Verger haut-alpin © Simon Becquet

Censure partielle de la loi Duplomb : réactions de syndicats, association environnementale et parlementaires des Hautes-Alpes

Hier, le conseil constitutionnel a rendu sa décision vis-à-vis de la très contestée loi Duplomb. Le texte pourra être promulgué mais sans l’article 2 qui avait cristallisé beaucoup d’oppositions, celui qui prévoyait la réintroduction de certains pesticides néonicotinoïdes.

Tour d’horizon des réactions dans les Hautes-Alpes.

Deux syndicats satisfaits mais un peu déçus, pour des raisons inverses

Du côté des agriculteurs tout d’abord, le syndicat majoritaire dans le département, la FDSEA 05, se dit globalement satisfaite, avec une pointe de déception. Laurent Gabet est son co-président.

Avant tout, je réagis positivement : la loi Duplomb a été adoptée dans la grande majorité de son contenu. Effectivement, on est déçu que l’article 2 ait été sanctionné. C’est très décevant pour l’arboriculture parce que c’est la molécule qui nous aurait permis de pouvoir traiter contre les pucerons, les punaises, tous ces nouveaux ravageurs qui impactent de manière importante nos récoltes. Donc la contrepartie de la suppression de cet article, ça va être une importation massive de pommes, de poires, de noisettes, mais aussi d’autres produits de pays européens qui ont recours à cette molécule.

Laurent Gabet

« L’arboriculture dans les Hautes-Alpes, depuis une dizaine d’années, vit avec 60 % de son potentiel de production » à cause des ravageurs, déplore l’agriculteur, qui affirme ne pas avoir « d’autre solution » que ces pesticides face à ce problème. La FDSEA 05 demande donc de lutter contre la « concurrence déloyale ».

Je suis profondément républicain. Les Sages ont dit qu’il ne fallait pas réintroduire ce truc, je ne discute pas. Mais qu’on ferme les frontières et qu’on arrête de faire rentrer des produits qui contiennent ces molécules-là. Aujourd’hui, il est indispensable que nos députés ou notre gouvernement prennent les dispositions nécessaires pour que cette concurrence, qui est absolument déloyale, s’arrête.

Laurent Gabet

Au-delà de cette censure partielle, le syndicat salue la validation d’autres mesures.

La simplification, l’OFB qui sera sous la houlette de la préfecture, la possibilité de faire des retenues d’eau, l’installation des jeunes agriculteurs. Il y a de nombreuses lignes qui sont très importantes et qui vont nous permettre de limiter cette perte de compétitivité de notre agriculture française.

Laurent Gabet

De son côté, la Confédération Paysanne 05, qui rappelle lutter contre ce texte depuis son lancement, livre la même impression : d’abord du contentement, mais un peu d’amertume. Avec des raisons inverses de celles de la FDSEA 05. Thomas Raso est co-porte parole du syndicat.

La première réaction est une satisfaction que l’article concernant les néonicotinoïdes, qui était pour nous le plus dangereux de cette loi au niveau santé publique et symboliquement, ait été censuré. C’est une victoire en demi-teinte puisqu’il y a quand même encore des articles qui sont pour nous néfastes à l’agriculture qui sont validés, comme les facilitations autour des méga bassines, le facilitation aussi des élevages industriels de plus en plus grands.

Thomas Raso

Au sujet de l’arboriculture haut-alpine, la Confédération Paysanne estime que le « premier problème c’est la question des prix et des revenus », avant celui des pesticides. Le syndicat rejoint la FDSEA sur la solution à adopter désormais : agir sur la limitation de l’importation.

C’est une filière qui est ultra en compétition avec nos nos voisins européens, l’Italie et l’Espagne, et qui est en crise parce que les prix sont très bas. Et effectivement dans les pays voisins, il y a des pesticides qui sont autorisés alors qu’ils sont interdits en France. Nous, on ne veut pas s’aligner sur le moins-disant environnemental, mais on veut, et c’est tout à fait faisable parce que ça a été fait notamment sur les cerises il y a un an ou deux, que l’État actionne des clauses de sauvegarde pour interdire l’importation de pommes qui viennent d’Italie ou d’Espagne, qui seraient traitées avec des produits qui sont interdits en France.

