresses enregistrées engendraient dans le Drac un débit d'étiage de 6000 L/s en amont de la prise des Ricous. Les dernières sécheresses l'abaissent à 1000 L/s.

Sur l'ensemble de l'année, et en particulier à la fin de l'été, la majeure partie de l'eau potable consommée par Gap provient de cette prise des Ricous. Malgré les dérogations accordées par la préfecture des Hautes-Alpes pour abaisser le débit réservé - et donc augmenter la quantité qui peut être prélevée au détriment de la biodiversité - les sécheresses de 2017 et 2022 se sont soldées par des ruptures d'alimentation en eau potable évitées de justesse. En 2017, le Gapençais s’était raccordé en urgence à la nappe des Choulières grâce au puits "test" créé en 2006, qui visait à évaluer le potentiel de la nappe. En 2022, c'est le puits de Chabottes qui a été mis à contribution, provoquant l’agacement de Roland Aymerich, maire de la commune et président du SIENAD. En effet, depuis des années le Champsaur attend du Gapençais qu’il mette en œuvre une solution pérenne pour sécuriser son alimentation en eau potable et atteindre les objectifs du SAGE (Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux). Il faut dire qu'en 2012, ce document donnait 10 ans aux usagers pour atteindre un débit minimal de 600 L/s dans le Drac après la prise des Ricous. Un objectif encore lointain aujourd'hui puisqu'en 2022 le débit minimal autorisé était encore de 350 L/s. Cette année, l'arrêté préfectoral autorise encore une dérogation pour un débit minimal de 450 L/s.

Ram05 a appris que le maire de Gap, Roger Didier, avait formulé une demande au préfet de pouvoir accéder au puits de Saint-Léger-les-Mélèzes - aussi appelé le "puits de la piscine" - sans aborder le sujet au préalable avec Gérald Martinez, le maire de la commune et membre du SIENAD. Le maire de Gap étudie cette possibilité car celui de Chabottes a été condamné en début d'année, il ne peut plus servir de "plan B" en cas de sécheresse. Il n'y a donc plus de solution de secours pour éviter une potentielle pénurie d’eau à la ville préfecture des Hautes-Alpes. Rencontré, le maire de Saint-Léger-les-Mélèzes n’a pas d’opposition de principe à ce raccordement de secours, mais il attend toujours une demande officielle.

Aujourd'hui, Gap fait partie du SIENAD, il me semble que l'instance dans laquelle devraient se faire les échanges, c'est le SIENAD

Gérald Martinez, maire de Saint-Léger-les-Mélèzes

Contactée par la rédaction à propos de la demande de Roger Didier, la préfecture des Hautes-Alpes explique que le préfet a indiqué au maire « qu'une telle éventualité ne pouvait s'envisager qu'avec l'accord du maire de Saint-Léger-les-Mélèzes, qu'il lui appartient de solliciter » tout en rappelant « que le sujet prioritaire doit rester la recherche d'une solution de long terme pour l'alimentation de la ville. »

Reste qu’un raccordement ne se fait pas en deux coups de cuillères à pot. Selon un connaisseur du dossier, l’état du puits de Saint-Léger-les-Mélèzes doit être vérifié et sa capacité à fournir un débit suffisant n’est pas du tout garantie, notamment car il est « très excentré par rapport au versant ». La préfecture précise par ailleurs que la ville de Gap doit au préalable « s'assurer de la faisabilité de cette option et de la possibilité de prélever les débits nécessaires, par une étude hydrogéologique à engager par ses soins. »

À ce jour, de ces deux conditions posées par le préfet, aucune n’est réunie. Le maire de Gap n'ayant plus siégé aux réunions du SIENAD depuis le dépôt de sa requête devant le tribunal administratif fin 2022, les échanges entre les élus du Champsaur et Roger Didier sont inexistants.

Parallèlement, la ville de Gap a étudié une nouvelle option pour sécuriser son alimentation en eau potable : le scénario D, jamais rendu public.

Même les membres du SIENAD n’ont pris connaissance de ce nouveau scénario qu’à travers un document annexé à la requête au tribunal administratif. Contacté par la rédaction, le syndicat a refusé de nous transmettre cette annexe au motif que la procédure juridique est encore en cours. Sollicitée, la ville de Gap n'a pas répondu à notre demande, mais trois sources distinctes nous en ont décrit le contenu.

