Extrême-droite au pouvoir en Italie : la gauche « ne s’est pas occupée des questions sociales et économiques »
Décryptage des élections législatives italiennes, qui le 25 septembre 2022, ont donné une large majorité à une coalition de droite conduite par la leader post-fasciste Giorgia Meloni. Selon Adriano Serafino, 81 ans, retraité turinois et ancien membre du syndicat unitaire de la métallurgie, il s’agit surtout d’une vague de protestation populaire.
L’extrême-droite s’ancre dans les institutions italiennes, avec l’élection en fin de semaine dernière de deux de ses figures à la tête du parlement. A savoir Lorenzo Fontana, proche de Matteo Salvini (Ligue), élu le 14 octobre à la présidence de la Chambre des députés, et Ignazio La Russa, élu le 13 octobre à la présidence du Sénat. Ce dernier a cofondé Fratelli d’Italia avec Giorgia Meloni. Selon Le Monde, il a milité dans sa jeunesse au Mouvement social italien (MSI) et n’a jamais caché sa nostalgie de Mussolini. Dans une vidéo datant de 2018, on le voit montrer à un journaliste sa collection de figurines du Duce.
Pourquoi, face à un parti portant des idées racistes, sexistes et homophobes, le non au fascisme est-il si peu audible en Italie ? Après Piero Gorza, médecin à Médecins du Monde Italie, nous avons questionné Adriano Serafino, 81 ans, retraité turinois et ancien membre du syndicat unitaire de la métallurgie. Cet ancien syndicaliste parle de centre-droit à propos de cette coalition. Ce qui semble incompréhensible de ce côté de la frontière, où l’on parle de post-fascisme. Turin est l’une des rares provinces où le vote de centre-gauche l’a emporté, par rapport au reste du Piémont qui a voté centre-droit.
Pourquoi n’y-a-t-il pas eu plus de réaction en Italie à l’élection d’un parti qui est en France est dit néo-fasciste ?
Adriano Serafino : L’explication est que cette lecture est très orientée sur la leader du parti. Fratelli d’Italia a grandi comme parti d’opposition. Sans aucune référence à la période fasciste du point de vue de ses dirigeants aucune référence à la période fasciste. Dans sa réserve de voix, certainement, il attire les votes de cette portion électorale, plutôt limitée, un peu comme les partis de gauche qui attirent les votes de ceux qui prônent la lutte de classe armée.
Pour autant, le parti de Giorgia Meloni ne correspond pas, à mon avis, à la façon dont il est décrit par la presse européenne. En Italie aussi, il y a des commentateurs, politiques, et jusqu’à la campagne électorale, qui a été définie au début par cette alarme fasciste, identifiée encore comme une marée noire. Pour moi, au contraire, il me semble que c’est une vague de protestation populaire par rapport à tout ce qui ne va pas dans ce pays et à toutes les désillusions par rapport aux promesses des différents partis qui ont été au gouvernement.
Donc c’est un grand mouvement d’opposition, clairement de droite, ancré dans les valeurs traditionnelles de la droite-droite, donc une interprétation du trinôme dieu-patrie-famille mais pas de la façon dont il a été utilisé durant la période fasciste. Cette interprétation est celle qui a porté à la défaite de l’aire de centre-gauche en Italie, et du parti démocrate en particulier. Qui quand il est à court d’arguments sociaux, a toujours cherché à s’en sortir en appelant à se mobiliser face au péril anticonstitutionnel et au danger fasciste, même quand il ne s’agit que de mots et non d’un processus politique.
Pour vous, c’est plutôt une défaite de la gauche ?
Bien sûr. Et du Parti démocrate en particulier. Et comme les critiques le lui reprochent maintenant c’est un parti qui ne s’est pas vraiment battu. C’est un parti qui n’a pas mené beaucoup de batailles, surtout sur le front d’une adéquation de notre société avec les valeurs de solidarité sans aller jusqu’à parler de fraternité. Ce n’est pas seulement le parti, mais toute l’aire de gauche.
Le vrai problème est qu’il ne s’occupe pas des questions sociales et économiques. Il ne s’occupe pas de cette large frange de société qui va mal. Et il s’occupe trop de ceux qui n’ont pas de problèmes sérieux et doivent seulement renoncer à quelques garanties. En Italie, nous sommes arrivés au point où le premier parti est l’abstention, qui dépasse les 18 millions en regard des 50 millions d’inscrits sur les listes électorales. Et il faut s’adresser aux abstentionnistes, qu’il serait erroné de considérer comme des « Je m’en foutiste », en oubliant qu’il y a parmi-eux existent des millions de personnes qui condamnent la politique menée par les partis italiens au pouvoir, qui n’ont pas tenu les promesses faites à leur électorat.
Quels sont les risques aujourd’hui pour les migrants, les femmes, les homosexuels ?
