Cinémas Club et Centre à Gap : à moins d’un mois du déménagement, l’association divisée par une crise interne
À Gap, deux cinémas historiques, Le Club et Le Centre, gérés par l’association Conférence Jeanne d’Arc, doivent être déplacés d’ici la mi-juin et jusqu’en 2027, le temps que les travaux du Carré de l’Imprimerie se terminent et permettent leur relogement dans deux salles neuves. La solution provisoire d’une salle unique actuellement négociée entre le président de l’association et le maire de Gap inquiète l’Association des Spectateurs des Cinémas Le Club et Le Centre et provoque une crise au sein de la Conférence Jeanne d’Arc, qui réunit son Conseil d’Administration lundi 3 juin.
C’est une histoire vieille de quatorze ans avec laquelle le président de la Conférence Jeanne d’Arc Xavier Guillon aimerait en finir. En janvier 2010, le diocèse décide de vendre ses locaux qui hébergent les deux cinémas. La Conférence Jeanne d’Arc dispose alors de cinq mois pour quitter les lieux. Un collectif de spectateurs se constitue en association pour défendre l’avenir des cinémas. L’ASCCC est née. C’est elle, rappelle l’un de ses membres, Bernard Grégoire, qui suggère que l’Etablissement Public Foncier Régional fasse l’acquisition du Carré de l’Imprimerie pour le compte de la ville de Gap, le temps qu’un projet soit élaboré et qu’un promoteur le porte.
Quatorze ans plus tard, les travaux sont sur le point de débuter, et les cinémas, qui ont déjà dû faire face à la pandémie de Covid 19, vont devoir affronter deux déménagements, avec le risque d’y laisser des plumes, ou tout du moins du public. Alors que le premier est prévu mi-juin, aucun document officiel n’est signé, fait savoir Xavier Guillon, le président de la Conférence Jeanne d’Arc. En revanche, celui-ci a conclu un accord oral avec le maire de Gap.
Nous aurons une salle à l’usine Badin. […] On exploiterait nos séances sur cette salle avec la capacité de garder, ce qui est quand même très important pour nous, la totalité du personnel, c’est-à-dire qu’on n’envisage pas de licenciement. Avec les deux projectionnistes actuels nous arrivons donc, même sur une salle, ce qui n’était pas notre but au début, à tourner plus de trente à trente-cinq séances par semaine suivant la durée définie. Il est évident que ce n’est pas la panacée mais de toute manière on savait très bien qu’il n’y avait pas de solution miracle.
Xavier Guillon, président de la Conférence Jeanne d’Arc
Si la solution est officialisée, il faudra donc faire rentrer deux salles en une. Or, aujourd’hui, Le Centre et Le Club, c’est un peu deux salles deux ambiances selon l’ASCCC. Tandis que le premier se concentre sur cinéma généraliste avec une programmation établie par Xavier Guillon, le second se consacre exclusivement au cinéma Art et Essai sous la houlette de Lisbeth Blanc.
Ça demande une programmation très exigeante, en cinéma, sur le plan artistique. En mettant de la valeur sur la vie sociale, la nature, les engagements, et les diversités ethniques, religieuses, politiques… et aussi la comédie et l’humour. Et toujours en version originale parce qu’il faut être très près du film. Pour cela il faut accompagner certains films grâce à la venue de réalisateurs, de critiques de cinéma, d’auteurs, d’acteurs, de musiciens, etc. Il faut aussi organiser des ciné-gouters pour les petits, pour que les enfants aient le goût de ce cinéma. On fait des animations pour leur expliquer les films. Et pour les plus grands, dans les lycées et les collèges, on fait venir aussi des films exprès pour les professeurs d’histoire-géographie, de langues, français… de façon à leur montrer et discuter avec eux d’un certain nombre d’autres films. En fait, la réussite, c’est surtout de mettre en valeur certains films, et d’en parler avec les gens, d’avoir des rencontres avec les gens. On fait des ciné-rencontres, des ciné-débats, et puis il y a beaucoup d’associations locales, surtout, qui viennent nous demander de passer un film parce qu’ils veulent pouvoir en parler.
Lisbeth Blanc, exploitante du cinéma Le Club
Xavier Guillon, lui, se dit confiant sur la cohabitation des deux programmations, estimant qu’il n’y aucune raison d’opposer les deux. Lisbeth Blanc, programmatrice du Club, se montre plus pessimiste.
Mettre [les deux salles ensemble] ce serait la mort de l’Art et Essai. […] On peut mettre plein de films Art et Essai dans une salle, mais s’il n’y a pas l’accompagnement et le soutien des producteurs, des distributeurs, des auteurs, des réalisateurs, etc. ça n’a plus de valeur pour les gens, parce qu’ils ne retrouvent pas la même chose.
Lisbeth Blanc, exploitante du cinéma Le Club
Cette spécificité liée à l’Art et Essai, Lisbeth Blanc estime qu’elle ne sera plus possible si les deux salles devaient cohabiter. Un point de vue que Xavier Guillon ne partage pas. D’ailleurs, le président de la Conférence Jeanne d’Arc a confirmé à ram05 avoir obtenu des garanties du CNC [Centre National du Cinéma] sur la possibilité de conserver le label Art et Essai dans la configuration envisagée. Les distributeurs de films Art et Essai s’en sont également mêlés, raconte Lisbeth Blanc. Plusieurs ont adressé une lettre au maire de Gap pour le convaincre de maintenir deux salles, estimant qu’ils seraient perdants eux-aussi.