Le scénario "D" prévoit que le Gapençais augmente la part de l’eau potable provenant des sources de Bayard et de Charance, installe un pompage aux Choulières qui ne fonctionnerait que de manière intermittente, et que la prise d’eau en surface aux Ricous soit maintenue pour l'eau potable, avec un maintien de l'usine de potabilisation de la Descente.

L’audace de ce scénario réside dans la répartition de la consommation annuelle des volumes d’eau : 40 % à terme proviendraient des sources de Bayard et de Charance contre 37 % aujourd’hui selon les chiffres sur lesquels communique la ville de Gap - jugés optimistes par de nombreuses personnes interrogées. 30 % seraient issus de la nappe des Choulières, 30 % de la prise des Ricous.

Une répartition jugée improbable par plusieurs connaisseurs du dossier qui ont souhaité conserver l’anonymat, selon qui les sources de Bayard et de Charance sont déjà exploitées au maximum et seront amenées à se tarir davantage en période d'étiage, à cause du réchauffement climatique. Les chiffres présentés jeudi 11 mai lors de l’AG du Canal de Gap appuient cette idée. En 2022, la ville s'est fait livrer par le Canal de Gap 2,5 millions de m³ contre 1,5 million habituellement. La part de l’eau issue des sources de Bayard et de Charance a donc été bien loin d'atteindre les 37% du volume total consommé par la ville en année « normale» . La trajectoire climatique et son impact sur la ressource font douter de nombreux acteurs sur la capacité de ces sources à fournir les 40 % visés par le scénario D.

Ainsi, s'appuyant sur le fait que la prise des Ricous deviendrait secondaire - ou complémentaire - car elle ne fournirait plus que 30 % de son eau potable, la ville de Gap estimerait que ce captage pourrait se passer du périmètre de protection normalement imposé par le code de la santé publique. Cela permettrait à Gap de régulariser la prise d'eau actuelle, qui, comme nous l'a confirmé l'ARS PACA, « ne dispose pas d’autorisation sanitaire pour la production et la distribution d’eau destinée à la consommation humaine. » Ce point constitue l'un des principaux nœuds du problème car installer un périmètre de protection supposerait des restrictions importantes sur les activités agricoles et touristiques. Là aussi les personnes contactées par ram05 voient dans cette proposition de Roger Didier un tour de passe-passe plus qu'une proposition crédible, pointant que la notion de captage secondaire n'a pas d'existence dans le code de la santé publique.

Egalement questionnée sur ce scénario, la préfecture confirme que le préfet a rencontré le maire de Gap le 12 avril dernier « pour évoquer les propositions faites par le maire de Gap, dans ce qu'il appelle "le scénario D ». Lors de cet échange le préfet a exposé « les conditions à respecter obligatoirement, pour permettre la concrétisation d'un éventuel scénario D » Parmi celles-ci : « faire de la ressource des Choulières l'alimentation principale de la ville de Gap » et « ne préserver la prise d'eau sur le Drac (des Ricous) qu'à titre exceptionnel et de substitution, accompagnée d'une réhabilitation de l'usine de potabilisation de la descente. La prise d'eau sur le Drac pourrait en effet être autorisée seulement dans la mesure où les autres ressources (sources Bayard - Charance - et nappe de Choulières) ne permettraient plus de produire en qualité et en quantité l'eau brute dont la ville de Gap a besoin. Ces préalables permettraient d'envisager le scénario D en répondant aux enjeux de sécurisation de l'alimentation en eau de Gap tout en limitant les impacts sur les milieux. »

Autrement dit, la préfecture entend contraindre la ville de Gap à n'utiliser la prise des Ricous qu'en cas de secours, quand Roger Didier pousse dans l'autre sens en souhaitant limiter au maximum le pompage dans la nappe, avec plusieurs arguments, et notamment la consommation d'énergie associée et le coût que cela représenterait. Un argument réfuté dans le Champsaur, où l'on fait valoir que l'énergie liée au pompage pourrait largement être compensée par l'installation d'une centrale hydroélectrique de l'autre côté du col de Manse. En somme, avec ce nouveau scénario, l'emballage change mais rien de vraiment nouveau sous le soleil.

Contactée à deux reprises par la rédaction de ram05, la ville de Gap n'a pas donné suite à nos sollicitations.

