Mobilisation en faveur de l'accès au logement à Crots, le weekend des 17 et 18 septembre 2022 © Elie Ducos

Loi Le Meur : de nouveaux outils de régulation des Airbnb et résidences secondaires pour favoriser l’habitat permanent

Du littoral à la montagne en passant par les métropoles, la concurrence entre résidences secondaires et locations touristiques vis à vis de l’habitat permanent complique toujours plus l’accès au logement pour les locaux. La Loi le Meur, promulguée le 21 novembre dernier, a élargi la palette d’outils pour réguler le logement. Embrun, Les Orres, Abriès-Ristolas, trois communes, trois problématiques différentes, auxquelles les maires pourront répondre en adaptant les dispositifs à chaque situation.

Dans le Guillestrois-Queyras « il est de plus en plus difficile de trouver des logements à l’année ou en tant que saisonnier » regrette Nicolas Crunchant, maire d’Abriès-Ristolas village-station de 380 habitants. Avec près de trois logements sur quatre en résidence secondaire, sa commune est un cas d’école. En vallée, la ville d’Embrun connaît les mêmes difficultés. Le nombre de logements en location longue durée décroît tandis que les loyers ont augmenté en moyenne de 17 % en cinq ans. Acquisition ou location, « le logement est cher » confirme la maire, Chantal Eymeoud.

Il y a toute une série de logements qui sont mis en location Airbnb. Les propriétaires préfèrent ce système là parce qu’il est plus rentable. Le vrai sujet pour moi en tant que maire c’est de mettre en place des dispositifs et des règlements qui permettent d’équilibrer tout ça.

Chantal Eymeoud, maire d’Embrun

Des nouveaux logements immédiatement pris d’assaut par des résidents secondaires

À Baratier, le dernier programme immobilier d’ampleur a permis la création de quatorze nouveaux logements dans le centre. De quoi donner un peu d’air sur le marché locatif d’une commune qui compte 631 habitants. Et pourtant, quelques années plus tard, ces espoirs sont douchés, pointe Marc Viossat, président du Conseil d’Architecture et d’Urbanisme et de l’Environnement des Hautes-Alpes (CAUE 05)

La loi ne s’appliquait pas donc il y avait une ouverture totale sur l’usage. Au bout de quelques années ils se sont rendus compte que sur les quatorze logements, uniquement trois sont ouverts à l’année. Ce sont des logements au centre de la commune qui aurait permis une vitalité importante.

Marc Viossat, président du CAUE 05

Avant la loi Le Meur, certaines municipalités tentaient déjà de limiter l’accaparement des logements par les résidents secondaires. Faute d’outils adaptés, les montages imaginés s’apparentaient plus à du bricolage sur des projets isolés qu’à une politique globale du logement. En 2021, la municipalité de Puy Saint-André lançait un appel à projet autour de la vente d’un terrain communal constructible. Elle fixe une condition pour se porter acquéreur : s’engager dans un projet d’habitat participatif. Un mode de vie qui a peu de chances de séduire des résidents secondaires et permet de filtrer les candidats, estime Pierre Leroy, élu sur la commune. Autre exemple, à Abriès-Ristolas, la municipalité prévoit de faire figurer une clause anti-spéculative dans un projet de lotissement.

Cela empêche les gens d’acheter des terrains ou des maisons pour les revendre rapidement, car dans ce cas-là, la plus value sur une période de cinq, voire dix ans, revient intégralement à la commune. Donc c’est un bon moyen d’obliger les gens à rester sur leur maison à l’année.

Nicolas Crunchant, maire d’Abriès-Ristolas

Des zones réservées à l’habitat permanent

Indirectement, les maires pouvaient donc déjà tenter de contenir l’expansion des résidences secondaires. Laborieusement. « Mais ça c’était avant » sourit Nicolas Crunchant. La loi Le Meur permet désormais d’encadrer sans détour la destination des nouvelles constructions avec la création de « servitudes de résidence principale ». Dans ces zones que les élus locaux pourront définir dans les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) lors de leur révision, les logements ne pourront être habités que par des résidents permanents. Une petite révolution, estime le président du CAUE 05 Marc Viossat.

La loi ne le permettait pas jusqu’à maintenant. On voit bien que cela ne peut pas s’appliquer sur la totalité du territoire, et le rôle de la commune va être de trouver des lieux spécifiques de manière à ce que sur ces lieux là, cela favorise la vie locale, la vitalité des centres-villes

Marc Viossat, président du CAUE 05

Avec l’adoption prochaine du SCoT (Schéma de Cohérence Territorial) par la communauté de communes de Serre-Ponçon – un document d’urbanisme cadre à l’échelle de la communauté de communes – toutes les communes devront réviser leurs Plans Locaux d’Urbanisme. Nicolas Crunchant comme Chantal Eymeoud se disent favorables à la création de servitudes de résidences principales sur leurs communes.

