1 enfant sur 4 s’est vu refuser l’instruction en famille en France en 2022 au titre de la nouvelle loi
En excluant les dérogations accordées aux enfants instruits en famille avant 2022, 27 % des nouvelles demandes pour appliquer ce mode d’éducation durant l’année scolaire 2022-2023 se sont soldées par un refus de l’administration, selon des chiffres gouvernementaux publiés fin avril dernier. Ceci est la conséquence de la loi d’août 2021 « confortant le respect des principes de la République », appliquée pour la première fois.
Premier bilan de cette nouvelle réglementation, notamment concernant les Hautes-Alpes.
Quel est le principe de la nouvelle loi ?
Depuis la dernière rentrée, l’encadrement de l’instruction en famille a été totalement inversé.
Précédemment, il reposait sur le principe de la déclaration : un foyer souhaitant instruire son enfant à la maison avait simplement besoin de le signaler aux services de l’éducation nationale, qui réalisaient au cours de l’année un contrôle pédagogique.
Désormais, ce mode d’éducation est conditionné à une autorisation, explique Aymeric Meiss, directeur académique des services de l’éducation nationale des Hautes-Alpes.
La famille indique son souhait d’instruire son enfant à domicile, mais elle peut se voir refuser cette demande si elle ne correspond pas aux critères tels qu’il sont définis par la loi. Et donc, le changement de paradigme est important pour les familles.
Ayemric Meiss
Il existe 4 motifs pouvant conduire à une autorisation de l’instruction en famille :
– Motif 1 : « l’état de santé de l’enfant ou son handicap »
– Motif 2 : « la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives »
– Motif 3 : « l’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public »
– Motif 4 : « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ».
Le 4ème motif est formulé de manière assez floue. Le directeur académique des Hautes-Alpes en précise l’esprit.
Ce 4ème motif est là pour les familles qui présentent un projet extrêmement spécifique qui ne pourrait pas être réalisé dans le cadre d’un établissement scolaire. Néanmoins, il n’est pas accordé de manière systématique, puisqu’il faut s’assurer, d’une part, qu’il n’y ait pas d’impossibilité pour l’enfant d’acquérir les savoirs fondamentaux, et d’autre part, que ce projet correspond effectivement à une spécificité liée à l’enfant.
Ayemric Meiss
En pratique, ce 4ème motif a conduit à des inégalités de traitement en France.
Et ce à cause de sa formulation très vague, et c’est le ministre de l’éducation lui-même qui l’a reconnu. « [Au titre du critère 4], il y a des écarts très forts […] entre académies et départements quant aux réponses qui sont fournies. Dans certains départements, c’est un non qui est très massif. Dans d’autres […], les services académiques fournissent des réponses plus ouvertes. Et donc nous devons absolument équilibrer les choses à l’échelle du pays pour éviter ces écarts » a déclaré Pap Ndiaye l’été dernier. L’académie de Toulouse aurait ainsi le taux de refus le plus élevé selon les associations de parents.
Plus globalement, le ministre de l’éducation nationale a dévoilé le 26 avril dernier, à la demande d’un sénateur centriste et d’une sénatrice LR, les chiffres concernant les plus de 60 600 demandes examinées en France en 2022. Une majorité d’entre elles concernent des enfants déjà instruits en famille précédemment et bénéficiant d’une autorisation dérogatoire temporaire quasi-automatique. Pour les autres, les « nouvelles » demandes aux titres des motifs 1 à 4, les refus se sont chiffrés à 27 %. La réglementation de 2021 est donc largement plus restrictive qu’auparavant.
Dans les Hautes-Alpes, Aymeric Meiss mentionne « quelques refus sur des dossiers qui ne correspondent pas aux critères prévus par la loi ».
Quelle est l’ampleur de l’instruction en famille dans le département ?
Le directeur académique chiffre à « moins d’une centaine » le nombre d’enfants concernés. Cela représente moins de 1 % des élèves haut-alpins.
Sur le département nous avons entre 22 000 et 23 000 élèves qui sont scolarisés, donc l’instruction en famille n’est pas importante en termes de pourcentage. Cela correspond au fait que le mode normal, ordinaire, de scolarisation, est celui de l’établissement scolaire.
Ayemric Meiss
Selon Aymeric Meiss, un effet de la situation sanitaire a été observé en 2020-2021 et 2021-2022 avec une hausse du nombre de jeunes instruits en famille. Le pic serait resté sous la barre des 200 enfants. En cette année scolaire, la sortie de la crise sanitaire et la nouvelle réglementation ont conduit à une baisse, analyse le directeur académique.
Comment sont suivies les familles qui choisissent ce mode d’instruction ?
Les services de l’éducation nationale réalisent un contrôle pédagogique au cours de l’année auprès de chaque enfant concerné.
Le contrôle pédagogique, qui est effectué par des inspecteurs ou par des enseignants formés, permet de s’assurer de la réalité de l’instruction en famille. L’intérêt supérieur de l’enfant est celui de bénéficier d’une instruction. Il faut vérifier que celle-ci est donnée de manière suffisamment bonne pour que l’enfant puisse atteindre les objectifs liés à son âge. Cela n’a pas vocation à contrôler la méthode pédagogique, mais le fait que cette méthode permette d’obtenir des résultats.
Ayemric Meiss
Cette année, « quelques contrôles ont conduit à un avis défavorable » dans les Hautes-Alpes, mais « ce n’est pas la majorité », rapporte Aymeric Meiss.
Voici ce qui est prévu dans ce cas.
S’il y a un premier avis défavorable, il y a un deuxième contrôle. Si celui-ci aboutit toujours à une conclusion insuffisante en termes d’instruction, il y a une injonction de scolarisation qui est prononcée.
Ayemric Meiss
Comment déposer une demande d’instruction en famille ?
Il faut remplir un dossier, disponible sur le site service-public.fr, et l’envoyer à la direction des services départementaux de l’éducation nationale à Gap. La date limite est le 31 mai.
Le cas échéant, l’autorisation est valable un an. Il faut donc déposer une demande pour chaque nouvelle année scolaire.
Enfin, pour l’année 2023-2024, les enfants qui pratiquaient l’instruction en famille avant la nouvelle loi bénéficient à nouveau d’une dérogation et n’ont pas besoin de faire l’objet d’une autorisation. Il seront soumis au nouveau régime à partir de 2024-2025.
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Les chiffres de l’instruction en famille sur 2022-2023 en France :
- 60 638 demandes instruites au total
- 10,1 % de refus au total
- Enfants non-instruits en famille avant 2022 (demandes pour les motifs 1 à 4) : 16 814 demandes, 27,1 % de refus
- Motif 1 (raisons de santé) : 6 329 demandes, 15,7 % de refus
- Motif 2 (pratiques intensives) : 697 demandes, 18,1 % de refus
- Motif 3 (éloignement géographique) : 4 484 demandes, 32,3 % de refus
- Motif 4 (« situation propre à l’enfant ») : 5 304 demandes, 37,6 % de refus
- Enfants instruits en famille avant 2022 et bénéficiant d’une dérogation (demandes « de plein droit ») : 43 824 demandes, 3,6 % de refus