La Durance, pont-noir, Eygliers © SMAVD

Gestion commune de l’eau en Haute-Durance : « est-ce qu’on y va ou pas ? »

De Serre-Ponçon a Briançon, les collectivités étudient collectivement la possibilité de désigner un opérateur historique pour la gestion des cours d’eau en Haute-Durance, le SMAVD (Syndicat Mixte d’Aménagement de la Vallée de la Durance). Les quatre communautés de communes se donnent jusqu’à l’été 2026 pour décider de déléguer ou non cette compétence à la croisée de nombreux enjeux : ressource en eau, risques naturels, biodiversité, agriculture et activité économique.

Les représentants de toutes les parties ont choisi le milieu du bassin versant de la Haute-Durance pour signer un document qui les lient pour quatre mois, et plus si affinité. Le Briançonnais, le Pays des Ecrins, le Guillestrois-Queyras, Serre-Ponçon et le département, toutes les collectivités étaient réunies le 28 octobre à Saint-Crépin pour la signature de la convention qui définit les moyens mis en œuvre par chacun pour « la réalisation d’un diagnostic et d’une préfiguration de la gouvernance à l’échelle du bassin versant haute-Durance ». Si le résultat est jugé satisfaisant pour les collectivités, celles-ci pourrait pérenniser le partenariat avec le SMAVD pour mettre en œuvre une « gestion intégrée » explique Christian Doddoli, directeur général du SMAVD.

Une rivière est faite d’eau, ici de galets, là de graviers, il y a du vivant dedans, des risques d’inondations, de l’eau utilisée pour de l’eau potable. L’idée c’est de réfléchir à la gestion de la rivière en intégrant tous ces paramètres. Et j’en ajouterai même d’autres des paramètres, c’est qu’autour de ces rivières il y a des hommes et des femmes qui vivent, qui l’utilisent. La gestion intégrée c’est aussi prendre en compte la réalité des populations qui se situent à côté, d’intégrer les enjeux, les ambitions politiques et la réalité financière. Lorsqu’on fait bien notre boulot on arrive à proposer des choses qui ne font pas l’impasse sur une partie de ces aspects.

Christian Doddoli, directeur général du SMAVD

Contrairement au Buëch ou au Drac, la Haute-Durance n’est pas encore outillée d’un syndicat, les précédentes tentatives pour en créer un ayant échoué. Or, l’État et l’Agence de l’eau encouragent l’émergence de gestions concertées à l’échelle des bassins versants, plus pertinentes selon les institutions qu’une multitude d’acteurs œuvrant séparément sur différentes portions d’une même rivière.

Il faut dire les enjeux sont nombreux et de taille. « Le bassin versant de la Durance, c’est la moitié de la Région PACA, expose Christian Doddoli. Le bassin reçoit trois à six milliards de mètre cube d’eau par an, avec de grandes variations interannuelles et de cette eau – qui alimente trois millions de gens et trois quart du PIB régional – dépendent dix milliards d’euros de richesse et une biodiversité unique en Europe ». Pour complexifier le tableau, le réchauffement climatique causera une diminution de 10 % de la ressource d’ici vingt ans et de 20 % d’ici la fin du siècle, en plus d’un étirement des périodes d’étiage.

Le préfet des Hautes-Alpes Philippe Bailbé a posé l’État en « témoin, facilitateur, garant d’un travail en commun. Nous serons là pour apporter du dialogue là où il ne serait pas complet sur un sujet complexe, qui requiert un haut niveau d’expertise technique et juridique ». C’est notamment cette expertise qui a convaincu les collectivités de se rapprocher du SMAVD suite aux assises de l’eau de 2024. Fort de trente années d’expérience, le syndicat gère déjà toute la Durance en aval de Serre-Ponçon jusqu’à Avignon et une trentaine d’affluents. Au-delà de l’ingénierie technique, c’est aussi une « ingénierie financière » dont pourrait bénéficier les adhérents, indique Christian Doddoli. Une trésorerie importante qui permet d’avancer les fonds et d’éviter aux collectivités d’emprunter, et un accès facilité aux financements européens et de l’Agence de l’eau. Jean-Marie Bernard a dit sa « grande confiance envers le SMAVD, saluant une belle expertise dans les équipes ». Le risque de se voir déposséder d’une compétence stratégique ? Le SMAVD estime qu’il peut être réduit en créant une gouvernance en « poupées russes ».