Un rééquilibrage sur les obligations de performance énergétique

La loi Le Meur s’attaque également au développement frénétique des locations courtes types « Airbnb ». En quelques années, près d’un million de meublés de tourisme ont pris la place de logements classiques destinés à l’habitat permanent, aussi bien dans les métropoles que les moyennes et petites villes1 telles qu’Embrun, où le nombre de meublés officiellement enregistrés a bondi de 40 % en cinq ans.

Quand Alix, 35 ans, choisit de s’installer dans ce centre-bourg à l’automne dernier, son entourage l’avertit que la recherche de logement est un véritable sport de combat. Il tente de convaincre le propriétaire d’un appartement Airbnb de le lui louer en bail longue durée, ce qu’il accepte. Puis l’hiver arrive, les températures chutent, y compris à l’intérieur du logement qui s’avère être une passoire thermique, si bien que Alix décide finalement de résilier le bail. L’appartement rebascule immédiatement après sur Airbnb.

Jusqu’à présent, l’interdiction de mettre en location des logements aux performances énergétiques insuffisantes ne concernait pas les meublés de tourisme. Mais les députés ont pointé qu’en l’état, les propriétaires de logements en locatif permanent pouvaient choisir de basculer en meublés touristiques pour contourner les obligations de rénovation. Désormais, les meublés de tourisme proposés nouvellement à la location en zone tendue (dont Embrun fait partie) et soumis à autorisation de changement d’usage devront justifier d’une étiquette F en 2025 et E en 2028. À partir de 2034, un classement entre A et D s’imposera aux meublés de tourisme existants et futurs.

Des quotas de locations « Airbnb » par zones

Pour éviter que des appartements ne passent entre les mailles du filet, la loi rend aussi obligatoire la procédure d’enregistrement en mairie des meublés de tourisme au plus tard en mai 2026. Un bon moyen de faire un état des lieux précis de l’utilisation des logements, puis de l’encadrer, explique Chantal Eymeoud.

Cela va nous permettre d’avoir une photographie exacte de l’offre de meublés de tourisme et de son évolution, ce que l’on n’avait pas sans ces outils. Une fois ces données obtenues, on modifiera le règlement pour restreindre les possibilités de changement d’usage. Par exemple de limiter le nombre de logements en location de courte durée avec un seul bien permis par personne physique. Sinon c’est la porte ouverte à tous les excès et notre rôle c’est de le limiter.

Chantal Eymeoud, maire d’Embrun

Les autorisations de changement d’usage sont délivrées pour une période maximum de cinq ans permettent aux élus locaux d’encadrer la délivrance d’autorisation de mise en location en fixant des critères adaptées aux problématiques locales. Mais la nouveauté la plus marquante de la loi Le Meur est probablement la possibilité de définir des quotas d’autorisation de location de meublés de tourisme dans le PLU. Autrement dit, lorsque le quota de meublés de tourisme en location est atteint sur une zone, toute nouvelle demande d’autorisation ou de renouvellement d’autorisation est automatiquement refusée.

Sur sa commune, le maire des Orres ne voit pas la chose du même œil. Pierre Vollaire rappelle que les stations « s’appuient sur deux piliers : les remontées mécaniques et les logements ». Or, la diminution des abattements fiscaux accordés aux propriétaires de meublés de tourisme et l’obligation de rénovation énergétique introduites par la loi pourraient faire sortir du marché locatif des logements utiles à l’économie de la station2.

Les outils qui permettent de commercialiser ces hébergements sont vitaux pour nous. On ne peut pas comparer ce qu’il se passe dans une agglomération ou un bourg-centre à propos du fait que le développement d’Airbnb vienne concurrencer la location à l’année. Dans une station ce n’est pas du tout le même problème.

Pierre Vollaire, maire des Orres

En tant que vice-président de l’Association Nationale des Maires de Stations de Montagne, Pierre Vollaire avait d’ailleurs sollicité le Ministère des finances pour que des incitations fiscales soient créées pour encourager les propriétaires souhaitant rénover des appartements en location courte durée, mais les services de Bercy lui avaient opposé que ces biens sont aussi souvent des résidences secondaires et que les aides doivent se concentrer sur l’habitat permanent.

1 https://www.vie-publique.fr/loi/292100-loi-du-19-novembre-2024-airbnb-desequilibres-du-marche-locatif-le-meur

2 https://ram05.fr/que-vont-devenir-les-passoires-thermiques-des-stations-haut-alpines.