Ouverture à la concurrence de la ligne des Alpes : à quoi faut-il s’attendre ?
En 2029, la ligne des Alpes changera d’exploitant au profit d’une nouvelle filiale de la SNCF, après son ouverture à la concurrence. Bien que la région promette une augmentation de l’offre, usagers et cheminots expriment des craintes. Sollicitée par ram05, l’entreprise a refusé de nous répondre.
D’ici 2033, toutes les lignes ferroviaires régionales de France devront avoir été ouvertes à la concurrence. Une obligation entrée en vigueur en 2019, issue d’une réglementation de l’Union européenne, que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur applique tambour battant. Pour son vice-président aux transports Jean-Pierre Serrus, c’est une « volonté » de la collectivité, pour « améliorer le service de trains régionaux au service des usagers ».
C’est dans ce contexte que, le 17 octobre dernier, la région a attribué l’exploitation de la ligne des Alpes, entre Marseille, Briançon et jusqu’à Valence, et des lignes Marseille-Toulon-Hyères-Les Arcs, à SNCF Voyageurs Sud Alpes Méditerranée, nouvelle société filiale de SNCF Voyageurs, qui était en compétition avec un autre candidat. Le service doit être mis en place en 2029 pour une durée de 10 ans. Pour rappel, deux premiers appels à concurrence avaient déjà abouti précédemment : la ligne Marseille-Toulon-Nice est aujourd’hui exploitée par Transdev et l’étoile ferroviaire de Nice par Sud Azur, filiale de la SNCF.
Côté finances, le budget de ce nouveau contrat pour la collectivité se chiffre à 2,25 milliards d’euros, dont 80 % seront dédiés à l’exploitation. Sont notamment aussi prévus l’acquisition par la région de 25 rames neuves (328 millions d’euros) et la modernisation de l’atelier de maintenance de Marseille et la construction de celui de Briançon (46 millions d’euros).
La promesse d’une augmentation de l’offre
Pour Jean-Pierre Serrus, cette ouverture à la concurrence, à laquelle s’ajoutent les financements engagés en vue des Jeux Olympiques de 2030, permettra « de voir dans les toutes prochaines années une amélioration très sensible » de la ligne des Alpes. « Il y a un engagement ferme de l’opérateur sur la régularité et sur un taux quasi inexistant d’annulation », affirme l’élu, « et le plan de transport que nous déciderons en 2028 devrait intégrer un certain nombre de services ; c’est un peu trop tôt, quatre ans à l’avance, pour le dire ».
Il y a un engagement ferme de l’opérateur sur la régularité et sur un taux quasi inexistant d’annulation.
Jean-Pierre Serrus
Le vice-président prend l’exemple de l’étoile de Nice, « avec une augmentation de 75 % de l’offre », et celui de la ligne Marseille-Toulon-Nice, qui connaît « un doublement de l’offre ». « Cela dépend des capacités du réseau et des besoins, mais pour les usagers ce sera une offre encore mieux adaptée à leurs besoins », promet Jean-Pierre Serrus.
En l’occurrence, la région annonce « 30 % en moyenne » d’augmentation d’offre grâce au nouveau service, bien que les modalités soient encore floues. Dans un communiqué du 17 octobre, SNCF Voyageurs déclare que « l’augmentation de l’offre se déploiera progressivement, en fonction des besoins, et notamment les Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030 et de l’avancement des grands chantiers ferroviaires, dont la Ligne Nouvelle Provence-Côte d’Azur ». Questionnée à ce sujet pour plus de précisions, l’entreprise a refusé de nous répondre.

Pour le Collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes, qui regroupe usagers, élus, associations et syndicats, cette hausse « est une bonne nouvelle », à condition que les trains puissent plus facilement se croiser en gare. Jean-François Dumanois, membre du collectif, réclame ainsi « une automatisation dans les gares pour permettre [ces croisement] et donc effectivement contribuer à augmenter cette offre, à moins que l’on mette du personnel dans les gares. On arrivera à ce moment-là à organiser des fréquences plus importantes d’allers-retours de trains ».
Une augmentation de l’offre ne pourra pas passer non plus sans une amélioration des correspondances, pointe le Collectif. Celles-ci ont besoin d’être « mieux étudiées pour que l’on ne soit pas obligé d’attendre 1 ou 2h dans une gare », déclare l’usager. « Par exemple, c’est très compliqué d’avoir des correspondances satisfaisantes entre entre Grenoble et Briançon. Il y a là aussi un effort à faire ».
Est-ce qu’on va pouvoir arriver à l’élaboration d’un billet unique pour aller de Briançon à Bordeaux sans être obligé de se tirer les cheveux ?
Jean-François Dumanois
La multiplication des opérateurs suscite également des craintes quant au service rendu. Au premier rang desquelles la question de l’unicité des billets : sera-t-il toujours possible de n’acheter qu’un seul billet par trajet ou bien faudra-t-il découper son voyage en fonction des différentes compagnies ? « Est-ce qu’on va pouvoir arriver à l’élaboration d’un billet unique pour quelqu’un qui veut aller de Briançon à Bordeaux, sans être obligé de se tirer les cheveux pour prendre un billet sur tel trajet, un autre sur tel autre trajet ? », interroge Jean-Pierre Dumanois.
L’usager ajoute qu’« aujourd’hui, quand on veut chercher un horaire, on va par exemple sur SNCF Connect où n’apparaissent que les billet SNCF. Quand on voudra chercher un billet, qu’est-ce qu’on aura comme information sur toutes les possibilités qui sont offertes ? »
Sur ce point, Jean-Pierre Serrus se veut rassurant… en tout cas pour les trajets au sein de Provence-Alpes-Côte d’Azur. « C’est à la région, autorité organisatrice et seule autorité à décider des tarifs et des cartes, de mettre en place le système de billettique, de réservation et d’information […]. Pour l’usager, il n’y a qu’un seul billet, il n’y a qu’une seule marque, c’est la marque Zou », rappelle l’élu. « Quel que soit l’opérateur, il faut que l’usager n’ait qu’un seul interlocuteur, la région, nous y travaillons », appuie Jean-Pierre Serrus.
Autre inquiétude, à propos des correspondances : la diversité des compagnies risque de réduire les chances qu’un train en attende un autre en cas de retard, pointe le Collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes.
Cette révolution qu’il va y avoir sur cette ligne correspond à toutes les demandes.
Jean-Pierre Serrus
À cette remarque, comme aux autres requêtes, la région répond qu’elle « [sera] toujours à l’écoute des usagers » et rappelle les transformations prévues en amont des JO 2030. « On aura pour les Jeux Olympiques et en héritage de ces Jeux, une ligne rénovée qui permettra les doublements, une mise en accessibilité pour les personnes à mobilité réduite d’un certain nombre de gares, la construction et la rénovation de véritables pôles d’échanges multimodaux, notamment à Briançon. Voilà des réponses qui sont au cœur des préoccupations des usagers », énumère Jean-Pierre Serrus. « Cette révolution qu’il va y avoir sur cette ligne correspond à toutes les demandes, à la fois une amélioration du service, de meilleurs trains, une amélioration des correspondances, une augmentation du service », martèle l’élu.
Baisse du coût, mais pas des tarifs
Si l’offre peut augmenter de 30 %, c’est grâce à « une baisse sensible du coût de production de 30 % », annonce la région. Autrement dit, faire rouler un train coûtera 30 % moins cher au nouvel opérateur. Comment une telle diminution est-elle possible ? Grâce notamment aux investissements prévus par la région, précise cette dernière. « Qui dit centre de maintenance et nouveaux trains dit un impact à la baisse sur le coût de production », souligne Jean-Pierre Serrus.
« Ensuite, l’offre qu’a proposée le lauréat prend en compte également sa propre organisation », complète l’élu. Questionnée sur ce point, SNCF Voyageurs Provence-Alpes-Côte d’Azur a également refusé de nous répondre.
Quoi qu’il en soit, pour le vice-président de la région « c’est l’intérêt de l’ouverture à la concurrence : pour l’usager il n’y a pas d’impact sur le prix du billet et pour le contribuable et la région c’est une baisse de ce qu’on appelle le forfait de charge ». Pour autant, il ne faut pas s’attendre à une baisse du prix des billets, annonce Jean-Pierre Serrus. « On a quand même à prendre en compte la charge financière des investissements, donc on restera sur un coût maîtrisé. Il n’y a pas un impact direct, il n’y a pas de relation de cause à effet ».
Conditions de travail et sécurité en question
Le syndicat FO cheminots des Hautes-Alpes, « opposé à la privatisation et la filialisation du transport ferroviaire » et favorable au maintien de « l’entreprise nationale SNCF sur l’ensemble du réseau ferroviaire », dénonce une mise en concurrence qui serait de nature à pénaliser conditions de travail et sécurité. Est prévu « un appel au volontariat pour que les agents SNCF soient transférés dans une autre entreprise, puisque ça reste une filiale, c’est-à-dire une entreprise qui va se regrouper dans une grande holding de la SNCF mais qui va être indépendante », décrit Damien Kuster, secrétaire adjoint du syndicat.
« Il va y avoir, comme tout transfert de salariés, un maintien de 15 mois des conditions de rémunération et d’ancienneté. Mais à terme seront rediscutées les conditions, à la fois salariales, de tâches de travail, c’est-à-dire qu’il y aura beaucoup plus de productivité et donc un impact qu’il peut y avoir lieu sur la sécurité, sur les temps de repos et donc sur la sécurité des circulations », déplore le syndicaliste.
Dans son communiqué, SNCF Voyageurs affirme que l’opérateur « s’inscrira pleinement dans une démarche d’inclusion sociale et de dynamisation de l’emploi local. En collaboration étroite avec les acteurs économiques et associatifs du territoire, [il] offrira de réelles perspectives professionnelles aux personnes éloignées de l’emploi et contribuera activement à la cohésion sociale du territoire ». Questionnée à ce sujet, l’entreprise n’a pas souhaité nous répondre.

De son côté, le vice-président de la région aux transports annonce que la masse salariale augmentera, passant de 647 équivalents temps plein à 675, et ne partage pas les inquiétudes du syndicat. « Il n’y a aucune raison que cela se traduise par une dégradation, bien au contraire. Ça doit améliorer la sécurité ferroviaire, la sûreté à l’intérieur de nos trains, la qualité de maintenance et d’entretien », fait savoir Jean-Pierre Serrus. « Je fais complètement confiance à SNCF et à sa filiale pour faire en sorte que les choses se passent de la meilleure des façons possibles », déclare l’élu.
C’est tout un service public national qui est en train de se pulvériser, où chaque région va faire son petit train indépendant.
Damien Kuster
De manière plus large, FO met en garde contre les impacts de la privatisation du rail. « C’est tout un service public national qui est en train de se pulvériser, où chaque région va faire son petit train, son chemin de fer indépendant, rien ne va plus être interconnecté et il va y avoir une pression économique énorme pour toujours, toujours faire moins cher, moins cher » alerte Damien Kuster. « Mais quand on fait moins cher, on n’a pas forcément le service rendu. Il faut des personnels et des investissements à hauteur des besoins », réclame le syndicaliste.
Un nouvel opérateur peu enclin à s’exprimer
Il y a un effet qui commence déjà à se faire sentir : la réticence du nouvel opérateur à s’exprimer plus en détail sur sa prise en main du « contrat de service public d’exploitation ». Sollicité par ram05, le service communication de SNCF Voyageurs Provence-Alpes-Côte d’Azur a décliné notre demande d’interview et a explicitement refusé de répondre à nos questions écrites, en raison de la mise en concurrence.
« Malgré la pertinence de vos questions, nous ne pourrons y répondre dans le contexte concurrentiel qui est désormais le nôtre », s’est justifiée l’entreprise, interrogée sur le choix de la création d’une nouvelle société, sur les modalités de la baisse du coût de production et de la hausse de l’offre, sur les conditions de travail des agents et sur les impacts pour les usagers.
Enfin, sachez qu’un quatrième et dernier lot doit s’ouvrir à la concurrence prochainement, celui partant de Marseille et s’étendant vers l’ouest, qui totalise environ un tiers du réseau régional.