Crise du logement dans les alpages

Du fait de la présence du loup, bergers et bergères doivent désormais dormir auprès de leurs troupeaux dans les estives. Souvent dans des cabanes sommaires, héliportées chaque été depuis 2005 par les parcs nationaux de la Vanoise et des Écrins. Une réponse censée être provisoire, qui s’éternise. En 2020, il manquait 7 cabanes principales et 37 cabanes secondaires dans le cœur du Parc des Écrins.

Fin mars, c’est une chanson qui a fait du bruit dans les alpages… et les médias. Pari réussi pour le collectif de bergères et bergers PastorX and the Black PatouX qui ont sorti un clip de rap intitulé « Niche à chien » pour dénoncer leurs mauvaises conditions de logement dans les alpages (retrouver sur Ram05 leur interview). Leur pétition a recueilli plus de 2700 signatures.

Du fait de la présence du loup en montagne, les bergers et bergères doivent désormais garder la nuit leurs troupeaux et dormir à coté. Marius, 30 ans, est berger depuis cinq ans dans le Parc national des Écrins.

« Avant le retour du loup dans les Écrins qui est assez récent, sur les cinq dernières années, on avait des alpages où une technique traditionnelle était de garder les brebis en libre. Elles mangeaient où elles voulaient, elles dormaient où elles voulaient et le berger allait leur rendre visite deux fois par semaine, leur donner du sel, les soigner, s’assurer que ça allait bien. […] Maintenant avec le problème de prédation et le conditionnement des indemnisations au parcage de nuit, à la présence de bergers et de chiens de protection, on est contraint d’avoir des bergers sur place pour protéger les brebis. »

Marius

Mais au-dessus de 2000 mètres, il n’existe souvent pas de cabanes. Depuis 2005, les parcs nationaux de la Vanoise et des Écrins montent des cabanes en bois de 4 à 5m2, dites d’« urgence », déposées et déplacées par hélicoptère au fur et à mesure de l’estive. On en compte 11 dans le parc national de La Vanoise, en Savoie, et 12 dans celui des Écrins, à cheval sur les Hautes-Alpes et l’Isère. Isabelle Vidal, cheffe du service aménagement du PNE rappelle qu’il s’agissait à l’époque « de proposer un logement d’urgence pour que les bergers puissent rester à proximité de leurs troupeaux suite aux attaques, et leur proposer un logement en dur à la place d’une tente. »

« C’étaient des cabanes qui, au départ, étaient provisoires. On recevait l’appel d’un éleveur et on montait une cabane vraiment au coup par coup. Une fois que la situation de prédation était passée, on la redescendait. »

Isabelle Vidal

Mais faute de construction pérenne, le provisoire s’est installé. Soit 4 à 5m2 à partager à deux bergers et où on peut se tenir debout seulement sous le faitage. Marius garde un troupeau de 450 brebis dans la vallée du Valgaudemar et dort dans une de ces cabanes.

« C’est très petit. On a un bec à gaz, pas vraiment de système de chauffage, pas vraiment de quoi ventiler. Il y a juste une fenêtre. Les cabanes sont héliportées, donc elles ne sont pas sous les arbres, pas à l’ombre. Elles sont en pleine cagne. [ …] Dès qu’il y a un peu des intempéries, qu’on est mouillés, on n’a pas la place de faire sécher les habits, de mettre notre chien à l’abri, de prendre soin de soi. Il n’y a pas de douche, ce qui est légalement obligatoire d’avoir une douche dans une cabane. Parce qu’on dit cabane, mais c’est notre logement de fonction, en fait. »

Marius

Il n’y a pas d’eau sur son alpage.

« Cela fait trois ans qu’on m’héliporte des bouteilles d’eau. Pour la première année, on m’a héliporté 2 litres et demi d’eau par jour

pour mon chien et moi. »

Marius

Depuis lors, il s’occupe lui-même de son approvisionnement en eau. Cette année, il est en train d’installer un tuyau pour aller capter une source située à 1,5 km . Pour se laver, il faut donc se contenter de toilettes de chat.

Désormais les bergers et bergères, via leur syndicat, réclament en urgence un cahier des charges pour l’utilisation de ces cabanes, afin de « mettre les éleveurs face à leurs responsabilités ». Puis un recensement des logements existants, un programme d’investissement pour rénover et construire pour construction de logements dignes et pérennes, ainsi qu’un engagement d’en finir d’ici deux ans avec les logements indignes, dont ces cabanes héliportables, qui pourraient être requalifiées comme chambres d’appoint.

En 2020, le PNE avait recensé les besoins. Ils sont importants : il manquait 7 cabanes principales et 37 cabanes secondaires dans le cœur du Parc. Depuis 2018, le PNE a accompagné la création de dix nouvelles cabanes en cœur de parc.

Le principal obstacle est financier. Dans la plupart des cas, ces cabanes sont des propriétés communales.

« Ça reste des investissements importants, plusieurs centaines de milliers d’euros. Pour une cabane principale, il faut compter entre 130 000 et 200 000 euros ; pour une cabane secondaire, un peu plus petite, entre 60 000 et 150 000 euros. »

Isabelle Vidal

Le parc accompagne les éleveurs dans leur démarche auprès des communes pour définir leurs besoins, puis les communes pour obtenir des cofinancements étatiques et européens. Mais les communes doivent faire les avances de trésorerie. « On ne peut pas se substituer aux communes qui sont propriétaires de leurs logements », précise Isabelle Vidal.

Selon elle, l’entretien et l’héliportage des 12 cabanes représentent un budget de 23 000 euros par an pour le Parc national des Ecrins (PNE), sur un budget total d’environ 150 000 euros consacré chaque année au pastoralisme (entre cabanes, bergers d’appuis, médiateurs et actions pour une meilleure connaissance du loup). Une contribution de 400 euros est demandée aux éleveurs pour prendre en charge une partie de l’hélitreuillage. Parmi les critères d’attribution des cabanes, figure notamment l’obligation pour la commune de s’être engagée dans une démarche de construction d’un logement pérenne.

Le logement n’est pas la seule préoccupation des bergers, touchés par la réforme de l’assurance chômage et des retraites, comme tous les saisonniers. Depuis un an, gardiens et gardiennes de troupeaux des Alpes du sud s’organisent en syndicat pour défendre leurs droits dans une profession précaire et souvent très isolée. Le SGT PACA, syndicat des gardiennes et gardiens de troupeaux, rattaché à la CGT, s’est réuni pour la première fois le 1er mai 2022 dans le Trièves.

« On est notamment actifs sur les questions de logement, mais aussi les questions salariales, les négociations d’avenants pour bergers. La situation est amenée à évoluer. Je pense que tout le monde s’en rend compte : on ne va plus nécessairement accepter et tolérer le genre de conditions qui ont été celles qu’on avait jusque là. A la manif de grenoble du 1er mai, il y avait un bloc berger. C’était un moment festif et très joyeux, notre première sortie en tant que SGT et un des slogans était « On travaille sept jours sur sept, pas de chômage et pas de retraite ». Je pense que ça résume assez bien la situation. »

Marius

Une réunion a eu lieu fin mai entre le parc et des représentants des bergers. Et sur le sujet des conditions de travail des bergers et bergères, vous pouvez écouter notre émission Moments partagés avec Nam, berger de la ferme des Nuits blanches à Baratier et éleveur ardéchois.