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Sapeurs-pompiers : travail ou volontariat, comment clarifier la frontière entre les deux pour préserver le modèle de sécurité civile français ?

Ils représentent 80 % des effectifs de sapeurs-pompiers au niveau national, et jusqu'à 95 % dans les Hautes-Alpes. Sans les volontaires, le modèle de sécurité civile français s’écroulerait. C’est pour cette raison que plusieurs arrêts rendus par la justice administrative sont autant scrutés et commentés. Au cœur de cette problématique, une frontière parfois difficile à établir clairement entre temps d'activité volontaire et professionnelle au regard de la Directive Européenne sur le Temps de Travail (DETT). Alors que la Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers de France défend que les volontaires ne sont en aucun cas assimilables à des travailleurs, un récent rapport de l'IGA préconise plutôt de définir des règles moins contraignantes pour les volontaires. Décryptage aux niveaux national et local.

En 2018, un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne stipulait d’une part que « les États membres ne peuvent pas déroger, à l’égard de certaines catégories de sapeurs-pompiers recrutés par les services publics d’incendie, à l’ensemble des obligations découlant des dispositions de cette directive [ndlr : la DETT] », et d'autre part, à propos du sapeur-pompier volontaire Belge à l'origine de cette démarche juridique « que le temps de garde qu’un travailleur passe à domicile avec l’obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de 8 minutes, restreignant très significativement les possibilités d’avoir d’autres activités, doit être considéré comme "temps de travail" ». Cette décision, considérant le temps d'astreinte comme du temps de travail à partir d'un certain niveau de contrainte, a été confortée par la suite en décembre 2019 par le Conseil d’État en France, cette fois à propos d’un sapeur-pompier professionnel.

Depuis, la Fédération Nationale des Sapeurs Pompiers de France multiplie les messages rassurants pour garantir que le temps de volontariat n'est pas assimilable à du temps de travail. Le Lieutenant Colonel Christophe Marchal, vice-président de la Fédération Nationale des Sapeurs Pompiers de France, en charge du volontariat, au micro de ram05.

Pour nous, cette directive ne s'applique pas aux sapeurs-pompiers volontaires puisqu'elle s'applique aux travailleurs. Et un sapeur-pompier volontaire n'est pas un travailleur.

Lieutenant Colonel Christophe Marchal, vice-président de la Fédération National des Sapeurs Pompiers de France, en charge du volontariat

En décembre 2023, un rapport de l’Inspection Générale de l’Administration consacré à l’activité des sapeurs-pompiers volontaires est lui aussi venu relativiser cette menace de requalification d’une partie de l’activité des volontaires en temps de travail. L’administration avance en effet que seule une vingtaine de départements serait concernée et que, selon l’organisation de l’activité des volontaires et les contraintes qui pèsent sur eux, le volontariat pourrait être mis à l'abri de cette directive.

L’activité des volontaires se répartit entre disponibilités, astreintes et gardes postées. Contrairement aux disponibilités, que les volontaires définissent au jour le jour de leur plein gré, l’astreinte et les gardes sont plus contraignantes. La première impose au volontaire d'être à son domicile ou à proximité de la caserne pour pouvoir intervenir rapidement s’il est appelé pour un départ en intervention. La garde postée, elle, se déroule en caserne, de jour comme de nuit en fonction des centres.

Selon le rapport de l’IGA, pour protéger le modèle du volontariat français de la directive européenne, le temps de garde postée devrait être limité à 600 heures par an soit environ 11 heures hebdomadaires. À propos de l’astreinte, l’IGA estime qu’elle doit « impérativement être sanctuarisée » car c’est sur elle que repose les secours sur une large partie du territoire. En revanche, pour éviter qu'elle ne puisse être requalifiée en temps de travail, le rapport conseille de diminuer les contraintes pesant sur les volontaires. Par exemple, en ne leur imposant pas de redrer dans un certain périmètre lors des périodes d’astreinte, en ne fixant pas de délai maximal pour rejoindre la caserne lors d’une intervention ou encore en laissant la possibilité de se dégager d’une astreinte sans validation hiérarchique, comme cela se pratique déjà dans vingt-neuf départements.

Qu'en est-il dans les Hautes-Alpes ? Ces précautions seraient déjà mises en œuvre par le SDIS 05 dans le département, assure le Colonel Juge, qui se veut rassurant.

Par rapport à ces astreintes là - qu'il faut absolument sanctuariser - il faut regarder les règles de fonctionnement. Dans la mesure où [ndlr : dans les Hautes-Alpes] ce sont les sapeurs-pompiers volontaires qui s'organisent eux-mêmes, où les délais pour regagner la caserne ne sont pas fixés très précisément [...] et qu'ils ont la possibilité de se remplacer les uns les autres, ce n'est pas considéré comme du temps de travail.

Colonel Juge, SDIS 05

Quant à la garde postée des volontaires, particulièrement vulnérable à la directive européenne, son plafonnement à 600 heures annuelles ne remettrait pas en cause l'organisation actuelle dans les Hautes-Alpes, assure le Colonel Alain Juge. À Gap pourtant, le nombre d’interventions a conduit le Centre d'Intervention et de Secours à mettre la garde postée des volontaires au cœur de son fonctionnement. Mais pas au point de l'exposer à une requalification en temps de travail, assure le Colonel Juge.

Le volume de l'activité opérationnelle à Gap nécessite des gardes postées. Et dans les gardes postées on a des pompiers volontaires et des pompiers professionnels. Les professionnels essentiellement en journée, et les volontaires essentiellement la nuit et le weekend.

Colonel Juge, SDIS 05

Pour protéger le modèle du volontariat français, une deuxième piste est défendue par la FNSPF : faire reconnaître la spécificité de l’activité volontaire par « l’adoption d’une directive européenne permettant la protection du statut de sapeur-pompier volontaire et favorisant le volontariat ainsi que le bénévolat dans la sécurité civile. »