La réforme de l’assurance-chômage représente un risque systémique pour le modèle saisonnier
Un nouveau volet de la réforme de l’assurance chômage est entré en vigueur le 1er octobre. Après avoir été retoqué par le Conseil d’Etat au début de l’été à cause d’un contexte économique trop incertain, un décret signé le 30 septembre – la veille donc – a remis la réforme sur les rails. Parmi les évolutions, deux font particulièrement réagir les organisations syndicales qui ont à nouveau saisi le Conseil d’Etat, alors même que la plus haute juridiction française n’avait pas encore rendu son avis sur le fond de la réforme.
Allongement de la durée minimale de travail pour l’ouverture de droits au chômage, modification de la période prise en compte pour calculer l’indemnité journalière avec comme impact une baisse des allocations des travailleurs saisonniers. Ces deux changements sont dans le viseur des syndicats haut-alpins, car ils constituent un risque structurel pour le modèle saisonnier selon Eric Becker, Conseiller fédéral Transports en charge de la saisonnalité et des remontées mécaniques pour Force Ouvrière.
Sur le constat, organisations patronales et syndicales tombent pourtant d’accord. Le nombre de contrats courts explosent en France, augmentant la précarité des travailleurs, et il faut y remédier, et ce serait l’une des raisons qui motive cette réforme selon le gouvernement. Mais sur la méthode à employer pour favoriser les contrats longs les avis divergent. Pour le président de l’UPE 05 Michel Garcin les choses sont claires, il y a des postes à pourvoir et des demandeurs d’emploi. Pour que les uns et les autres se trouvent il faut une politique incitative.
En effet, dans la restauration, l’hôtellerie et même les remontées mécaniques les offres d’emploi s’accumulent sans trouver preneurs. Mais cette situation n’étonne pas Eric Becker, conseiller fédéral en charge de la saisonnalité et des remontées mécaniques pour Force Ouvrière, pour qui la précarisation des travailleurs saisonniers est directement responsable de cette difficulté à recruter.
Avec une durée moyenne de travail de 5 mois par an pour les travailleurs saisonniers, la nouvelle barre des six mois de cotisation pour bénéficier d’une allocation est une menace pour le système du travail saisonnier en lui-même estime Eric Becker. En station « avec deux mois de travail l’été et trois mois l’hiver, on n’atteindra pas les six mois » et cela n’est pas près de changer explique Marc Gueydon président de l’UMIH 05 – le syndicat de l’hôtellerie restauration. Pour le représentants des patrons du CHR, ce n’est pas le système de bonus-malus instauré par la réforme pour inciter la mise en place de contrats plus longs qui y changera quoi que ce soit.
Alors comment vivre avec cinq mois de salaire par an sans toucher d’allocation chômage ? Pour Michel Garcin, le président de l’UPE 05 comme pour la députée des Hautes-Alpes Pascale Boyer, les saisonniers doivent s’orienter vers la pluriactivité. Par exemple, un cuisinier en haute saison travaillera comme charpentier, électricien en basse saison en s’appuyant sur des formations.
Chez Force Ouvrière, on estime qu’une poignée de saisonniers saura s’adapter à la pluriactivité mais que les autres ne seront pas en capacité de se reconvertir faute de dispositif de formation adaptés à la réalité de leur quotidien. Si bien que pour Eric Becker, raisonner ainsi, c’est « taper sur la tête de ceux qui ont déjà reçu ».
La seule issue qu’entrevoit Eric Becker serait de mettre le gouvernement et les organisations patronales et syndicales autour d’une même table pour trouver une solution acceptable par tous, en repensant par exemple les formations l’indemnisation de ceux qui les suivent. Constat partagé par Michel Garcin, pour qui l’apprentissage en entreprise est une aubaine à la fois pour les patrons et les personnes en reconversion.
Avec cette précarisation des saisonniers, Eric Becker et Marc Gueydon craignent un départ massif de familles, parfois sédentarisées, avec des enfants scolarisés, qui contribuent à la vitalité économique des vallées et grâce auxquelles le modèle touristique sur lequel repose aujourd’hui les Hautes-Alpes peut fonctionner.
Coup de grâce pour les saisonniers : lors de la dernière saison d’hiver, l’activité partielle n’a pas été mise en place pour 60 % des contrats Café Restauration Hôtellerie, notamment car les employeurs étaient inquiets à l’idée d’être indemnisés par l’État avec des mois de retard, ce que leur trésorerie ne leur permettait pas. Pour ces saisonniers, cumuler 6 mois d’emploi pour ouvrir des droits sera quasiment mission impossible.
Si la situation inquiétante pour le département des Hautes-Alpes – fortement tributaire du modèle saisonnier – est une invitation à se questionner au long-terme sur sa résilience économique, l’urgence reste le court-terme, les prochains mois pour les saisonniers sur le point de perdre leurs droits au chômage et « pour qui il ne restera plus que le RSA » alerte Eric Becker.
Comme le faisait remarquer un éditorial du quotidien Le Monde, si le nombre de demandeurs d’emploi chute au profit de bénéficiaires du RSA, les économies réalisées grâce à la réforme de l’assurance-chômage pourraient revenir en boomerang sur les départements qui finance le RSA.