Logement : l’habitat léger, une alternative économe et écologique qui souffre encore d’idées reçues
Série : Quelles solutions pour répondre à la crise du logement ? » (1/3)
Dans les petites villes, le recensement de la population est un moment redouté. Un nombre d’habitants en baisse peut être interprété comme un manque d’attractivité et il est généralement perçu négativement par les élus locaux. Mais le choix d’un lieu de vie pour les actifs suppose de trouver un logement. Régulation des usages, alternatives à la construction classique, maîtrise foncière… ram05 recense les expérimentations en cours pour améliorer l’accès au logement.
L’habitat léger1 coche toutes les cases du logement écologique. Mais ce sont souvent d’autres raisons qui séduisent les municipalités, notamment son coût et son emprise au sol réduits dans un contexte de raréfaction du foncier constructible. Pourtant, les idées reçues sur les possibilités d’encadrer ce type d’habitat et la fiscalité des ménages qui l’habitent suscitent des réticences. Regards croisés entre une expérimentation à Beaumont-en-Diois dans la Drôme et une initiative en cours dans le Briançonnais.
Un terrain de 2000 m² viabilisé pour accueillir des tiny houses
À Beaumont-en-Diois, village situé dans la Drôme, la municipalité mène depuis plusieurs mandats une politique du logement pour attirer de nouveaux résidents permanents, explique la maire Isabelle Allemand.
Beaumont est un petit village de 110 habitants, avec une grosse évolution démographique ces dernières années. On a du mal à trouver du foncier constructible car on est en zone de montagne avec plusieurs plans de prévention des risques. On a une vraie culture du logement communal locatif et on en a déjà une dizaine avec pour habitude d’avoir des habitats où l’on partage des espaces communs, plutôt extérieurs mais aussi une buanderie, des choses comme ça.
Isabelle Allemand, maire de Beaumont-en-Diois
En 2020, pour continuer d’attirer de nouveaux habitants, la municipalité cherche comment valoriser un terrain constructible qu’elle possède. Elle envisage tout d’abord de bâtir de nouveaux locatifs communaux, sur le même principe que ce qu’elle a déjà éprouvé. Finalement, les élus se décident d’expérimenter l’habitat léger.
Au début on était parti simplement en se disant qu’on referait ce qu’on a déjà en cœur de village sur ces 2 000 m², des semi-collectifs avec deux ou trois logements avec espaces communs. Mais il faut être très honnête. Beaumont-en-Diois c’est même pas 200 000 euros de budget annuel de fonctionnement bien qu’on ait plein de gens qui arrivent. C’était un projet trop dur à faire en dur. Il y a eu un nouveau conseil en 2020 c’est là que l’idée de l’habitat léger a émergé.
Pour que ces logements atypiques ne jurent pas avec le reste du village, la maîtrise d’œuvre fait intervenir un paysagiste et un architecte qui tentent de penser un projet en harmonie avec l’ensemble du hameau, avant qu’un permis d’aménager ne soit établi pour fixer un cadre.
Comme on aurait encadré la couleur des enduits, dans un permis d’aménager il y a un règlement, et c’est la particularité du permis d’aménager, c’est le même principe qu’un lotissement, on définit des règles, des zones collectives, des zones de circulation. C’est vraiment le même document, sauf que nous on a définit quel type d’habitat [ndlr : léger] on pourrait avoir, quelles seraient les zones de circulation et l’interdiction du stationnement sur les parcelles.
Quatre lots sont dessinés avec des haies séparatives en arbres fruitiers puis proposés à la location pour 150 euros par mois environ. Sur chacun des emplacements, un local de 10 m² en dur permet un raccordement à l’eau, l’électricité et aux réseaux télécommunication ou encore de stocker du bois ou des vélos. Chaque locataire peut implanter jusqu’à 50 m² d’habitation, en une ou plusieurs structures, dès lors qu’elles respectent le permis d’aménager.
Une solution peu risquée avec un retour en arrière possible
Deux premiers permis ont été acceptés et des familles de locataires ont signé des baux de douze ans pour emménager dans leurs tiny houses. Selon Isabelle Allemand, il n’y a « pas eu de problème d’acceptation de la part des habitants proches car ils sont soumis aux mêmes règles que le voisin d’à côté ». En effet la taxe foncière s’impose à l’habitat léger.« Le code est clair, décrypte Dorothée Dussol, urbaniste à l’atelier Chado, qui a accompagné la commune de Puy Saint-André (05) dans un projet de hameau léger, la loi ALUR a reconnu l’habitat léger comme un mode d’habiter possible, mais le soumettant aux même règles sur terrain urbanisable ou STECAL [ndlr : pastilles constructibles sous certaines conditions au sein de zones N ou A du PLU ] »
Si toutefois l’habitat léger ne séduisait plus ou causait des difficultés, la municipalité pourrait toujours facilement revenir en arrière. Le projet ne présente donc pas de grand risque estime la maire de Beaumont-en-Diois.
La mairie ne prend pas beaucoup de risques. Si on voit que ça marche pas, que le terrain ne plaît pas ou que l’habitat léger était une mode temporaire, le terrain est viabilisé et la mairie pourra en faire ce qu’elle veut. Faire construire ou le vendre.