L’affaire provoque une crise interne à la Conférence Jeanne d’Arc. Selon nos informations, plusieurs membres du Conseil d’Administration regrettent qu’un accord aussi déterminant pour l’avenir des cinémas ait pu être conclu entre Roger Didier et Xavier Guillon sans consultation des dirigeants de l’association. L’ASCCC y voit un dysfonctionnement démocratique qu’elle a pointé dans une lettre ouverte, indique Bernard Grégoire.
Il y a eu un accord qui aurait été passé pour qu’il n’y ait plus qu’une salle, mais sans que ceci n’ait été décidé de manière collective et démocratique par l’association La Conférence Jeanne d’Arc. Donc là on peut dire qu’il y a une rupture quand même de confiance et c’est ce que nous mettons dans notre lettre ouverte. On était sur une base de deux salles, et bien il faut tout faire pour que ces deux salles continuent à exister.
Bernard Grégoire, membre de l’ASCCC
Bernard Grégoire rappelle qu’au départ, l’Usine Badin avait été choisie pour sa proximité immédiate avec la Cinémathèque de Montagne, qui aurait pu héberger Le Club, afin de maintenir deux salles distinctes. Mais le prix proposé par la Cinémathèque a été dissuasif pour le maire de Gap : 150 000€ par an pour douze séances par semaine, contre 80 000€ pour un peu plus de trente séances côté Badin.
Xavier Guillon défend son choix, rappelant que la solution incluant la Cinémathèque n’aurait permis que douze diffusions par semaine pour l’Art et Essai, alors qu’en coupant la poire en deux à l’Usine Badin, Le Club disposera d’au moins quinze séances. Le président de la Conférence Jeanne d’Arc rappelle toutefois qu’il ne s’agit que d’un pis-aller, car le nombre total de séances et de places restent largement inférieurs à la configuration actuelle. Conséquence, un déficit de plusieurs dizaines de milliers d’euros estimé sur les trois années de délocalisation.
Autre source d’inquiétude, la fidélisation des spectateurs. Bernard Grégoire estime qu’elle pourrait pâtir des déménagements à venir, au moment où la chute de fréquentation liée au Covid vient seulement d’être rattrapée.
Il y a une continuité dans la fidélisation d’un public. Donc le fait d’arrêter pendant trois à quatre ans toute une série de programmations, de façon d’être, de rapport au cinéma… si ça, ça s’étiole, pour le récupérer après, c’est dur. On a pu voir avec le Covid qu’il a fallu que les spectateurs se réhabituent à aller au cinéma. Grâce à l’activité de la programmation du Club, il a pu récupérer à peu près et même dépasser son nombre d’entrées d’avant 2019. Mais ça ne s’est pas fait en quelques semaines. Il a fallu du temps, et c’est parce qu’il y a eu plus de séances programmées, avec des fois des séances même le samedi matin.
Bernard Grégoire, membre de l’ASCCC
Si le public suit et que les pertes occasionnées par le déménagement temporaire ne sont pas fatales à l’association, les spectateurs seront récompensés par le retour des cinémas au sein du Carré de l’Imprimerie, dans deux salles neuves et distinctes. Or, la nouveauté, estime Xavier Guillon, a de bonnes chances de donner un coup de pouce à la fréquentation.
Ce qui est sûr, ce que nous dit le CNC, c’est qu’à chaque fois qu’il y a des salles nouvelles, il y a un effet positif et donc un effet de curiosité. Les gens vont venir, effectivement, plus qu’avant parce qu’il y a l’attrait de la nouveauté, la curiosité, etc. Donc ça, dans un premier temps, ça devrait être favorable. Après, il faudra voir. Dans trois ans, que sera le cinéma en France ? Où est-ce qu’on en sera ? On peut penser qu’on sera toujours sur les mêmes lignes actuelles, c’est à dire aux alentours de 200 millions de spectateurs en France. Il n’y a pas tellement de raisons que ça s’effondre ou que ça monte très vite. […] Tout dépendra aussi de la programmation, et de la qualité des films. Si les films sont intéressants, les gens viennent. Quand ça leur plaît pas, ça ne marche pas.
Xavier Guillon, président de la Conférence Jeanne d’Arc
À quelques semaines du déménagement, et malgré l’accord oral entre Roger Didier et Xavier Guillon, l’ASCCC espère toujours obtenir gain de cause pour une solution de relogement temporaire à deux salles. A défaut d’une influence suffisante auprès de la ville de Gap, elle peut éventuellement miser sur les divisions internes à la Conférence Jeanne d’Arc, qui, de par son statut associatif, doit s’appliquer à ce que les prises de décisions soient prises de manière démocratique.
Selon nos informations, celle-ci réunit son Conseil d’Administration lundi 3 juin et son président pourrait être mis en minorité si la décision concernant le relogement au sein de l’Usine Badin était soumise au vote.