Crédit photo : NasserHalaweh, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Avec le retour du castor et de la loutre, les rivières haut-alpines se « réensauvagent »

Bonnes nouvelles pour la biodiversité des rivières des Hautes-Alpes : ces derniers mois, le castor et la loutre ont été détectés dans des cours d’eau dont ils avaient disparu depuis longtemps.

Le premier motif de satisfaction se situe dans le Champsaur. C’est ici que le castor a fait son retour dans le Parc National des Écrins, d’après des indices découverts en décembre dernier.

Ce mammifère, qui vit dans l’eau et se nourrit de végétaux, est « le plus gros de nos rongeurs », avec un gabarit pouvant aller de 15 à 30 kg, décrit Marc Corail, garde-moniteur du Parc. Le castor, chassé pour sa fourrure, pour sa glande, le castoréum, utilisé en parfumerie, et pour sa viande, a failli disparaître de France au début du vingtième siècle. Il est devenu le premier mammifère a être protégé au niveau national, en 1909, et a entamé depuis un retour spontané notamment dans le bassin versant du Rhône.

Ce grand rongeur a ainsi remonté la Durance mais bute toujours sur l’obstacle de Serre-Ponçon : « les castors sont venus en pèlerinage voir le dieu des barrages », plaisante Marc Corail. Leur retour dans la partie est du Parc des Écrins n’est donc pas pour tout de suite.

Sur le côté ouest, en revanche, c’est fait, depuis au moins un an. Le castor a été repéré à La-Fare-en-Champsaur, Saint-Bonnet-en-Champsaur, Saint-Laurent-du-Cros, et Saint-Julien-en-Champsaur. Une présence encore fragile mais encourageante, pour Marc Corail.

Nous avons posé des pièges photo parce qu’il avait commencé à construire une hutte sur le Drac. On a de petites séquences vidéo cet hiver où on le voit recharger du bois, remettre du feuillage sur sa hutte pour l’isoler. Mais jusqu’à présent on n’a jamais pu mettre en évidence plus qu’un individu, donc ça reste quand même très aléatoire : s’il n’y a qu’un individu la colonisation ne va pas aller bien loin. Mais on peut se dire qu’il y a un chemin d’ouvert, que la reconquête va se faire, et que ce si ce n’est pas tout de suite ce sera peut-être dans quelques années.

Marc Corail

Mystère en Champsaur

Mais un mystère demeure : comment le castor est-il revenu dans le Champsaur ? Pour l’heure, sa provenance n’est pas connue et interroge le garde-moniteur.

Trois hypothèses se dégagent. La première : une remontée depuis l’Isère, où il est présent depuis des décennies. Problème : quatre ouvrages importants lui barrent la route et paraissent infranchissables.

Il y a des données, qui ont plus d’une année, d’un garde de l’Office national des forêts, à la confluence du Drac et de la Bonne, la rivière qui vient du Valbonnais, au pied du barrage de Ponsonnas. Donc on a la preuve que le castor a franchi au moins deux de ses ouvrages. Il en reste quand même encore deux importants à franchir : le barrage du Sautet et le barrage de Ponsonnas. On sait que le castor, malgré tout, est capable de quitter l’eau, de circuler un peu en terrestre, des fois assez loin des plans d’eau. Donc, il y a peut être la possibilité qu’il contourne ces ouvrages en empruntant des routes.

Marc Corail

Autre solution possible : une recolonisation à partir de Gap. Ce rongeur est en effet présent sur la Luye.

Cela voudrait dire quand même qu’il a réussi à remonter et franchir le col Bayard soit par le torrent de Bonne soit par le Buzon. Dans certaines régions en France on sait que le castor arrive à remonter de tout petits cours d’eau à régime assez torrentiel.

Marc Corail

Enfin, dernière hypothèse : un retour depuis le Buëch.

Il y a peut-être aussi la possibilité qu’il ait pu remonter du Buëch. Après il y a le canal de Gap, et là il serait sur la courbe de niveau. Ensuite il faut pouvoir circuler dans un ouvrage comme ça, quand même très canalisé avec des berges en béton. Mais on connaît des cas similaires, notamment dans la ville de Genève où le castor circule vraiment dans des endroits très artificiels.