La maire de la commune espère que cette initiative « fera des petits » ailleurs en France.
Dans les Hautes-Alpes, un projet de hameau léger en pause à Puy Saint-André
La municipalité de Puy Saint-André a voulu créer un hameau de tiny houses et avait engagé une procédure de révision allégée du Plan Local d’Urbanisme pour l’accueillir. Celui-ci a été mis en pause après qu’un tract distribué par un habitant hostile au projet a soulevé des inquiétudes que se sont manifestées par des contributions à l’enquête publique.
Comme à Beaumont-en-Diois, la maire Estelle Arnaud a impulsé ce projet pour attirer de nouvelles familles.
C’est une façon de construire plus avec moins de matières, moins de ressources, moins de déchets, moins de temps, on répond plus rapidement à la demande criante de logement, moins d’espace et moins d’énergie. Donc en fait on réduit notre empreinte carbone et en même temps on peut construire plus de logement sur une surface plus réduite. on reçoit régulièrement des demandes de personnes qui cherchent à se loger sur différentes formes de logements. Certains veulent acheter un terrain et construire, d’autres cherchent une location et il nous arrive aussi d’avoir des demandes de gens qui veulent s’installer sur le territoire avec de l’habitat léger, soit une yourte, soit une tiny house, et jusqu’à présent on n’a pas été en mesure de répondre favorablement à ces demandes.
Estelle Arnaud, maire de Puy Saint-André
Là-aussi, la solution du terrain à louer pour des personnes apportant ou construisant leur propre habitat léger est privilégiée.
C’est une solution qu’on a envisagée pour de la résidence principale et on est en train de réfléchir et de discuter avec ces candidats qui nous avaient contactés en recherche de logement et de lieux pour habiter en habitat léger. On se rend compte que c’est une population qui cherche à faire de l’auto-construction et avec des constructions très personnelles, avec des maisons très adaptées à leurs besoins. C’est pour ça aussi qu’ils ont besoin de moins d’espace. Au départ on pensait acheter cinq tiny houses pour les revendre ou les louer, mais en avançant dans la réflexion on se rend compte c’est que ce qu’ils cherchent c’est au contraire des maisons qui leur ressemblent, donc des projets très individualisés.
La maire Estelle Arnaud estime que l’information apportée aux habitants et la concertation n’ont pas été suffisantes, d’où les réticences exprimées suite à la circulation de la pétition. L’auteur y évoquait par exemple la possibilité que des « yourtes, des tentes, des bungalows ou des caravanes dans le centre du village » bien que la mairie ne prévoyait d’autoriser que les tiny houses.
En septembre, la création de zones permettant l’installation d’habitat léger a finalement été retirée de l’ordre du jour. Charge à la prochaine équipe qui sera élue en 2026 de relancer le chantier ou non.
Une piste jugée « intéressante » mais pas de suites à ce jour
Plusieurs municipalités contactées disent s’être intéressées à l’habitat léger ou s’y intéresser, sans qu’aucun projet n’ait été amorcé. Parmi les freins avancé, il y a notamment « l’égalité devant l’impôt ». Une crainte infondée dans la mesure où la taxe foncière s’impose de la même manière que sur les logements classiques.
À Embrun, la maire Chantal Eymeoud estime que toutes les pistes d’innovation en matière de logement sont à explorer car le besoin de logement est fort et les contraintes nombreuses.
En secteur de montagne, compte-tenu des différentes contraintes : réchauffement climatique, glissement de terrains, réductions des terres aménageables du fait des loi ZAN ou montagne, il va nous falloir aller vers ce type d’innovation, j’y suis favorable. Je pense notamment à un secteur comme l’écoquartier qui aujourd’hui est gelé car il fait partie du secteur de la Bellotte même si toutes les études qui ont été faites sur l’écoquartier ont démontré qu’il n’y avait aucun mouvement de terrain. Ce type d’habitat me paraît intéressant car il n’engendre pas d’artificialisation, par conséquent n’a pas de conséquence négative sur la gestion de l’eau qui continue de s’écouler convenablement, il y a aussi une protection de la biodiversité et du processus de l’eau.
Chantal Eymeoud, maire d’Embrun
Vincent Faure, maire de Puy Saint-Pierre indique que « cela pourrait être une piste de travail intéressante en réponse aux problématiques de consommation foncière et de coût de l’accès au logement. Nous savons que des habitants seraient susceptibles d’être intéressés par ce type d’initiative créatrice de lien social. Pour autant, l’aménagement éventuel d’un « hameau léger » sur notre commune n’est pas d’actualité dans l’immédiat faute de terrain adéquat disponible à ce jour. De surcroit, les retours d’expérience montrent que la réussite de ce type de démarche nécessite un travail préparatoire important qui ne pourra pas être mené à bien sur ce mandat. »
1 L’habitat léger est défini dans le code de l’urbanisme à l’article R. 111-51 comme « des résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs les installations sans fondation disposant d’équipements intérieurs ou extérieurs et pouvant être autonomes vis-à-vis des réseaux publics. Elles sont destinées à l’habitation et occupées à titre de résidence principale au moins huit mois par an. Ces résidences ainsi que leurs équipements extérieurs sont, à tout moment, facilement et rapidement démontables. »