Le bassin de la Durance c’est 14 000 km², la moitié de la région PACA et on est obligé de regarder des aspects à cette échelle-là. Mais on est aussi obligé si on ne veut pas faire des choses hors sol, à regarder des problématiques à une échelle proche du terrain. Et c’est pour cela que l’on fait un système de poupées russes, c’est à dire qu’on travaille à l’échelle communale avec des élus, on va sur le terrain. On les discute ensuite à un niveau communal ou intercommunal, et lorsqu’on a des choses qui sont à une dimension de la maison commune, on va en parler avec plusieurs intercommunalités. On peut imaginer par exemple un conseil de territoire qui regroupera la Haute-Durance. Et lorsqu’on est sur des problématiques qui intègrent tout le grand bassin, on regardera ça et on discutera dans des instances qui regroupent les élus de l’aval et de l’amont, qui vont ensuite réfléchir et prendre des arbitrages ensemble.

Christian Doddoli, directeur général du SMAVD

Vers une délégation de la compétence GEMAPI ?

À terme, la collaboration pourrait déboucher sur une délégation de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) au SMAVD. Une compétence dont les collectivités de montagne se seraient bien passées. Car dans les Hautes-Alpes, les risques liées à l’eau sont importants et la densité de population plus faible. Une équation impossible à résoudre en l’état, estime le président du département Jean-Marie Bernard.

La gestion financière de la GEMAPI telle que prévue dans la loi actuelle, est inapplicable pour les territoires de montagne où*il y a peu de population et beaucoup d’enjeux et beaucoup de travaux à réaliser dans les années qui viennent. Tous les élus de tous les massifs montagneux sont d’accord pour que dans l’acte 3 de la loi Montagne on prenne en compte cette péréquation nécessaire entre l’amont et l’aval pour permettre l’aménagement de ces torrents.

Jean-Marie Bernard, président du département des Hautes-Alpes

L’exemple est particulièrement frappant dans le Guillestrois-Queyras. Les inondations de décembre 2023 et leur coût ont laissé des traces indélébiles, tandis que des dizaines de millions d’euros doivent être investis dans l’aménagement des cours d’eau rappelle Dominique Moulin, président de la Communauté de communes du Guillestrois Queyras.

La communauté de communes du Guillestrois et du Queyras a 25 millions d’euros de travaux sur le Guil et les affluents et une vingtaine de millions d’euros sur la Durance. Nous on est à la taxe GEMAPI maximum [ndlr : 40 € par habitant] et on récupère 800 000€ par an. Il faut payer le personnel etc, en fait il nous reste 400 000€ pour investir, on va pas loin avec ça.

Dominique Moulin, président de la communauté de communes du Guillestrois-Queyras

Partant du principe que l’eau qui tombe sur les Alpes du sud profite aussi au sud de la Région, les élus locaux défendent l’idée d’une solidarité sud-nord pour la gestion des risques. Un rapport sénatorial de juin 2025 a préconisé la création d’un fond de solidarité à l’échelle des bassins versants pour que les métropoles participent aux plans de travaux des petites collectivités, tandis que le SMAVD défend l’idée d’une contribution financière des usagers de l’eau du bassin versant, également reprise dans le rapport.

En taxant ne serait-ce que d’un centime le mètre cube d’eau qui part souvent en dehors du bassin versant, qui va alimenter les grands centres urbains comme Marseille, Aix-en-Provence ou dans le Var, ou l’industrie qui se situe plutôt dans la partie aval du bassin versant, ou autour de l’étang de Berre, on pourrait financer quasiment tous les programmes de la GEMAPI. Voilà les pistes que l’on propose pour créer cette fameuse solidarité aval amont. Cette eau qui vient de l’amont fait la richesse des territoires aval. Donc qu’une petite partie de cette richesse revienne sur l’amont nous paraît être quelque chose d’assez juste pour l’équilibre des territoires.

Christian Doddoli, directeur général du SMAVD

Après un premier essai non-transformé en 2020, où la création d’un syndicat local pour la Haute-Durance était tombée à l’eau, les élus locaux ne partent pas de zéro et disposent déjà d’études et d’une base de travail. La convention prévoit la livraison d’un premier travail de préfiguration début février, qui reprendra en partie l’existant. Objectif : répondre à la question  : « qu’est-ce que cela veut dire de se donner un schéma de gestion GEMAPI », décrypte Christian Doddoli, «  ensuite on regarde est-ce qu’on partage une vision, des valeurs, et est-ce que les collectivités ont envie de travailler avec nous là-dessus. Est-ce qu’on y va ou pas ? »