Un Camerounais, témoin de la mort d’une jeune migrante dans la vallée de la Clarée, menacé d’expulsion
Hervé S., un Camerounais de 36 ans, principal témoin de la mort par noyade d’une jeune migrante dans la vallée de la Clarée, est menacé d’expulsion.
En mai 2018, dans le village de La Vachette, Hervé S., affirme avoir assisté à la mort de de Blessing Matthew, une Nigériane âgée de vingt ans. Poursuivie par les gendarmes mobiles alors qu’elle venait de passer la frontière franco-italienne au col de l’Échelle, la jeune femme s’est noyée dans la Durance en crue.
Ce Camerounais de 36 ans, est aujourd’hui sous le coup d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) suite à l’échec de sa demande d’asile. Son ultime chance, le tribunal administratif de Lyon a rejeté son recours le 17 juillet et Hervé S., assigné à résidence à Lyon avec obligation de pointage, risque d’être renvoyé dans son pays à tout moment.
Que risque cet homme dans son pays ?
Selon l’association Tous Migrants, l’enjeu est vital pour Hervé S. qui risque sa vie en cas de renvoi au Cameroun, pays connu pour ses pratiques de torture et où ses proches ont déjà subi des représailles. Toujours selon l’association, son père est mort d’un AVC après avoir été menacé et sa sœur a péri lors de l’incendie criminel de sa maison.
Dans un communiqué, l’association de plaidoyer rappelle que le parcours « jalonné par la mort et la souffrance » du jeune homme : fuite du Cameroun où Hervé S. a été torturé dans un camp militaire, naufrage de son embarcation au large des côtes italiennes, au cours duquel sa femme et leur jeune enfant se noient sous ses yeux.
Jointe par téléphone, Agnès Antoine, membre de Tous Migrants, décrit un homme « complètement prostré » face à la juge, lors de l’audience du 13 juillet dernier à Lyon. Dans Libération, qui fait le récit de l’audience, l’avocat d’Hervé S., certificats médicaux récents à l’appui, indique que son état nécessite aujourd’hui des soins impératifs : « syndrome de stress post-traumatique et dépression sévère. » Ce dossier est, pour la militante, « emblématique du sort réservé aux personnes exilées sur le territoire français à qui on dénie des droits élémentaires, qu’on suspecte de mythomanie. »
Elle ajoute que le jeune homme « subit un peu les répercussions du fait d’avoir parlé, d’être sorti de la clandestinité pour témoigner, et donc d’être facilement localisable et expulsable ».
Qu’est devenue l’enquête ouverte suite à la mort de Blessing Matthew ?
La justice française a classé sans suite l’enquête préliminaire menée par des gendarmes de la section de recherches de Marseille et a toujours refusé depuis de confier une enquête à un juge d’instruction : refus du procureur de Gap, qui vient d’annoncer son départ, puis du procureur général de la Cour d’appel de Grenoble. Ce malgré deux recours successifs portés par la famille de Blessing, l’association Tous migrants et le collectif de chercheurs Border Forensics.
Cette ONG a publié un rapport en 2022, en s’appuyant sur le témoignage d’Hervé et sur les contradictions dans les récits des gendarmes. «En poursuivant Blessing, les gendarmes ont pu la mettre en danger, menant à sa chute dans la Durance et à sa mort.», conclut-il. Après le rejet de leur demande de réouverture de l’enquête, Tous migrants et Border Forensics ont déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme en octobre 2022, recours qui n’a pas encore été examiné.
Hervé, témoin clé de la mort de Blessing Matthew, n’a jamais été entendu par la justice, sauf par téléphone au moment des faits selon Agnès Antoine. Selon son témoignage dans Mediapart en mai 2022, il aurait observé le moment où Blessing est tombée à l’eau : « J’ai vu le policier la saisir par le bras. Elle a crié : “Leave me, leave me!” [“Laisse-moi, laisse-moi !” en anglais – ndlr] Elle se débattait. Ils se tiraillaient. Puis elle a disparu. »
« Jamais cela ne se produit quand il y a mort d’une personne, qu’on entende pas un témoin, remarque Agnès Antoine. On a mis un bon couvercle sur cette affaire. »