On peut imaginer que les droits civiques qui ont pris une place très importante dans les programmes du centre-gauche, au détriment des droits sociaux en particulier pour les jeunes qui ne trouvent pas de travail et les personnes âgées qui n’ont pas de quoi vivre, auront moins d’importance. Le taux de chômage italien dépasse la moyenne européenne. L’assistance dont bénéficient les anciens est estimée à un tiers de la moyenne européenne. Mais à mon avis, l’inquiétude exprimé par rapport au droit des femmes, en particulier de l’avortement, est exagérée.
Giorgia Meloni avait évoqué un blocus naval, quels sont les risques pour l’immigration ?
C’est le vrai grand problème, parce que la gauche a perdu la bataille. Parce que les batailles qu’elle devait mener face à une coalition de droite portait sur deux points : l’un est le gros problème des migrants, de par sa mauvaise gestion et les nombreuses erreurs commises, a provoqué un déplacement vers les partis de droite dans toute l’Europe.Le dernier épisode auquel nous avons assisté est en Suède, qui était jusqu’à il y a dix ans le modèle de l’intégration [et où la droite libérale conservatrice et l’extrême droite ont remporté les élections législatives le 11 septembre 2022 – NDLR]. Regardons aussi ce qui se passe en France. C’est une question très délicate sur laquelle le centre-gauche a très peu travaillé. Les expériences d’intégration comme celles de la Calabre, il y a quelques années ont été stoppées par les magistrats [l’ancien maire de Riace, Mimmo Lucano, une figure de l’accueil des migrants, a été condamné en septembre 2021 à treize ans de prison pour diverses irrégularités -NDLR].
Fratelli d’Italia ne parle plus de blocus naval, ils parlent de freiner l’immigration à partir des pays de provenance, en coordination avec l’Europe, et évidemment d’organiser les flux. Sur la question de l’ordre public en général, il est évident qu’avec un gouvernement de centre-droit aussi accentué, on verra des restrictions. Mais avec un gouvernement de centre-gauche ou d’union nationale, ces problèmes n’étaient pas affrontés, et ils se reportaient sur le dos des migrants.
Quelles sont aujourd’hui les préoccupations des Italiens, à l’entendre elles sont avant tout sociales ?
Oui, je dirais que les préoccupations sont essentiellement d’ordre sociale et souvent très individualistes. Les syndicats sont malheureusement des corporations d’entreprises qui essaient de se défendre les salariés qui restent au niveau de l’entreprise. C’est quand même respectable.
Le problème le plus grave aujourd’hui, c’est l’inflation qui dévore le pouvoir d’achat et le niveau de vie difficilement conquis par les classes populaires. Mais il n’est pas lié à la vraie cause qui détermine ce désordre économique et récessif qu’est la guerre. Sur la guerre, il n’y a pas de conscience populaire, aucun parti, au-delà de la condamnation de la Russie, de soutenir la résistance des Ukrainiens, n’a pris une initiative diplomatique courageuse en marge du conflit.
Donc le problème est certainement d’ordre social et économique, mais avec ce retour à l’individualisme : tout en demandant au gouvernement d’intervenri, on ne s’implique pas et on se réserve un droit de critique absolu. Les Italiens sont les champions de la critique des institutions et ça va en empirant. Cette division culturelle a permis à un parti d’opposition comme Fratelli d’Italia de conquérir les villes, dans des régions de forte tradition de résistance. Des villes martyres célèbres pour leurs actes de résistance ont donné leur voix à cette femme de droite, en faisant confiance à ce qu’elle disait. C’est ce qui s’est passé pour Grillo, Renzi, Salvini, qui ont duré trois ou quatre années, puis se sont effondrés comme des feuilles d’automne.
Qu’est-ce que cette élection va changer pour la frontière, pour l’Europe ?
Jusqu’alors nous avions eu des gouvernements, celui de Draghi en particulier, qui avec la France et Macron, poussaient pour avoir une Europe qui avance, qui abolisse le vote à l’unanimité et ne soit plus une simple fédération de gouvernements accrochés à leur droit de veto.Les idées du centre-droit, en particulier celles de Giorgia Meloni et de Salvini, privilégient une Europe fédérale. C’est aussi une tendance en Allemagne par exemple. Ce qui risque de freiner beaucoup de progrès, par exemple celui de défense européenne et d’une politique commune différente de celle de l’Otan, très orientée par les Etats-Unis, etc. Sur ce plan, cela devient plus compliqué. Je pense que Giorgia Meloni opérera comme une brave politique qui essaiera de faire bouger le groupe de Visegrad (qui réunit quatre pays d’Europe centrale : la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie), mais avec une vision de l’Europe très différente de celle de Draghi et Macron, présentée dans le Pacte du Quirinal il y a un an.