La cour de l'école Cézanne à Embrun, 30 mai 2023 © Simon Becquet

Dans les écoles, le numérique, c’est pas automatique

Mi-mai, la ministre des écoles suédoise a annoncé un rétropédalage sur la stratégie du numérique à l’école. En cause, une introduction jugée trop systématique des écrans dans les classes, avec des manuels scolaires exclusivement sur tablette dès le collège, qui seraient responsables de la baisse du niveau des élèves selon la ministre. Le syndicat des enseignants suédois regrette une position « sans nuance, où on oppose les outils numériques au papier et au livre, quand le problème est que de nombreux investissements ont été réalisés sans consulter les enseignants, qui se sont retrouvés avec des contenus numériques inadaptés qu’ils n’ont pas pu utiliser. »

Qu’en est-il dans les Hautes-Alpes ? Reportage avec un cas d'école dans une classe du groupe Cézanne à Embrun.

Le première condition pour se saisir des outils numériques à l'école est que les classes soient équipées. Condition globalement remplie dans les Hautes-Alpes où le numérique a déjà fait son entrée dans la plupart des écoles, signale Thomas Barthelemy Blanc, enseignant référent aux usages du numérique de la circonscription de Gap et d’Embrun.

Pratiquement toutes les classes du territoire sont équipées en vidéoprojecteurs interactifs. Ce sont des solutions de vidéoprojection sur lesquelles les enseignants peuvent interagir directement sur la projection. [...] Il y a bien sûr des ordinateurs. Pour la plupart ce sont des ordinateurs portables. Et plus récemment sur Embrun on a mis en place des tablettes.

Thomas Barthelemy Blanc, enseignant référent aux usages du numérique de la circonscription de Gap et d’Embrun.

Contacté par la rédaction, la FSU SNUipp 05 confirme que les classes sont désormais bien équipées d’outils numériques. Les subventions ont globalement permis de lisser les disparités entre les écoles du département. Floriane Imbert, enseignante dans les Hautes-Alpes et représentante de la FSU SNUipp 05 pour le 1er degré explique que l’idéal serait « qu’il y ait un travail conjoint entre les services de l’éducation nationale et les communes pour que ce soit équitable, que les mêmes outils soient fournis [ndlr : entre les écoles], les mêmes moyens soient donnés aux communes pour qu’elles puissent mettre en place ces outils numériques. » Car une harmonisation des équipements faciliterait la diffusion et la mise en œuvre de scénarios pédagogiques s’appuyant sur le numérique.

Là où le bat blesse, selon la FSU SNUipp 05, c’est que l’utilisation du numérique dans des scénarios pédagogiques n'est pas encore dispensée dans la formation initiale, qui prévoit à ce jour seulement un certificat informatique pour attester d’un niveau d’utilisation des outils.

La formation c'est ce qui pêche le plus. On a les indications, ce qu'on devrait faire, ce qu'il faudrait faire mais on n'a pas l'accompagnement et la formation adéquates pour pouvoir mener à bien et utiliser ce numérique pour l'apprentissage et la réussite des élèves. Alors on a toujours les conseillers pédagogiques, les ERUN qui peuvent venir nous aider mais sur tout un département, ils ne sont pas nombreux, donc c'est quand ils peuvent, et sur un temps pas très long. Ce n'est pas ce qu'on appelle une formation. C'est un petit accompagnement, sporadique. C'est quelque chose qui devrait être inclus dès la formation initiale et dans de la formation continue qu'on pourrait faire chaque année pour s'améliorer dans ce domaine.

Floriane Imbert, enseignante dans les Hautes-Alpes et représentante de la FSU SNUipp 05 pour le 1er degré

Pour autant, après la formation initiale, les professeurs des écoles ont des opportunités de se former localement au numérique estime Thomas Barthélémy Blanc. Ces formations étant facultatives, cela reste toutefois dépendant de la volonté de enseignants d’y participer ou non.

Des formations chaque année sur des thèmes variés. Par exemple dans le département, cela fait deux ans qu'on est sur une formation sur de l'Education aux Médias et à l'Information, en rapport avec la classe investigation. C'est un projet qui est mis en place et proposé par le CLEMI et qui amène les élèves à se mettre dans la peau d'un journaliste. A l'écoute et à la lecture de plusieurs indices [ndlr : photos, documents et vidéos consultés sur tablettes ou ordinateurs] ils ont à rédiger et à enregistrer un flash info relatant un fait divers.

Thomas Barthelemy Blanc, enseignant référent aux usages du numérique de la circonscription de Gap et d’Embrun.

Au moment où le numérique se généralise à l’école, une autre question se pose. La problématique de l'exposition prolongée aux écrans. C’est d'ailleurs ce point qui a incité le gouvernement suédois à revenir en arrière sur sa stratégie d’introduction du numérique dans les classes, après avoir estimé que l'omniprésence des écrans était responsable de la baisse du niveau scolaire des élèves en Suède.

Un article du quotidien Le Monde du 21 mai dernier rapporte qu’en Suède : « Début décembre 2022, dans une enquête réalisée auprès de 2 000 professeurs par leur syndicat, près d’un enseignant sur cinq en moyenne estimait que ses élèves écrivaient rarement ou jamais à la main. Au collège, ils étaient 35,3 % des enseignants et 56,8 % au lycée. » Dans ce même article, le professeur de neurosciences cognitives à l’Institut Karolinska à Stockholm, Torkel Klingberg, estimait que la Suède était allée trop vite dans l’introduction du numérique : « On avait l’ambition d’être moderne. On a donné un ordinateur aux élèves, sans réfléchir à ce qu’on faisait et pour quelles raisons. La numérisation est devenue un objectif en soi, sans aucune vision d’ensemble. »

Pour le moment la problématique des temps d’écran ne se pose pas avec la même intensité en France. En tout cas pour le premier degré, estime Thomas Barthelemy Blanc.

Le temps d'exposition aux écrans au sein de l'école est quand même très limité. [...] Et l'école a pour rôle d'introduire cette idée d'une utilisation raisonnée des outils numériques. C'est quelque chose qui doit apporter quelque chose de plus, donc enrichir les contenus, améliorer les contenus. Donc si dans une situation pédagogique, l'enseignant se rend compte que le numérique n'apporte pas grand chose, je l'invite à renoncer finalement à l'utilisation du numérique et à rester sur une situation traditionnelle.

Thomas Barthelemy Blanc, enseignant référent aux usages du numérique de la circonscription de Gap et d’Embrun.

En 2020 un rapport du SCNESCO – le Centre national d’étude des systèmes scolaires du Rapport – résumait ainsi les enjeux de l'introduction du numérique à l'école : « Le numérique constitue un ensemble d’outils, et n’offre pas LA solution qui déterminerait à elle seule les résultats d’un enseignement. C’est avant tout le scénario pédagogique qui importe, c’est-à-dire l’insertion pertinente de l’usage d’un outil numérique au bon moment, pour une durée appropriée, dans une stratégie d’enseignement adressée à des élèves donnés visant un objectif d’apprentissage précis »