POUR ALLER PLUS LOIN

Les sources du conflit qui oppose la ville de Gap et le Champsaur :

Côté Champsaur, la première raison est un conflit entre les contraintes sanitaires et l’activité économique du Champsaur (agriculture et tourisme). Car en théorie, le code de la santé publique impose un périmètre de protection autour des captages pour « protéger les ressources d'eau potable contre les risques de contaminations ponctuelles et accidentelles pouvant survenir dans l’environnement [...] ». Dans le cas d’un captage d’eau de surface, pour une consommation humaine – ce qui est le cas de la prise des Ricous, le périmètre de protection imposé peut-être gigantesque. Inapplicable de l’avis des Champsaurins, puisqu’il devrait selon plusieurs élus remonter jusqu’à la vallée de Champoléon. En pratique, la prise d’eau des Ricous n’a pas de tel périmètre de protection, car cela imposerait des restrictions drastiques sur l’agriculture et le tourisme. Ironisant à propos de cette absence de périmètre de protection, un élu du Champsaur fait remarquer qu’à « à l’heure actuelle n’importe qui peut bien uriner dans le Canal de Gap comme bon lui semble ». Comme nous l'a confirmé l'ARS PACA, en l'absence d'un tel périmètre aujourd'hui « la prise d’eau des Ricous ne dispose pas d’autorisation sanitaire pour la production et la distribution d’eau destinée à la consommation humaine. » Le Champsaur pousse donc la ville de Gap à opter pour un scénario dans lequel la prise des Ricous ne serait plus destinée à l'eau potable, qui serait tirée exclusivement des sources de Charance et de Bayard, et surtout de la nappe des Choulières. Dans le cas d'un captage en nappe, le périmètre de protection est beaucoup plus réduit, donc acceptable du point de vue des Champsaurins.

Autres causes du mécontentement du Champsaur : en période d’étiage, l’eau détournée vers le bassin gapençais prive les agriculteurs d’une part de la ressource. Alors qu’un pompage dans la nappe des Choulières soulagerait le Drac, dans lequel les ASA du Champsaur ont également des droits d’eau.

Enfin, les 30 millions de m³ détournés chaque année vers le bassin gapençais par le canal de Gap place le Champsaur en situation de « déficit hydrique » malgré une ressource abondante. Une situation qui rend les habitants du Champsaur redevables d’une surtaxe à l’Agence de l’Eau, d’un montant total de 130 000€ par an. De quoi agacer les élus du Champsaur, à l’instar du maire de Saint-Léger les Mélèzes, Gérald Martinez qui estime que « ce sont ceux qui détournent l’eau qui doivent payer cette surtaxe. »

Côté Gapençais, les élus souhaitent également faire bouger les lignes, mais pas dans le même sens.

La priorité du Gapençais est d’éviter la rupture d’alimentation en eau potable, déjà esquivée de justesse à deux reprises. En 2017, le Gapençais s’était raccordé en urgence à la nappe des Choulières grâce à un puits créé en 2006 pour effectuer les premières études de raccordement. En 2022, au puits de Chabottes, désormais condamné. À chaque fois avec des incertitudes sur la capacité des puits à fournir les 200 L/s nécessaires à l’eau potable du Gapençais.

Le Maire de Gap défend un maintien de la prise des Ricous pour un usage à la fois d'eau potable et d'irrigation du gapençais, et un pompage de secours dans la nappe des Choulières, le fameux scénario A - déjà décrit sur nos ondes. Ce scénario aurait dû être écarté définitivement par un vote du SIENAD à l’automne 2022. En effet, ce syndicat qui regroupe 5 communes du Champsaur et la ville de Gap pour l’exploitation de la nappe des Choulières avait voté en faveur du scénario C.

Autre argument avancé par le maire de Gap, l'énergie nécessaire au pompage dans la nappe des Choulières et son coût, à répercuter sur le prix de l'eau potable. Un élément que réfutent le Champsaur, qui pointe d'une part le fait qu'en turbinant l'eau via une centrale hydroélectrique, les dépenses énergétiques et financières seraient compensées, d'autre part le fait qu'en se mettant en conformité avec les objectifs du SAGE, grâce à une réduction des prélèvements dans le Drac et à une régularisation sanitaire de l'alimentation en eau potable de la ville de Gap, celle-ci pourrait bénéficier des aides à l'investissement de l'Agence de l'Eau auxquelles elle n'a pas accès aujourd'hui.