Vue sur la zone envisagée par le projet d'extraction de graviers

Le projet de carrière à La Roche de Rame abandonné « en l’état actuel des réglementations environnementales »

Des échanges entre les services de l’Etat et les porteurs du projet ont mis en lumière son incompatibilité avec les exigences de protection de l’environnement, conduisant l’entreprise Allamanno et la municipalité à y renoncer « en l’état actuel des réglementations environnementales » a confirmé le maire de La Roche de Rame à ram05. Rente pour la commune, impact environnemental, approvisionnement en matériaux pour le BTP et enfouissement de terre de déblai… décryptage des enjeux d’un projet contesté en local par La Rebouline.

Fondée en décembre 2021 par des habitants du hameau soucieux du bien-vivre sur la commune, l’association avait d’abord vocation à organiser des repas, jeux de cartes ou de boules, conseiller la mairie sur des aménagements légers ou encore prendre soin de l’environnement proche. Autrement dit, rien ne la destinait à contester des projets tels que la carrière de Pra-Reboul, explique Gérard Garnier, le président. Jusqu’à ce que ses membres aperçoivent des engins à chenilles sur le terrain, un peu moins d’un an après sa création.

Nous avons pris contact avec la mairie sans délai, qui nous a dit procéder à des mesures pour vérifier si une éventuelle exploitation serait compatible avec les matériaux qui se situent dans le sous-sol de cette rive gauche de la Durance. Puis nous avons écrit une pétition qui a été très majoritairement signée, pour ne pas dire unanimement, par les habitants du hameau […]

Gérard Garnier, président de l’association La Rebouline

Depuis, un quatrième axe a été ajouté aux statuts de la Rebouline afin d’engager des actions en justice.

Une autre carrière, en activité, sur la commune de Saint-Crépin occasionne déjà des gênes pour les habitants du hameau. « Conscients de l’importance économique de ce type d’activité », ceux-ci n’avaient à l’époque pas opposé de résistance à sa création, indique Gérard Garnier. Cette fois, les enjeux environnementaux sont trop importants, estime-t-il, notamment à cause de la fragilité du site1 au regard de la technique d’extraction mise en œuvre.

La technique d’extraction consiste à raser la végétation de la surface, d’évacuer la terre végétale sur la périphérie puis de creuser des fosses pour extraire le gravier, qui est conduit à la centrale à béton et transformé. Ensuite les fosses sont rebouchés avec des matériaux de remblai.

Gérard Garnier, président de l’association La Rebouline

La zone d’extraction déjà existante sur le site de Barrachin à Saint-Crépin fournit de gros blocs pour réaliser des enrochements. Le site envisagé à Pra-Reboul représente un espace de 7000 m² sur 9 mètres de profondeur. Il est convoité pour son gravier, indispensable à la conception du béton, explique Michel Frison, le maire de La Roche de Rame.

Ce sont des matériaux absolument nécessaires pour le BTP. Le béton est un matériau extrêmement normé et qui doit être fait à partir de matériaux nobles. Il y a un besoin impératif de la part des entreprises d’agrégat de se fournir localement […] et je pense même que c’est un besoin pour notre territoire de supprimer ces norias de semi-remorques qui alimentent ce secteur d’activité.

Michel Frison, maire de La Roche de Rame

Le projet de carrière à Pra Reboul est porté par l’entreprise Allamanno avec le soutien de la municipalité. Cette entreprise du BTP souhaitait pouvoir enfouir les déblais de ses chantiers dans les fosses laissées par l’extraction, car leur mise en décharge représente un coût important. « Un moyen de trouver un exutoire à ces volumes de matériaux issus de l’ensemble des terrassements réalisés sur le territoire » ajoute Michel Frison. Et une rente pour la commune qui aurait perçu 1,2 millions d’euros sur la durée de vie de l’exploitation en facturant l’extraction du gravier et l’enfouissement de la terre de remblai.

La SAPN-FNE052 s’est penchée l’impact écologique du projet. Pour Bernard Patin, membre du conseil d’administration, la nature du site retenue est problématique.

On est sur un site qualifié de steppique, un milieu naturel assez particulier caractéristique de la Haute-Durance et qui fait l’objet d’une protection Natura 2000 qui interdit de porter atteinte aux espèces végétales qui caractérisent ce milieu. Or, il y a d’importants risques de leur porter atteinte.