Marc Corail

Pour l’instant, aucune piste n’est privilégiée pour expliquer le retour du castor dans le Champsaur. Le Parc des Écrins est preneur de toutes les contributions pour éclaircir cette énigme, et appelle donc le public à scruter les berges lors de ses balades.

Ce qui est assez flagrant, c’est sa façon de tailler les troncs, en biseau, en crayon, et puis on voit bien les marques d’incisives qui sont assez nettes. Pour le moment, sur le Drac, il ne s’est attaqué qu’à des petits bois, jusqu’à environ 5-7 centimètres de diamètre. Les indices que nous avons trouvés jusqu’à présent sont assez discrets. D’où notre campagne de sensibilisation pour essayer de collecter des informations.

Marc Corail

La loutre a franchi Serre-Ponçon

Un appel à la participation est aussi lancé en ce qui concerne la loutre.

Cette fois-ci, le secteur concerné est la Haute-Durance. Ce mustélidé avait lui aussi presque disparu de France avant de revenir dans la région en 2009 et de remonter jusqu’au barrage de Serre-Ponçon six ans plus tard.

Or, il y a quelques mois, des traces de pattes ont été repérées à l’Argentière-la-Bessée, plus de 50 km en amont de l’ouvrage. Ces empreintes « ont pu être authentifiées par des mammalogues expérimentés », il est donc « sûr à 90 à 95 % » qu’il s’agit bien de la loutre, annonce Nicolas Fuento, salarié coordinateur du plan régional d’action en faveur de ce mammifère pour la LPO PACA.

La loutre a donc finalement pu franchir le barrage de Serre-Ponçon.

Elle est passée par la terre, ça on en est sûr, elle n’a pas escaladé l’ouvrage. On sait que c’est un animal qui est très agile sur terre, qui ne va pas hésiter s’il y a un obstacle sur la rivière à le contourner en passant par la berge et parfois en s’éloignant de plusieurs centaines de mètres de tout cours d’eau pour rejoindre un site d’alimentation ou aller conquérir un nouveau territoire. Donc elle a probablement dû contourner assez largement le barrage en passant à sec.

Nicolas Fuento

La Ligue pour la Protection des Oiseaux invite les usagers des cours d’eau à guetter les indices de présence de la loutre, un prédateur très discret, pour en savoir plus sur son retour en Haute-Durance.

La loutre va faire un marquage territorial sur les éléments en évidence au bord de la rivière : des rochers, des piles de ponts, ça peut être un enrochement, un gros tronc d’arbre. Elle va venir y déposer un marquage territorial qu’on appelle des fèces, des déjection. Elles ont un aspect bien particulier chez la loutre : un aspect un peu luisant, un peu vernis avec des écailles de poissons, des arêtes de poissons. Elles ont aussi une odeur particulière, ça sent le poisson fumé. Ce n’est pas forcément une odeur qui est très désagréable. Donc il faut même aller jusqu’à sentir pour être sûr que c’est une loutre.

Nicolas Fuento

Contactez donc le Parc National des Écrins ou la LPO pour partager vos éventuelles observations.

D’un point de vue écologique, Nicolas Fuento qualifie ces recolonisations de « réensauvagement ». « C’est toujours intéressant d’avoir des espèces complémentaires », abonde Marc Corail. En particulier, le castor est considéré comme une « clé de voûte » : sa présence « conditionne la richesse écologique des milieux naturels » grâce à ses barrages qui créent des habitats favorables pour nombre d’autres animaux.

Par ailleurs, il existe des moyens de se prémunir des dommages que pourrait causer le castor sur les cultures arboricoles, rassure Marc Corail. De même, les homologues de Nicolas Fuento présents dans les régions piscicoles remplissent une mission de médiation pour favoriser la cohabitation avec la loutre, prédatrice des poissons.

Pour plus d’informations, rendez-vous demain mercredi 17 juillet à 18h à la Maison de la Vallée à Pont-du-Fossé pour une conférence sur le retour du castor et de la loutre, en compagnie de Marc Corail et Nicolas Fuento.


Crédit photo : Bernard Landgraf, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons