Laurent Geslin à Névache, samedi. © Élie Ducos/ram05

Laurent Geslin au Festival Terre Sauvage : « ce n’est pas demain qu’on verra une population de Lynx dans les Alpes du Sud »

Le photographe et réalisateur du film « Lynx » faisait partie des invités du Festival Terre Sauvage à Névache, ce week-end.

Laurent Geslin, photographe et réalisateur de renommée internationale, suit le Lynx depuis plusieurs années dans le Jura. Il en a tiré un remarquable documentaire, sobrement intitulé Lynx, décrit comme « subtil et inédit » par Libération. Le film a été très apprécié du public. Le cinéaste était invité ce week-end au Festival Terre Sauvage à Névache.

La rédaction de ram05 : à l’heure de l’effondrement de la biodiversité, s’émerveiller de la beauté de la nature est-il suffisant ?

Laurent Geslin : L’émerveillement n’est pas suffisant. Le film peut être un support de communication qui va servir ensuite à essayer de changer certaines mentalités. Maintenant, ce que j’essaie vraiment de faire, c’est de travailler avec des gens de l’Office National des Forêts, avec des fédérations de chasse, avec des gens qui ne sont pas forcément convaincus au départ, et qui peuvent avoir des réticences à la présence des grands prédateurs, dont le Lynx. À mon échelle, j’essaie de travailler à avoir un public qui soit prêt à changer de comportement et d’accueillir des grands prédateurs, par exemple.

Quelle est la portée politique de votre film ?

Dans le film, j’essaie d’aborder de façon un peu subtile le problème du braconnage, le problème des infrastructures routières qui tuent les Lynx, le problème des scientifiques, aussi, pourquoi pas, qui prennent des Lynx, qui vont les déplacer… Forcément, il y a de la sensibilisation, sans essayer de faire la morale. Je vois que le public a l’oreille, comprend, et c’est déjà pas mal, de sensibiliser à ce niveau-là.

Vous aimez projeter votre film à des chasseurs ou à des éleveurs. Pourquoi ?

Cela apporte que ceux qui n’ont pas vraiment d’idées ou d’opinions, cela peut les faire changer d’avis. Ceux qui sont de toute façon convaincus que le Lynx ou le Loup sont des sales bêtes et qu’il faut les tuer, je ne les récupérerai jamais, je ne pourrai pas discuter avec eux. Ce ne sont souvent pas eux qui viennent dans les projections. Ceux qui viennent avec une oreille curieuse, eux, ils me posent vraiment des questions, parfois très basiques. Par exemple « J’ai du Chevreuil dans ma prairie, s’il y a du Lynx, qu’est-ce qui se passe ? » Je leur dis la vérité, de ce que moi je connais, car cela fait 12 ans que je travaille sur cet animal. Je leur dis « Effectivement, tu risques de ne plus les voir, et pendant quelques semaines, quelques mois même, tu risques de ne plus chasser de la même façon. » Je pense qu’il y a de l’honnêteté dans mes réponses, où je n’essaie pas de cacher quoi que ce soit. Je pense que le message peut passer, et on peut avoir un peu plus de tolérance sur l’animal.

Croyez-vous à un retour durable du Lynx dans les Alpes du Sud ?

Non. Les infrastructures sont très construites notamment à partir de l’Isère du Sud. C’est très construit autour de Grenoble. Le Lynx n’est pas un animal comme le Loup, qui ne va pas faire des centaines de kilomètres, qui va traverser des territoires agricoles. Il lui faut un couvert forestier dans la journée. Ce morcellement de territoires va être compliqué à franchir pour lui. Il faudrait éventuellement des réintroductions, mais se pose la question de la cohabitation avec les Loups, car il y a des Loups ici. Je pense que ce n’est pas demain qu’on verra une population viable de Lynx dans les Alpes du Sud. Un de temps en temps, c’est possible, mais une population viable, j’y crois moins.