Bernard Patin, administrateur pour la Société Alpine de Protection de la Nature France Nature Environnement 05

De plus, la carrière aurait été implantée à proximité de la confluence de la Durance et du Guil

Il existe une nappe phréatique sur cette confluence, qui est très mal connue mais relativement importante, probablement la plus grande de la Haute-Durance. Elle n’est pas exploitée, pas connue, mais elle pourrait constituer à l’avenir une ressource importante pour les collectivités locales.

Bernard Patin, administrateur pour la Société Alpine de Protection de la Nature France Nature Environnement 05

Issus de chantiers, les déchets qui devaient être enfouis dans la carrière sont dits « inertes » et donc ne présentent pas de risque environnemental particulier. En théorie, précise Bernard Patin.

Il faut qu’il y ait un contrôle très strict de la nature de ces matériaux. Si d’aventure dans les dépôts qui sont faits il existe quelques mètres cubes de matériaux bitumineux par exemple, ou des déchets liquides ou plus ou moins pâteux, susceptibles de se dissoudre dans l’eau, ça va contaminer de manière définitive la nappe phréatique.

Bernard Patin, administrateur pour la Société Alpine de Protection de la Nature France Nature Environnement 05

Au sein d’une carrière de LafargeHolcim en Ile-de-France, 240 000 tonnes de déblais avaient dû être déplacées en 2021 à cause de la présence de pyrite au-delà des normes autorisées et d’un risque de pollution de nappes. Alors que la SAS Allamanno avait exploité la carrière du Fond de Rame à Champcella en enfreignant l’arrêté préfectoral en vigueur, a minima de mars 2022 à octobre 20243 ce précédent n’est pas de nature à rassurer, estime Bernard Patin. En effet, l’entreprise avait extrait des matériaux à plus de 5 mètres de profondeur, soit au-delà de ce que lui permettait un arrêté préfectoral, avant d’être mise en demeure par la préfecture de se mettre en conformité en 2022. Ce n’est qu’en octobre 2024 qu’un nouvel arrêté régularisera sa situation en accordant une extraction jusqu’à 9 mètres.

Quoiqu’il en soit, les services de l’État ont pointé fin 2024 plusieurs éléments fragilisant la faisabilité du projet. Le site envisagé se situe « dans l’espace de mobilité de la Durance4 » détaille la préfecture des Hautes-Alpes et de ce fait « n’est compatible ni avec le schéma régional des carrières, ni avec le SDAGE [Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux]». Si bien que la municipalité et l’entreprise Allamanno ont aujourd’hui mis le projet en attente.

Le projet n’est plus défendable. Il faudra nécessairement que les règlementations évoluent pour que le projet puisse voir le jour. Mais nous avons décidé avec la société Allamanno d’y mettre un terme – encore une fois – en l’état actuel des règlementations.

Michel Frison, maire de La Roche de Rame

Le maire ne remet pas en question l’impact écologique du projet. Mais il les met en balance avec les besoins en graviers du BTP, de trouver des volumes pour enfouir les déblais et insiste sur le bilan écologique de leur transport : « ces matériaux vont monter en camion depuis le sud du département sur la RN 94. Et celles et ceux qui combattent le projet, immanquablement, combattront le trafic routier induit par ces importations ». Tandis que Michel Frison souligne le caractère déficitaire du Pays des Ecrins en production de granulats, la SAPN-FNE05 avance que l’analyse à l’échelle des SCoT5 est biaisée par la taille des territoires considérés. « Les carrières attribuées au territoire de la Communauté de Communes du Guillestrois et du Queyras, excédentaire, alimentent les [territoires] déficitaires voisins (Pays des Ecrins, du Briançonnais) relativement proches, rendant l’ensemble de ces territoires autonomes. » précise Bernard Patin.

Contactée par ram05, l’entreprise Allamanno n’a pas répondu à nos sollicitations.

1 Zone Natura 2000, Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique zone, Zone N au PLU

2 Société Alpine de Protection de la Nature – France Nature Environnement 05 : association de protection de l’environnement en montagne

3 Arrêté préfectoral du 28 octobre 2015, Arrêté préfectoral du 25 mars 2022, Arrêté préfectoral du 17 octobre 2024

4 L’espace de mobilité d’un cours d’eau aussi appelé « espace de liberté » est défini comme un espace du lit majeur dans lequel le chenal ou les chenaux fluviaux assurent des translations latérales permettant une mobilisation des sédiments ainsi que le fonctionnement optimum des écosystèmes aquatiques et terrestres

5 Schéma de Cohérence Territorial : entité regroupant plusieurs communauté de communes