Thomas Raso

Enfin, Thomas Raso se dit satisfait de l’importante mobilisation citoyenne contre la loi, avec plus de deux millions de signatures d’une pétition. L’agriculteur note particulièrement la forte implication d’associations de malades du cancer.

Ce côté santé publique en lien avec le cancer va peut-être permettre de se poser les bonnes questions vis-à-vis des pesticides : est-ce qu’on veut maintenir à tout prix une compétitivité agricole pour se battre sur les marchés mondiaux et s’aligner toujours au moins disant environnemental ? ou est-ce qu’on veut avoir un environnement et une santé qui soient préservés pour nos enfants, nous-mêmes, et encore plus pour les paysans qui sont les premiers touchés avec leurs familles par les produits phytosanitaires ?

Thomas Raso

Une association environnementale qui demande un changement d’agriculture

Pour la SAPN FNE 05, association de protection de l’environnement dans les Hautes-Alpes, ce mouvement citoyen est de bonne augure. On écoute Hervé Gasdon, son président.

Ce n’est qu’un début. Ça fait voir que la parole citoyenne est extrêmement importante et qu’il ne faut pas hésiter à continuer à utiliser ces moyens-là pour faire pression sur les pouvoirs publics et sur nos élus. C’est extrêmement important de voir les possibilités qui existent par rapport à ces pétitions citoyennes.

Hervé Gasdon

L’association salue une « victoire partielle » suite à la décision du conseil constitutionnel, la suppression de l’article 2 étant une « excellente chose pour la biodiversité, pour l’environnement, l’agriculture et les agriculteurs ». Quoi qu’il en soit, pour lutter contre les maladies dans les cultures, il faut un changement plus large, selon Hervé Gasdon.

Les betteraviers dans tout le nord de la France, ce n’est plus une agriculture, c’est une industrie qui permet la prolifération de toutes ces maladies. Donc un changement de type d’agriculture est nécessaire. Mais en attendant, il est important de permettre aux agriculteurs de pouvoir répondre sans les pesticides à ces attaques.

Hervé Gasdon

Par ailleurs, les militants regrettent la validation d’autres mesures de la loi Duplomb.

Il y a au moins un article qui n’a pas du tout été touché : c’est celui qui est lié aux élevages industriels qui sont exemptés de procédures par rapport à une éventuelle augmentation de leurs capacités. Quand on parle des algues vertes en Bretagne par exemple on est en plein dedans, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune limite à la pollution et aux impacts qu’il y a au niveau terrestre et au niveau marin. Et par rapport aux méga-bassines, le conseil constitutionnel a permis quand même que cela reste dans le champ des possibilités de discussion, mais avec des contraintes qui sont supplémentaires par rapport à celles qu’il y avait avant.

Hervé Gasdon

Les réactions des parlementaires

Enfin, du côté des parlementaires hauts-alpins, le sénateur Jean-Michel Arnaud, qui avait voté en faveur de la loi, dit sur sa page Facebook respecter la décision du conseil mais avoir « une pensée pour les agriculteurs […] qui se trouvent dorénavant sans solutions pour combattre certains parasites ». « Le droit français pénalise les agriculteurs français en leur imposant des règles que les autres agriculteurs européens n’ont pas » et « les consommateurs doivent acheter français et accepter de payer plus chers leurs produits », en conclut l’élu.

La députée socialiste et agricultrice Marie-José Allemand appelle le ministère de l’agriculture à avancer dans la recherche de solutions alternatives aux pesticides. De plus, « cette loi est court-termiste et dangereuse », « l’autorisation des méga-bassines et des mégafermes ne reflètent ni l’identité de l’agriculture française, ni ses traditions, ni sa renommée », écrit-elle dans un communiqué. « Mettons-nous au travail, pour que l’ensemble des agriculteurs puissent exercer leur métier dans des conditions sereines, saines, et sans subir une concurrence déloyale face à des productions étrangères aux normes inégales ».

Sa collègue au PS la députée Valérie Rossi estime dans un post Facebook que la décision des Sages « confirme les nombreuses alertes formulées lors des débats parlementaires ». « Il est temps d’ouvrir un espace de dialogue politique et de réflexion pour répondre aux enjeux de fond », « je plaide pour une agriculture qui permette aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail, qui protège les terres, la santé, et la souveraineté alimentaire de notre pays », ajoute l’élue.